Cette carrière a débuté au Sénégal en 1963 comme étudiant malien à la Faculté de journalisme (ancêtre du prestigieux Cesti) de l’Université de Dakar. A la fin, c’est à Paris, en 2018, comme ambassadeur du Mali. L’itinéraire, c’est l’inverse du fabuleux « Rallye Paris-Dakar ». Un parcours professionnel dans le sens contraire de la très célèbre et aventureuse course auto-moto intercontinentale. Cheick Mouctary Diarra fut plutôt un journaliste, triplé de politicien et de diplomate, qui connaît bien les deux bornes de sa carrière tridimensionnelle. A 79 ans, il est le doyen de la presse malienne. Depuis janvier dernier, il se trouve définitivement à la retraite pour un repos bien mérité, après 55 années d’une vie pleinement menée dans le paysage médiatique et africain, sur l’échiquier politique national et dans les coulisses diplomatiques. Grand journaliste, futé acteur politique et rusé diplomate, « Cheick » (pour les intimes) ou « Tiéfing » (son nom de plume de billettiste) fut un grand professionnel qui a su allier vivacité d’esprit et talent d’écriture, combiner clandestinité politique et collaboration administrative, ménager les susceptibilités individuelles des personnalités au tempérament distinct. Si l’homme cultive de nos jours la simplicité, son itinéraire reflète une atypique complexité. Il appartient à ce groupe d’intellectuels, militants des partis clandestins, à pouvoir animer dans la plus grande discrétion l’opposition politique. Paradoxalement, ce groupe de cadres fonctionnaires savaient assumer des responsabilités dans les rouages administratifs. Cette sorte de tour de force politico-administrative, Cheick Mouctary l’a réussie, non sans peine de compromis frisant souvent la compromission. Une réussite forgée dans une constante discrétion au service permanent de l’efficacité. C’est le fruit de 55 années de présence dans le paysage médiatico-politico-diplomatique. Une longue présence effectuée sur un itinéraire parcouru par un modèle de journaliste à la plume perçante, d’un prototype de politicien tacticien et d’un exemple de fin diplomate. Retour sur un parcours complexe, mais impressionnant.
A 79 ans bientôt révolus le 8 juin prochain, ce natif de Ségou affiche un port qui inspire la candeur. Toujours tout de blanc vêtu en boubou Bazin, Cheick Mouctary Diarra promène partout sa chevelure chenue. Mais, nous témoigne un de ses congénères de jeunesse, « Tiéfing » (l’homme noir) a eu pendant longtemps les cheveux plus sel que poivre depuis l’adolescence.
Avec son accoutrement de blancheur immaculée, le septuagénaire ne tarit pas de formules de bénédictions faites de références divines avec le souhait, pour ses interlocuteurs surtout jeunes, de la santé, du bonheur et du succès entrepreneurial ou simplement professionnel. Cette posture actuelle de « Cheick » traduit la sagesse d’un expérimenté commis de l’Etat qui a passé près de 55 ans cumulés sur les fronts stressants du journalisme d’Etat, les champs minés de la politique politicienne et dans les convenances diplomatiques.
En août 1995, le président Alpha Oumar Konaré nomme l’un de ses influents conseillers, Cheick Mouctary Diarra, au poste d’ambassadeur du Mali au Sénégal, en Gambie et au Cap-Vert, avec résidence à Dakar. Une nomination aux relents de calculs géopolitiques visant à réchauffer l’axe Bamako-Dakar. Il y avait un froid depuis quelques mois quand le chef de l’Etat malien a, dans un sursaut d’orgueil nationaliste et souverainiste, bruyamment refusé d’aller dans la capitale sénégalaise à la rencontre groupée des présidents d’Afrique francophones invités pour prise de contacts avec le nouveau président français Jacques Chirac.
Le « non » retentissant du président Konaré a heurté les susceptibilités du président Abdou Diouf, l’hôte de cette extraordinaire rencontrée groupée. Les relations Mali-Sénégal ont failli en prendre un coup préjudiciable au bon voisinage. Pour y parer au plus pressé, le cadet Konaré tente de se racheter auprès de l’aîné Diouf. Pour y parvenir, choix fut porté sur l’ancien étudiant malien de Dakar, Cheick Mouctary Diarra. Celui-ci avait surtout l’avantage d’avoir des promotionnaires de l’Université de Dakar dans le proche entourage du chef de l’Etat sénégalais. Ou d’autres amis en service dans la haute administration du pays de la Teranga. La trouvaille porte fruit.
