Femmes et médias au Mali : Un simple reflet de notre société?

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L’IPAO (Institut PANOS Afrique de l’Ouest) met en œuvre actuellement un projet intitulé «Renforcer le rôle et la représentation des femmes dans les médias en Afrique de l’Ouest ». Il vise à renforcer la participation citoyenne des femmes à travers les médias dans trois pays, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Trois études ont été conduites, une par pays, dans le cadre de ce projet. Lors d’un atelier sur ce thème, tenu les 16 et 17 août derniers à la Maison de la Presse, nous avons présenté une communication à ce sujet. Nous vous en proposons les grandes lignes.

Une analyse de contenu a ciblé la presse écrite dans chacun des pays, pour illustrer les stéréotypes sur les femmes dans les médias et analyser les processus de construction de ces stéréotypes. Une étude comparative sur le statut des femmes dans les médias s’est attelée à mettre en évidence les postes occupés par les femmes, dans le but d’aboutir à la production d’une information équilibrée.

Outre un monitoring sur un mois du contenu d’une dizaine de journaux (quotidiens, bi hebdomadaires, hebdomadaires et bimestriels), un état des lieux du personnel d’une vingtaine d’organes (presse écrite, télévision et radio), avec des informations sur les postes occupés, les rubriques couvertes, la formation, le niveau des salaires a été dressé (à l’aide d’une fiche-type). Des entretiens avec des personnes-ressources complètent l’étude, afin de mieux documenter la partie stéréotypes, tant sur l’image véhiculée sur les femmes dans les médias en général que sur celle des professionnelles de la communication.

Dresser un état des lieux exhaustif des médias au Mali n’est pas chose aisée. En effet, les effectifs des rédactions sont très fluctuants, quand ce ne sont pas les titres de la presse écrite qui paraissent uniquement «à l’improviste», pour reprendre une expression couramment usitée. Ainsi, l’on admet qu’en période «électorale», nombre de titre à la durée de vie éphémère voient subitement le jour, pour retourner au néant sitôt leur «tâche» terminée.

Toutefois, quelques citations nous permettent de résumer la situation actuelle. «Les médias au Mali sont constitués par la presse écrite (en français et en langues nationales), par les radios de proximité, par la télévision, ainsi que par plusieurs services liés (satellite, câble, Internet). Les journaux sont concentrés dans la capitale, Bamako, ou dans les grandes villes régionales, et aucun effort n’est entrepris pour élargir le champ de diffusion de la presse écrite, particulièrement dans les communautés rurales. Le réseau des radios libres croît à grande vitesse (498 autorisations ont été délivrées, dont environ 300 fonctionnent plus ou moins). Elles atteignent la grande majorité de la population en diffusant des émissions dans les langues locales (y compris grâce à des revues de la presse en bamanan, de qualité et de fiabilité inégales NDLR). L’accès à l’Internet se développe, tant au niveau de l’extension des infrastructures que de la réduction des coûts et de la familiarisation des usagers aux outils les plus courants. On note des collaborations de sites Internet avec des journaux, des radios et des télécentres communautaires. Le public a libre accès aux médias nationaux et internationaux en ligne, et l’on ne sent pas, du côté des autorités, des velléités de blocage ou de filtrage du contenu d’Internet »… «Les femmes restent minoritaires dans les rédactions et leurs voix ne sont pas équitablement prises en compte».  (Source African Media Barometer 2010).

«Le Mali compte près d’une cinquantaine de titres, 300 radios commerciales, privées ou associatives et une cinquantaine d’agences de communication, à l’envergure variable. Parallèlement, le nombre de personnes exerçant dans le domaine a été quasiment multiplié par deux. D’environ 1 500 en 1996, les hommes de médias, qu’ils soient animateurs, journalistes, photographes, secrétaires de rédaction ou techniciens sont passés à environ 3 000». (3èmes Journées Nationales de Réflexion sur l’information et la Communication).

