Le dimanche 07 juillet dernier, Robert Dissa, journaliste à Africable, recevait sur le plateau du « Débat politik » M. Oumar Tièfin Mariko, animateur journaliste et directeur de la radio « Peace FM, M. Aliou Amadou Sango, expert à la veille media, M. Boubou Doucouré, spécialiste des relations publiques, écrivain, analyste politique et président de l’association « Front Patriotique les Républicains », et M. Ousmane Dao, Directeur de publication de « Midi-info », président du Réseau des professionnels de l’information sur les questions de protection sociale au Mali et chargé de l’information de l’Association des Éditeurs de Presse Écrite, autour du thème suivant : « la communication de nos leaders politiques : quand les medias locaux se plaignent ».
A la question « comment comprenez-vous la sortie de nos leaders politiques dans les medias internationaux ? » qui a fait l’objet d’un premier tour de table, M. Mariko répond en soulevant une question de crédibilité et de mépris. En effet, il pense que nos leaders politiques n’accordent pas de crédit aux médias locaux et que ces médias font l’objet d’un grand mépris de ces mêmes leaders politiques. Et pour lui, le fait que nos hommes politiques préfèrent s’exprimer à travers les médias internationaux au lieu de nos médias est beaucoup significatif.
Mais selon M. Sango, qui répond à la même question, c’est plutôt une question de stratégie car, selon lui, chaque homme politique a son approche par rapport aux médias. Et à l’en croire, M. Sango pense que les leaders politiques, en s’exprimant à travers les médias internationaux, cherchent à atteindre des gens plus importants sur la scène internationale. Et pour illustrer ses propos, il a pris l’exemple sur le journal « Jeune Afrique » qui est un journal internationalement connu à travers lequel beaucoup de nos dirigeants préfèrent s’exprimer pour atteindre des gens très importants sur l’échiquier international. Contrairement à son prédécesseur, il pense que la sortie de nos leaders politiques dans les médias internationaux n’est ni une question de mépris ni un manque de confiance mais tout simplement une question de stratégie.
Par ailleurs, toujours sur la même question, M. Doucouré pense que c’est plutôt une question d’objectivité, de ciblage. Par-là, il a surtout voulu souligner l’aspect technique. Mais comme le premier intervenant, il n’a pas manqué de souligner un manque de confiance de nos leaders politiques en les médias locaux. Il a aussi parlé d’une mauvaise organisation de l’environnement médiatique sans oublier d’évoquer les problèmes sociopolitiques. Pour terminer, M. Doucouré a décrié la division des journalistes locaux en deux camps : ceux qui sont pour le pouvoir et ceux qui s’arrangent du côté de ses détracteurs. Selon lui, cette situation est très dangereuse et fait que les médias locaux manquent de crédibilité.
Quant à M. Ousmane Dao, il existe une véritable complémentarité entre les médias locaux et les médias internationaux. Et comme certains de ses prédécesseurs, Ousmane Dao a aussi parlé d’objectivité par rapport à la sortie de nos leaders politiques dans les médias internationaux. Mais pour lui, ce qui est surtout déplorable est la restriction du champ de diffusion de nos médias. M. Dao pense aussi que le fait de passer par des médias internationaux pour s’exprimer n’est pas mauvais en soi, mais c’est surtout ce qu’on va dire qui peut l’être ou pas. Et à l’instar de certains de ses prédécesseurs, il pense également que les médias privés ou les presses privées sont vraiment négligés par les autorités et que leur implication dans la communication des leaders politiques mérite d’être améliorée. Pour terminer, il a proposé que les problèmes auxquels, les médias locaux souffrent soient pris en compte par les autorités.
Eu égard à la langue utilisée par les media internationaux et au niveau de culture générale de nos populations, Robert Dissa s’inquiète et demande si on peut s’attendre à une large diffusion de la part de ces médias dans ces conditions. C’est ce qui l’a amené à poser la question qui consiste à savoir avec qui nos dirigeants ou leaders politiques veulent vraiment communiquer à travers les médias internationaux. Et pour répondre à cette préoccupation, qui marquait le début d’un deuxième tour de table, M. Sango a d’abord demander qu’on fasse la différence entre communication et information. Pour lui, l’information consiste à rapporter seulement des faits tandis que la communication consiste à organiser un événement dans l’intention d’atteindre quelqu’un en particulier. « Un berger à Douentza ne lira jamais Jeune Afrique. Par contre un opérateur économique qui voyage par « AIR France » trouvera inévitablement un numéro de Jeune Afrique dans son fauteuil. Et c’est exactement ces genres de personnes qui sont visées », a-t-il ajouté. Et comme M. Dao, il pense aussi que les médias locaux ne disposent pas d’un large champ de diffusion pour que nos dirigeants puissent les utiliser pour véhiculer des messages d’une certaine envergure.
