La République du Mali est désormais devenue République de l’Azawad. En tout cas aux deux tiers, depuis que le MNLA et son grand-frère, Ansar Dine, ont planté leurs tentes dans les régions de Gao, Tombouctou et Kidal. Comme l’Azawad n’a pas de Constitution, encore moins de gouvernement, la liberté de la presse ne peut y être reconnue. Par effet de contagion donc, Mali et Azawad s’entendent pour casser la pipe aux journalistes.
A tout seigneur, tout honneur. Notre confrère Abdramane Kéita, du journal Aurore (le deuxième journal à voir le jour en 1990), a reçu une visite de courtoisie d’hommes en uniforme. Le compère, qui ne ratait pas une occasion de dire tout le bien qu’il pensait des militaires, a eu droit à un festin digne des rois avec, au menu, quantité de coups de gourdin et de bottes. Il en a été quitte pour un bon séjour en clinique. Histoire de corriger son vocabulaire et ses pensées politiques envers les militaires.
Habi Baby, un confrère promoteur de La Caravane et de Pays émergent, est abonné aux disparitions et aux enlèvements. Il ne se passe pas de semaine sans que le pauvre soit braqué au détour d’une rue puis conduit, par la culotte (s’il vous plaît), dans un lieu inconnu où une foule d’hommes en uniforme l’arrose de questions et d’injures. Heureusement pour lui, il reparaît toujours, sans un œil en moins. A croire qu’avant de le remettre en circulation, les ravisseurs confient toujours Baby aux médecins français du Val de Grâce (les mêmes qui ont soigné un bastonné célèbre de Koulouba).
Sory Haidara, directeur de publication de La Nouvelle Patrie, a eu droit, lui aussi, à un traitement de faveur. Ses écrits, sans doute trop mielleux aux yeux des militaires, lui ont valu un enlèvement en première classe et une conduite, sous bonne garde, dans un lieu secret où des hommes cagoulés lui ont donné des leçons musclées. Par ces temps de guerre, en effet, seules les leçons musclées méritent d’être enseignées dans les écoles d’enlèvement. Au jour d’aujourd’hui, Haidara est entré en clandestinité. Pourvu qu’il garde le souvenir de son journal…
Birama Fall, directeur du Prétoire, a raté de peu un rendez-vous avec les gens cagoulés. C’est son téléphone qui l’a sauvé puisqu’en l’écoutant clandestinement, des hommes en uniforme l’ont promptement interpellé pour lui interdire d’écrire ce qu’il voulait écrire. Un délit d’intention en somme. Comme Birama n’est pas très têtu et qu’il sait de quoi un bâton et des bottes sont capables, il a tu ce qu’il devait écrire et a eu le dos sauf.
Saouti Haidara, directeur de l’Indépendant, s’est montré plus bavard. Ses analyses démocratiques et antimilitaristes plaisaient tant en haut lieu qu’elles lui ont valu un transport de première classe – et gratuit, bien sûr – dans la brousse. Là, on lui a bien dit que son cas va servir de leçon aux autres journalistes et à tous ceux qui emmerdent le monde. En fait d’exemple vivant à donner, Saouti a eu le bras cassé et le crâne couvert de bosses. C’est vrai que dans cet état, on perd tout sens de l’analyse et qu’on a mille chances de ne pas faire d’adeptes. Ou de talibés, selon qu’on est au Mali ou dans la République terroriste de l’Azawad.
Saouti est sans conteste le roi des bastonnés nocturnes. Lui au moins a eu droit à un reportage de l’ORTM (la télé nationale) et même, honneur insigne, à une visite de condoléances de trois ministres (excusez du peu!): celle du ministre des sports (sans doute pour lui apprendre à fuir en cas de nouvelle attaque ); celle du ministre des Maliens de l’extérieur (peut-être pour lui donner l’idée de rejoindre le “Vieux Commando” à Dakar?) et, enfin, la visite du ministre du commerce et des mines, histoire, peut-être, de lui apprendre à se reconvertir en marchand de bopis opu en orpailleurs au cas où il quitterait la presse.
Le comble, c’est qu’aucune des agressions n’a suscité d’enquêtes ni de jugement. Il est vrai qu’on ne peut condamner des cagoules ni des uniformes, n’est-ce pas ? Il est vrai aussi que les journalistes battus ont un illustre devancier en la personne du président de la transition lui-même! En attendant notre tour, que nous espérons lointain, Procès-Verbal souhaite prompt rétablissement aux blessés de la guerre nocturne et prie pour que les plumes agressées ne meurent pas de leur belle mort. De mémoire de Malien et d’Azawadien, jamais un bâton, si gros soit-il, n’a vaincu une plume.
Tiékorobani