Une liste disponible à la Maison de la Presse, malheureusement incomplète, recense 9 quotidiens, 10 bi-hebdos, 45 hebdos et 17 radios. Nous nous baserons sur elle, avant la validation de l’étude que nous sommes en train de mener pour l’Institut Panos et dont nous aurons l’occasion de vous présenter les résultats plus tard. L’analyse de 10 titres parus le 8 août 2001 nous servira de base pour une «spot observation» des contenus et de la place des femmes dans les rédactions.

Parmi les 9 quotidiens cités (Les Echos, Info Matin, L’Indépendant, Le Républicain, L’Essor, Le Soir de Bamako, Nouvel Horizon, L’Indicateur du Renouveau, Le Combat),  aucun n’a une femme comme Directeur de Publication, Directeur de la Rédaction ou Rédacteur en Chef. Toutefois, Le Républicain a 1 Directrice Générale, et le Combat 1 Fondatrice – Promotrice. Signalons qu’il ne faut surtout pas se fier aux Ours de notre presse écrite pour en tirer quelques conclusions que ce soit, car il sont peu à être régulièrement mis à jour!

Passons aux 10 bi-hebdos (Le Tambour, Le Malien, L’Observateur, L’Aube, Le Pouce, Le Zénith Balé, Le Challenger, 22 Septembre, Le Sphinx (en fait, un hebdo), Aurore). Là aussi, peu de femmes aux postes de direction, excepté à 22 Septembre et anciennement à Aurore.

Concernant les 45 hebdos (Le Scorpion, Le Courrier, L’Inspecteur, 26 Mars, Le Canard Déchaîné, L’Analyste, Mali Demain, L’Inter de Bamako, Bamako Hebdo, Le Matinal, Le Progrès, Le Guido, Waati, L’informateur, L’orage, L’Humanité, La Lumière, La Nouvelle République, Le Matin, La Révélation, L’Annonceur, Kabako, Dabaliban, Procès verbal, Le Nouvelliste, Le Hoggar, Le Caïman de Indè, Liberté

Le Patriote, Nouvelle Libération, Ciwara info, Maxi info, La Mutation, Prétoire, Le Débat, L’intelligent, Le Potentiel, Express International, Le Public, Le Clairon, Le Monde Dunia) les choses changent un peu, avec une constante : lorsque les femmes sont en première position au sein d’une rédaction, c’est qu’elles sont les Fondatrices / Promotrices de l’Organe. Ainsi en est-il de Mme Diaby Macoro Camara à Kabako (et aussi à Sira) et de Mmes Dado Camara et Mariétou Konaté à L’Annonceur.

Parmi les 17 radios (ORTM, Chaine II, Radio Liberté, Radio Bamakan, Radio Benkan, Radio jèkafo, Radio Kayira, Radio Klédu, Radio FR3, Radio Tabalé, Radio Guintan, Radio Islamique, Radio Espoir, Radio Canal 2000, Radio Dambé, Radio Patriote, Radio Donko), c’est le même constat. Seule Ramata Dia de Guintan, Promotrice – Fondatrice de l’organe, en est la première responsable, tout comme elle le fut dans la presse écrite pour La Cigale Muselée et Finzan. Benkan a eu une Directrice, remplacée depuis par un homme, tout comme la Radio Rurale de l’ORTM. Les régions sauvent l’honneur, comme à Kati.

Le CNDIFE s’intéresse spécifiquement depuis 2008 à la place des femmes dans les médias. Ainsi, en 2009, sur 9 journaux enquêtés (22-sept, Info Matin, L’Essor, Le Challenger, Le Républicain, Le Scorpion, Les Echos, L’Indépendant, Sira), pour un total de 100 journalistes, on comptait 24 femmes. Elles n’étaient que 5 sur 27 à occuper un poste de responsabilité au niveau des directions de ces organes (22 Septembre, Les Echos, Le Républicain, Info Matin et Sira). En 2008, les chiffres étaient de 4 femmes à des postes de responsabilité sur un total de 27 personnes (15%) et de 16 femmes sur un total de 94 journalistes (17%). Sur les 16 femmes journalistes, 6 étaient à l’Essor et 5 aux Echos, soit environ 69%. Au niveau des directions des 10 stations de radios, les femmes occupaient 18% des postes de responsabilité, avec 21 femmes sur un effectif total de 116. Elles étaient 28 sur 133 journalistes (21%) et 89 sur 309 animateurs (29%).