Quant à la question de savoir s’il existe des messages qu’un leader politique doit avoir avec le monde et qu’il ne doit pas avoir avec son peuple, M. Mariko répond sur un ton qui exprime sa déception et sa colère. D’ailleurs il s’est dit très déçu de l’analyse de ses co-débateurs qu’il ne partage pas du tout. Pour lui, nos hommes politiques ont plutôt intérêt à se tourner vers les médias locaux qui connaissent mieux la mentalité de nos populations. Et pour lui, la prolifération des radios et télévisions privées est une aubaine pour nos leaders politiques qui doivent tout faire pour en tirer profit.
« Si nous prenons l’exemple sur des régimes passés, les gouvernants communiquaient uniquement à travers les chaines nationales pour atteindre le peuple. Ils n’avaient pas besoin des médias internationaux pour ce faire. Mais aujourd’hui il existe tellement de radios et de télévisions privées que les nos dirigeants doivent s’estimer heureux de pouvoir communiquer facilement », a-t-il approximativement dit. Pour M. Mariko, il est inconcevable que nos dirigeants ou leaders politiques tournent le dos aux médias locaux pour aller vers des médias étrangers. Et en guise d’exemple, il a rappelé que sur nos deux candidats au second tour des élections présidentielles passées, IBK et Soumaïla Cissé, ont sollicité des journalistes étrangers pour communiquer au lieu des journalistes de leur propre pays. Pour lui, cela est un véritable mépris à l’égard des médias, des journalistes locaux. Pour terminer, M. Mariko n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour décrier le fait que nos dirigeants ou leaders politiques sont plus accessibles par les médias étrangers que par nos propres médias : « Si mes frères autour de cette table et moi se réunissons pour avoir une audience avec le président, « Walahi bilahi » on ne l’aura pas ». Pour cet intervenant, le mépris est flagrant et on ne doit pas se voiler la face.
« Compte tenu du coup des médias internationaux, si nous combinions les médias ou journaux nationaux n’arriverons-nous pas au même résultat de large diffusion ? », interroge le journaliste Dissa. Selon M. Doucouré cela est bien possible. Mais il ajoute, en guise de conseil à l’endroit des politiques, que le contenu d’un message d’un homme politique ne doit jamais changer selon qu’il soit véhiculé par un journal local ou par les médias étrangers car un même message qui change de contenu selon le support de transmission n’est pas crédible.
Avant de répondre à la question de la difficile accessibilité de nos leaders politiques par des journalistes ou médias locaux, Ousmane Dao a d’abord rappelé à M. Doucouré que les médias et presses privés maliens sont bien réglementés par un texte et qu’ils n’évoluent donc pas dans un vide juridique comme celui-ci faisait croire. Cependant, il estime volontiers que ce texte doit être revu car quand il entrait en vigueur, la presse en ligne et les réseaux sociaux, qui n’étaient pas connus chez nous, n’ont pas été pris en compte.
Par ailleurs, par rapport à la difficulté de décrocher des audiences avec nos leaders politiques, Ousmane Dao a préféré parler avec réserve. « Ce que vous oubliez est qu’il peut exister des affinités entre certains journalistes et certains hommes politiques avant qu’ils ne deviennent des ministres. Alors il est tout à fait évident qu’ils soient facilement accessibles par ces journalistes une fois qu’ils sont nommés ministres puisqu’il y avait déjà des relations entre eux », a presque dit le Directeur de publication de Midi-info. Et pour terminer, il a déploré le manque de cadres d’échange entre les médias privés et nos responsables politiques : « Les presses privées ne rencontrent plus le chef d’État qu’à l’occasion de la présentation des vœux ». Pour Dao, les autorités doivent essayer d’impliquer davantage les journalistes et les médias privés à leur communication.
Durant les différents tours de table de ce débat animé par l’éminent journaliste Robert Dissa, certains débateurs n’ont pas manqué de s’en prendre aux médias privés et aux journalistes qui appartiennent à des boites privées. Pour eux, ils sont tout aussi blâmables que les leaders politiques car la plupart d’entre eux manquent de professionnalisme. Et la preuve en est que nombreux d’entre eux, dans leurs analyses, ne manquent pas de prendre parti en faveur du pouvoir ou de l’opposition alors qu’un journaliste professionnel doit seulement se contenter de rapporter des faits ou de faire des analyses en toute impartialité. Le rôle d’un journaliste, selon certains intervenants, ne consiste pas à dire qui a raison ou qui a tort, mais il consiste à informer le peuple de ce qui se passe au quotidien.
Souleymane TANGARA