Les publications numériques ne sont pas encore règlementées dans notre pays. Ce qui ouvre la voie aux mauvaises pratiques et autres dérives qui jurent avec les règles d’éthique et de déontologie du métier
A l’origine, les Technologies de l’information et de la communication (TIC) étaient la chasse gardée des forces armées américaines. A partir des années 2000, les TIC se sont démocratisées. Avec l’évolution, elles s’ouvrirent à d’autres domaines : médecine, transport, agriculture, éducation, communication, journalisme, etc.
C’est ainsi que les TIC ont fait irruption dans notre vie quotidienne et bouleversent aujourd’hui nos habitudes souvent avec des outils pratiques, performants et presque accessibles à tous. Le monde du journalisme et les médias en général n’échappent pas à la révolution du numérique. Les réseaux sociaux que les TIC ont engendrés, provoquent un grand chambardement au niveau de la production et de la diffusion de l’information.
Les médias traditionnels (journaux en papier, radios, télévisions) n’ont plus le monopole de l’information. Ils en sont réduits à courir derrière l’évolution imposée par les TIC. C’est ainsi que tous les médias dits traditionnels, grands et petits, se sont mis aux réseaux sociaux. Difficile d’imaginer aujourd’hui un journal, une chaîne de radio ou de télévision sans ses comptes Twitter, Facebook, WhatsApp. Ces efforts ont pour but de garder la main alors que le monopole de la parole publique est en train de leur échapper.
Qu’est-ce que les TIC ont apporté au quatrième pouvoir ? Mamadou Diarra est directeur de publication de Maliweb, ce portail web qui compte aujourd’hui plus d’un million de visiteurs par mois. Le journaliste web se souvient : « Avant l’avènement des TIC, des secrétaires faisaient la saisie des articles que les journalistes rédigeaient à la main. Les metteurs en page entraient en action pour la composition. Ce travail se faisait sur des machines trop lentes ».
Aujourd’hui, les TIC ont, selon lui, rendus faciles la production et la diffusion de l’information. A titre d’exemple, Mamadou Diarra se réjouit du fait que le journaliste dispose d’outils nécessaires pour rédiger son article sur le lieu du reportage et l’envoyer à sa rédaction. Les ordinateurs sont, à cet effet, équipés de logiciels de saisie, de correction et de mise en page, explique-t-il.
ACCÈS FACILE À L’INFORMATION– Pour Salif Camara, jeune blogueur, les TIC ont permis d’élargir le champ d’action du journalisme. De nouvelles spécialisations ont vu le jour : Journaliste reporter d’images (JRI), blogueur, etc. Toute chose ayant permis de libérer davantage la parole, en facilitant l’accès de tous à l’information. Aussi, le citoyen est devenu son propre média. A l’aide de son Smartphone, le citoyen peut diffuser des informations souvent inaccessibles aux médias traditionnels.
Pour la présidente de l’Union internationale de la presse francophone (UPF), les technologies ont modifié les styles d’écriture journalistique. Ramata Diaouré précise que la rédaction d’un article web est différente de celui d’un journal classique. L’élément audiovisuel destiné au web n’est pas le même que celui destiné à la télévision ou de la radio, ajoute-t-elle.
Ainsi, pour mieux préparer les futurs journalistes aux métiers du numérique, l’École supérieure de journalisme et des sciences de la communication (ESJSC) a intégré à son cursus des modules liés aux TIC. Objectif : préparer les étudiants à se familiariser avec les technologies, explique le directeur des études. Bréhima Camara de préciser que l’ESJSC dispose d’une salle de Publication assistée par ordinateur «PAO» et d’un studio mixte (télé et radio) pour la formation pratique des étudiants.
FAKE NEWS- La facilité dans la production et la diffusion de l’information a ses inconvénients car elle conduit à des dérives sur les réseaux sociaux : chantage, montage photo, cyber attaques, etc. Comme une médaille, les TIC ont aussi leur revers. En la matière, Mamadou Diarra déplore l’envahissement progressif des médias par les «Fake news» autrement dit des fausses informations. S’y ajoute, parlant du cas spécifique du Mali, la multiplication des sites d’information personnalisée ou de groupes WhatsApp. A travers lesquels, les gens s’informent plutôt que d’aller sur les sites dédiés à l’information, déplore-t-il. Il s’insurge aussi contre le fait que « aucune production numérique n’est à l’abri du copier-coller ».
Au Mali, les publications numériques ne sont pas règlementées, ajoute la présidente du Conseil éthique et déontologie des paires à la Maison de la presse du Mali. Ainsi, un individu malintentionné peut du jour au lendemain faire chanter ou truquer les informations personnelles d’un internaute, sans être inquiété. La secrétaire de rédaction de l’hebdomadaire gratuit «Journal du Mali» a aussi déploré le fait que plusieurs directeurs de publication donnent eux-mêmes leurs productions aux sites web d’information, espérant avoir plus de lecteurs, en retour. Sans le savoir, «ces directeurs font gagner de l’argent gratuit aux propriétaires de ces sites, qui monétisent leurs plateformes», prévient-elle, avant de déplorer le cas de sites d’information qui se contentent de copier et coller le travail des confrères.
Ce désordre se nourrit de la non règlementation du journalisme web dans notre pays. D’où la création de «Appel Mali», une association qui entend pousser les autorités à légiférer sur la presse en ligne. Un projet de loi a été déjà soumis dans ce sens par l’association au département en charge de la communication. Des discussions sont aussi entamées avec le président de la commission Lois de l’Assemblée nationale du Mali, Zoumana N’tji Doumbia, a relevé le patron de Maliweb.
Face à ces soucis, Ramata Diaouré rappelle l’existence d’un texte au niveau de la Maison de la presse. L’utilisation des contenus d’autrui doit lui être rétribué. Car, selon la journaliste, il est anormal que les promoteurs de sites internet d’information gagnent de l’argent avec des contenus qu’ils n’ont pas produits.
Pour faire face aux fausses informations qui polluent sur la toile, Ramata Diaouré révèle l’existence de sites dédiés permettant de vérifier n’importe quelle information, photo ou vidéo publiée sur Internet. Elle cite à ce propos les moteurs de recherche «Google», «Décodex» etc. Ce dernier permet par exemple de vérifier les sources d’information, les pages Facebook, de dénicher les rumeurs, etc. Toutefois, la seule garantie du journaliste est de toujours garder à l’esprit les règles d’éthique et de déontologie du métier, quelque soit le support de traitement et de diffusion, rappelle notre consœur.
Amadou B. MAÏGA