Pour ce qui est des radios, la même enquête révèle que sur 10 d’entre elles (L’Ensemble de l’ORTM, Bamakan, Benkan, Guintan, Jekafo, Kayira, Klédu, Liberté, Patriote, Tabalé) pour un total de 121 journalistes (dont 24 femmes) et 322 animateurs (dont 100 femmes), seules 22 occupaient un poste de direction (au moins 1 par radio, avec un record de 9 pour l’ORTM et 2 à Bamakan, Benkan et Tabalè), sur 175.

Signalons aussi la forte représentation des femmes au nombre des stagiaires, catégorie peu prise en compte dans les études. Nous pouvons déjà dire qu’elles représentent près de 45% des effectifs, selon notre propre recensement. Rémunérées ou non, elles sont souvent présentes dans les rédactions grâce à un financement de l’APEJ, comme apprenties journalistes, apprenties animatrices, secrétaires, commerciales, etc…

Pour ce qui est de la formation et des salaires, l’équité du genre est pleinement acquise. Formation sur le tas pour le plus grand nombre et, diplômes de niveau maîtrise pour la majorité sont la règle dans la plupart des rédactions de la presse écrite. Dans les radios, le niveau scolaire de base des animateurs est plus bas, même si celui des journalistes est plus hétérogène.

Quelle image des femmes dans les médias? Pour répondre à cette question, sans prétendre être exhaustive, étudions le contenu de 11 journaux parus le 8 août 2011. Il s’agit de 6 quotidiens (Info-Matin, L’Essor, L’Indépendant, Nouvel Horizon, Le Républicain, Les Echos), 4 bi-hebdomadaires (Le Challenger, Le Malien, Le Prétoire, L’Aube) et 1 hebdomadaire (26 Mars).

6 titres n’ont aucune photo de femme et 5 aucun titre relatif à une femme à la Une. 2 utilisent une photo de femme (en l’occurrence celle de la ministre de la Santé) pour un article sur les jeunes pharmaciens  (Le Prétoire, Quand les jeunes pharmaciens se trompent de combat, Seydou Oumar N’Diaye) et un autre sur l’épidémie de choléra (Nouvel Horizon, Le Choléra au Mali, 419 cas dont 23 décès, Tougouna Traoré).  26 mars parle en Une de l’Opération Ramadan de la Fondation Partage (Abdoulaye Sanogo) et en Confidentiel du «PM obligé d’aller en vacance! (sic)», sans photo dédiée.

Le Prétoire pose la question «Que peut Mariam Kaïdama?», avec une photo de Mme le Premier ministre, tandis que L’Aube et L’Essor proposent tous deux, concernant les récompenses accordées par le Chef de l’Etat aux basketteuses cadettes, une photo de groupe. Les lauréates avec le Président pour L’Essor et avec le Président et le Premier ministre pour L’Aube. Le Malien met à la Une Mme Konté Fatoumata Doumbia, Maire de la Commune I, pour illustrer le titre «Affaire de la Décharge de Doumanzana, Deux personnes arrêtées par Mme Konté» (re-sic). Seul Le Challenger, avec un article sur Femmes et politique au Mali, le calvaire d’être Maire, propose un photomontage des édiles féminins maliens et un contenu dédié.

