Les télévisions africaines sous la dictature de l’Etat

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La télévision publique est-elle un média d’Etat ou le média de l’Etat ? On peut répondre par l’affirmative, quand pour plusieurs de nos présidents, gérer leur pays, c’est être constamment à la télévision. Ils oublient cependant que trop de télé tue l’information. Rendons grâce à Africable, "la Chaîne du Continent", cette magnifique boîte basée à Bamako, dont le génie nous permet de suivre, presque en temps réel, les prestations des différentes télévisions nationales dans nos différents pays.

Il ne s’agit, en réalité, ni plus ni moins que de la principale aune d’évaluation du degré de professionnalisme et de pratique démocratique dans ces pays : la Guinée-Conakry, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Gabon et accessoirement le Cameroun.

Invariablement, toutes les éditions d’information "ouvrent" sur les activités du Président de la République. Si certaines télévisions nationales couvrent ses activités en y déléguant des équipes ponctuelles, d’autres ont choisi le principe de l’accréditation permanente, sous le label de «presse présidentielle». Au Bénin, au Gabon, il y a une presse présidentielle nettement visibles à la signature.

Quand arrive l’heure du journal, c’est donc sans surprise, qu’apparaissent en «gros plan», les présidents Wade, ATT, Compaoré, Bongo, Boni, Tandia, Gbagbo. Ces présidents ont un faible pour le petit écran. D’autres présidents ne «sortent» pour ainsi pas dire à la télévision. Il s’agit essentiellement du Paul Biya du Cameroun et de Lansana Conté de Guinée.

Il paraît que dans le premier pays, le Conseil des Ministres ne se tient presque pas. En Guinée, le Président Conté, malade, n’en fait qu’à sa tête. De toute évidence, Conté n’a pas besoin de la télé pour faire l’actualité. Il lui suffit de se rendre directement à la grande prison de Conakry et faire libérer un ami fort justement incarcéré. La loi en Guinée, c’est Conté La justice aussi, en véritable Louis XIV, des tropiques.

A voir les prestations de certaines télévisions, on peut en déduire que seuls les présidents et leur entourage immédiat travaillent et tout est au beau fixe. Ainsi au Sénégal et au Mali, les présidents Wade et Touré passent leur temps à recevoir des émissaires techniques mais aussi et surtout toutes sortes de groupements et de laudateurs fieffés venus leur apporter l’assurance que les élections de 2007 vont être du beurre, dans la pure tradition des plébiscites totalitaires.

Après les Présidents, c’est la couverture des activités des premières dames Viviane Wade et Lobo Touré. Mme Wade, cette dame restée si étonnement discrète pendant des années apparaît subitement sous les lustres et les lambris dorés, à califourchon entre le social et le politique, sur les traces de "Mat Thérésa".

Le Journal de la RTS déboussole plus d’un ! Le téléspectateur qui croit suivre une édition en français peut se retrouver brusquement avec un intervenant en langue nationale qui, de "Mignahamni" à «Hawmalôlô», passe sans aucune traduction ni doublage. Il paraît que savoir parler le wolof est une évidence signalée au Sénégal. La télé sénégalaise ne fait pas que refléter ses activités, elle même est devenue une activité, à l’actif du président Wade.

Et pourtant ! Quand le président "Laye Wade", c’est ainsi que certains reporters désignent le chef de l’Etat du Sénégal, a voulu élargir son horizon et s’offrir des partis pour l’accompagner dans l’action gouvernementale, il s’en est trouvé certains dont les leaders n’ont pas fait dans la dentelle. Ils l’ont non seulement dit clairement au Président Wade, mais ils en ont profité pour dire tout le mal qu’ils pensaient des agissements intolérables de la télévision sénégalaise ! Ceux d’entre nous qui avons suivi le rendu de ces rencontres sur RFI n’en reviennent pas encore.

Et que fait la télé sénégalaise ? Non seulement, elle ne diffuse pas les critiques qui lui sont faites par des contribuables qui participent à son fonctionnement, mais elle se fend d’un éditorial, dans la pure tradition des "faits du jour" pour soutenir le contraire. Quel type de journalisme que celui-là qui place les commentaires avant les faits ! Les faits sont sacrés, le commentaire est libre. Et en tout état de cause, on ne peut commenter qu’après avoir informé ! Et dire que Dakar abrite l’une des premières écoles de journalisme du continent !

