Je suis allée à la rencontre de Olivier Enogo, journaliste, afin de mieux comprendre comment ces professionnels travaillent pour que nous soyons informés. Après avoir travaillé, plus ou moins longtemps, pour RFO, Le Monde Informatique, Le Point, Jeune Afrique, l’Intelligent, Khalifa TV, TV5, Canal +, Télésud, Olivier Enogo est actuellement directeur adjoint de la chaîne TV panafricaine Voxafrica.
«Faire un reportage, écrire un article, c’est relayer des faits et des événements constatés, voire récoltés. C’est comme raconter une histoire, le plus objectivement possible. L’actualité rythme notre profession. Relater les faits suite à un attentat, un accident, un assassinat, exige la plus grande vigilance. L’urgence est notre quotidien, mais la précipitation est notre plus grand ennemi. Notre métier repose sur l’investigation, la vérification des faits, la protection de nos sources. C’est notre code déontologique, notre éthique. Tout manquement, toute erreur d’analyse peut avoir des répercussions fatales. L’impartialité est la condition sine qua non à notre crédibilité. Avant diffusion, un reportage ou un article doit recevoir l’aval des chefs de notre «Rédaction». Il faut absolument éviter les inexactitudes, et rester dans la ligne éditoriale de la «maison». C’est ce qui détermine le professionnalisme de notre média, et donc sa cote auprès du public. Informer, c’est transmettre. Impossible d’exercer ce métier sans être soi-même imbibé d’informations. Nous sommes en perpétuelle quête, en perpétuel décryptage des évènements, quels qu’ils soient. Se lancer dans un reportage, dans un article, que ce soit dans l’urgence absolue de l’actualité, ou dans la régularité de la programmation, c’est se comporter en détective. Avant toute chose, il faut comprendre toutes les facettes du sujet, prendre des notes, sélectionner les lieux, dénicher les spécialistes qui enrichiront le débat contradictoire. Nous fouinons, nous creusons, nous cherchons les sources les plus fiables. Il faut décrocher les entretiens, obtenir les autorisations de se déplacer, de filmer. Et vérifier, vérifier encore, vérifier toujours. Toute cette première partie reste invisible au public. Être toujours prêts à partir avec nos outils de travail, la caméra, le micro ou le stylo. Être à l’affût de chaque détail. Ne pas avoir d’idées préconçues. Rester ouverts. Ne pas perdre une miette d’une conversation. Enregistrer des heures d’images et de sons. La phrase d’un intervenant nous amène à poser une question à un autre. Engranger «de la matière» pendant des heures, des jours, parfois des semaines, et rentrer pour en tirer le fil d’Ariane qui va faire vivre le sujet. Notre mission, c’est être le relai entre le terrain et le public. Nous sommes ses yeux et ses oreilles. Nous devons sentir le vécu, pour que celui qui nous lit, qui nous écoute ou nous regarde soit emporté dans un «voyage». Nous devons capter et garder son attention, l’informer, lui permettre d’être le témoin des faits à son tour. Nous sommes ses rapporteurs d’évènements. C’est la conférence de rédaction qui attribue l’angle de travail, mais d’un sujet à l’autre, nous varions les approches. Chacun y met sa touche personnelle. C’est ce qui fidélise le public. Que ce soit pour la presse écrite, la radio ou la télévision, notre démarche est la même. Nous devons réorganiser la matière pour obtenir du «vivant». L’écriture, le «montage» des images et du son sont des actes techniques qui demandent beaucoup de temps et de concentration. Le journaliste détermine le contenu et l’esprit de son sujet, l’écriture, le montage et la réalisation en sont les écrins. En zone de conflit, le principe reste le même. La plupart du temps, nous travaillons en équipe, un reporter et un technicien. Ce sont les difficultés du terrain qui nous lient dans une complicité professionnelle. Cela nous porte dans les épreuves. Elles consolident et valorisent notre travail. Les envoyés spéciaux sont des gens aguerris qui ne laissent rien au hasard. Chacun d’entre nous connaît les risques. Nous calculons nos déplacements, et développons petit à petit un savoir-faire. Nous n’envisageons notre travail dans ces conditions souvent extrêmes que par amour de notre métier. Nous tournons les images, enregistrons les sons, nous thésaurisons les informations, rédigeons nos articles, quelles que soient les difficultés. Les moyens techniques actuels nous permettent d’envoyer nos sujets à la Rédaction, pour que, dans les heures qui suivent, le public sache et comprenne. Notre métier est un métier à risques. Le public aperçoit le gilet pare-balles que nous portons parfois. Peu savent que certains d’entre nous sont blessés en reportage. Quand des confrères sont capturés et deviennent otages, l’émotion est grande. Lorsque des confrères sont tués froidement sur le terrain, c’est la stupéfaction». Le trouble d’Olivier Enogo est celui de toute la grande famille du journalisme.
Ghislaine Dupont et Claude Verlon, une équipe de professionnels, connaisseurs du Mali, et de l’Afrique en général, sont les 44 et 45èmes journalistes assassinés au cours de cette année 2013. Le risque zéro n’existe pas dans ce travail, ils le savaient. Ils avaient couvert de nombreux conflits. Ils étaient toujours revenus. Ils travaillaient, animés par la liberté d’information. Ils faisaient leur métier, convaincus que «la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme, convaincus que tout Citoyen peut parler, écrire, imprimer librement.» Eux qui «donnaient la parole aux voix sans voix» ont été exécutés. Leurs voix sont bâillonnées à jamais. Mais, d’autres voix s’élèvent déjà, tendent leur micro, déploient l’antenne satellite nécessaire, pour que nous, public, puissions vivre le «terrain», mais surtout, parce qu’il n’est pas question «de laisser la terreur l’emporter».
Françoise WASSERVOGEL