Le contenu relatif aux femmes, au sens large, outre les articles déjà cités de L’Essor, de L’Aube, du 26 mars, du Challenger, du Prétoire et du Malien, se décompte comme suit :

– Un papier sur la semaine mondiale de l’Allaitement maternel (Amadou Coulibaly) dans le Malien,

– Une présentation de Mme Doumbia Niamoye Touré de la Cour Suprême (Ibrahim Guèye) et un article sur la visite de Mme Touré Lobbo Traoré dans le Méguétant (Destin Gnimadi) dans le Prétoire, tous les deux avec photo,

– 2 articles people sur Lady Gaga et Amy Winehouse (depêches d’agences) dans Nouvel Horizon, avec photos,

– L’histoire «D’une morte» (Boubacar Sankaré) dans 26 mars, plus une photo de Mme Adame Ba Konaré,pour l’article sur la Fondation Partage

– Un article sur les congés «forcés» du gouvernement (Hamidou Togo), une Afrique infos sur le repassage des seins des jeunes filles au Cameroun, une Inter info sur l’affaire DSK-Diallo, intitulée «La guerre par femmes interposées ne faiblit pas», un article sur les équivalences des diplômes citant Moussokoura dite Halima Sangaré (Sidi Dao) et un autre sur les élus qui fuient leur responsabilité, parlant du Maire de la Commune I concernant la décharge de Doumanzana (Sikou Bah) dans Info Matin,

–  Un article sur la condamnation d’un maire opposé à des vendeuses de poisson, un sur les équivalences de diplômes (Kassoum Théra, cf supra), un sur les 16 millions offerts aux championnes de basket ball (ABH) et un autre sur la Fondation pour l’Enfance (ABH) dans L’Indépendant, avec 4 photos,

– Un texte sur Mme Touré Lobbo Traoré (En Hausse) dans Le Républicain, avec photo,

– Un article sur les équivalences de diplômes, un sur l’argent frais et les mots reçus par les Cadettes et les Aigles XV (Boubacar Diakité Sarr), un sur le point de la situation du choléra fait par la DNS (Idrissa Sako), avec une photo de la ministre de la Santé, un article sur les dépenses publiques et l’outil du MIIC, avec une photo de Mme la ministre, dans Les Echos,

– Un article sur la solidarité à Koulikoro (Kandia Coulibaly) avec une photo de Mme Touré Lobbo Traoré et deux photos des Aiglonnes dans L’Aube,

– Un article avec deux photos sur la célébration de la Panafricaine des femmes (Ousmane Ballo et Drissa Togola) et un article sur La Fondation pour l’Enfance à Koulikoro (Lanfia Sinaba), avec deux photos de Mme Touré Lobbo Traoré, dans le Challenger.

Tous les articles listés ci-dessus sont au masculin, excepté celui de Kandia Coulibaly de L’Aube! Il faut souligner que, dans tous les textes, les femmes sont valorisées, en tant qu’interlocutrices principales (initiatrices de l’action, intervenantes au micro) sauf deux femmes «politiques», Mme le Premier ministre et Mme le Maire de la Commune I, dont on parle mais qui ne s’expriment pas. Dans le même temps, pour l’ensemble des journaux, sur 122  «papiers maison» il y en a 6 signés par des femmes, dont 2 stagiaires. Ils portent sur la solidarité à Koulikoro, Secret de femme: et si l’on préparait juste ce que nous pouvons consommer, le CA de l’ANPE, Images et mémoire au service de la recherche, l’épidémie de choléra en 5ème et 6ème région et la cérémonie de prières pour la paix en Côte d’Ivoire. Seul le texte sur le Conseil d’administration de l’ANPE et celui sur Images, mémoire et recherche ne portent pas sur des sujets dits «sociaux».

Pour terminer, ajoutons ces quelques chiffres, portant toujours sur les 11 organes cités ci-dessus. Lorsque l’Ours est à jour et découpé en desks, les journalistes femmes sont chargées des Sciences et Questions de genre, Education et Santé, Poste et Nouvelles Technologies (L’Indépendant) ou Genre et technologie (Info Matin). Aucune d’entre elles n’est signalée à un poste de direction (le cas de L’Essor est à singulariser) et peu ont signé un contrat avec leur employeur, tout comme leurs collègues hommes…

 

Ramata Diaouré 


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