Au Sénégal et au Mali la télé est du domaine réservé de la présidence. C’est avec raison que certaines organisations de la société civile ont décrété le boycott de la RTS.

Au Niger de Tandia, les journalistes se distinguent par une paresse indescriptible. Aucune touche professionnelle, à croire qu’il n’ y a pas de banc de montage. Le Président reçoit-il les vœux des diplomates ? Il faut diffuser intégralement les propos du Doyen des ambassadeurs d’abord.

Ensuite, les téléspectateurs sont obligés de suivre le monologue du Président Tandia ! Le journal ici est une juxtaposition de discours avec un journaliste pour seulement "pédaler ".

La Guinée voisine, elle aussi, n’en montre pas plus. Le journal y est suivi comme un véritable supplice et une série d’attentats contre la bonne langue des français. Ici aussi pas de "doublage". Vous passez, dans un reportage, du français au soussou ou au malinké, avec des interlocuteurs non identifiés.

La télé n’annonce pas la grève générale décrétée tous les syndicats du pays. Elle ne peut trouver aucun acteur syndical. Elle s’empresse, et avec quelle cadence, à faire défiler tous les ministres de la République qui pour annoncer que la sécurité des biens sera garantie, qui pour dire que les écoles seront fermées, qui pour dire que le carburant sera disponible, qui pour dire que les forces armées et de sécurité seront déployées "pour barrer la route à tous les perturbateurs et à tous les badauds". Et patati-patata ! Et comble de l’estocade, "cette grève générale est politique" déclare le parti de Lansana Conté. Cette position est relayée. Par contre, la position des partis qui soutiennent les grévistes ne l’est pas. Nous sommes en Guinée.

La télé béninoise a une bonne écriture de son journal, certainement l’un des mieux écrits de la sous-région. Les télévisions Burkinabé et ivoirienne méritent tout notre respect. Que dire quand après la diffusion du discours de meilleurs vœux du Président Comparé, les journalistes Burkinabés sont allés tendre leur micro -et immédiatement- au leader du front sankariste Me Stanislas Bénéwendé Sankara qui a dit tout ce qu’il pense et librement.

Il a notamment dit que cet énième discours de Blaise Compaoré ne diffère pas des autres et qu’il a réussi la prouesse de ne rien dire d’essentiel pour la vie des burkinabés ! Et oui, mais nous sommes au Burkina Faso, ce pays qui a vu mourir pourtant mourir dans des circonstances douteuses et tragiques des journalises de grande réputation comme Mohamed Maïga et Norbert Zongo.

La télévision ivoirienne force l’admiration. Dans un contexte difficile, elle essaie de tenir la balance entre le Président Gbagbo et son Premier ministre imposé par l’extérieur Charles Konan Banny Les présentateurs ont du respect pour leur public.

Et que dit la télévision malienne ? Elle est presque la jumelle de celle du Sénégal. Au Sénégal il y a Wade et Viviane. Au Mali, il y a ATT et Lobbo.
Ici, quand le Président ATT tient un discours à la nation, les journalistes se croient obligés d’entamer une séance de lecture expliquée et sur plusieurs jours. La lecture du Communiqué du Conseil des Ministres est, sur cette télévision, une véritable institution avec un journaliste enthousiaste !

Quand des Etats majors de partis politiques s’offrent comme des saucissons au Président ATT, ils ont droit à toutes les largesses de la télé. Mais qu’un seul parti décide de se prononcer contre en remplissant tout un stade, le rendu est hâtivement effectué et dans une seule édition avec des coupes sélectives qui font trémousser plus d’un.

Voici comment s’illustrent les dirigeants africains face à leur peuple sur la télévision le seul média auquel ils accordent de l’importance.

Mais voici aussi comment l’argent du public, l’argent des contribuables est dépensé pour faire plaisir à ceux qui nous dirigent. Voilà comment et pourquoi ces présidents verrouillent les espaces médiatiques et les couloirs d’expression. Mais les masses et leur opinion disposent de leur propres journaux télévisés qu’aucune censure ne peut faire taire.

Hambodédio BARRY (L”Independant du 19 Janvier 2007)

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