Très rapidement, le fil du dialogue est renoué entre Bamako et Dakar. De par son entregent, l’ambassadeur Diarra parvient à peser dans la venue aux bords du Djoliba du président Diouf. Le 20 juin 1996, celui-ci passe quelques heures à Bamako dans le cadre d’une « visite d’amitié et de travail ». Les retrouvailles sénégalo-maliennes sont désormais scellées pour un nouveau départ des relations bilatérales. Et Cheick Mouctary Diarra peut quitter Dakar, fin décembre 1997, en raison de son admission à faire valoir ses droits à la retraite.
Il passe ensuite dans l’ombre plus de 15 années durant dans les consultations. Il est moins actif dans les activités politiques. Mais, en juin 2006, il figure parmi les premiers signataires du « Manifeste de l’Adj ». Cette Association pour la démocratie et la justice est une initiative de son ex-camarade du Pmt (parti clandestin), le regretté Pr. Abdoul Traoré dit Diop (qui fut médecin personnel du président Alpha O. Konaré). Ledit Manifeste s’est voulu un cri de cœur critiquant sévèrement l’affaiblissement du fait partisan sous la gouvernance du président Amadou Toumani Touré (ATT).
Au renversement du pouvoir de celui-ci en mars 2012 par un coup d’Etat militaire, le Mali est plongé dans une grave crise multidimensionnelle nécessitant l’implication de l’Onu pour la stabilisation du pays. Dans ce cadre, en 2013, Cheick Mouctary Diarra revient dans la diplomatie déployée dans la gestion de la crise multidimensionnelle au Mali. Grâce à son ami et ancien camarade de l’Université de Dakar, l’historien et l’homme politique sénégalais Abdoulaye Bathily qui était l’adjoint du chef de la Minusma à Bamako, Cheick Mouctary se retrouve auprès du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Mali comme conseiller politique en 2013.
Distinctions honorifiques
Quelques mois plus tard (mars 2014), le président IBK le nomme ambassadeur du Mali en France (couvrant notamment le Portugal, le Vatican, l’Ordre souverain de Malte et l’Organisation internationale de la Francophonie). Il présente ses lettres de créance au président François Hollande le 8 juillet 2014. Il reste à sa résidence de Paris jusqu’en janvier 2018 où il est remplacé par un autre ancien journaliste devenu aussi diplomate, Toumani Djimé Diallo.
Pendant son séjour parisien, avec tact diplomatique, l’ambassadeur Cheick Mouctary Diarra marque à son actif l’organisation maitrisée de multiples séjours (officiels et privés) du président IBK aux bords de la Seine. Fait inédit dans les relations franco-maliennes : le président Hollande accueille, les 20-22 octobre 2015, le président IBK en visite d’Etat. Une première, chaleureusement magnifiée de part et d’autre.
Cette « visite d’Etat dont la solennité a été sans égale, a conforté le retour du Mali sur la scène internationale et la réaffirmation de l’engagement de la France et de la communauté internationale à accompagner notre pays dans la réalisation de ses objectifs de paix et de développement », s’est réjoui l’ambassadeur Diarra. Deux mois plus tard, les autorités françaises décernent au diplomate malien la distinction honorifique de « Commandeur de l’Ordre national de la Légion d’honneur ». Distinction qui s’ajoute à celles de son pays. Cheick Mouctary Diarra a été distingué Officier (2002) ensuite Commandeur (2009) puis Grand officier (2016) de l’Ordre national du Mali. Des distinctions honorifiques dignes de véritables serviteurs de l’Etat. Ses mérites personnels qui ont forgé sa riche carrière sont honorés valablement par la nation reconnaissante pour d’immenses services rendus au pays.
Avant d’être lancé dans la diplomatie par le président Alpha Oumar Konaré, le journaliste Cheick Mouctary Diarra officiait aux côtés de celui-là au poste stratégique de conseiller aux relations publiques dont les attributions recouvraient la communication présidentielle dotée d’un bureau de presse animé par deux journalistes fonctionnaires (feus Soumana Touré et Kader Dansokho).
A Koulouba, l’une des premières épreuves des communicants présidentiels a consisté à rassurer leurs confrères et anciens collègues de l’Amap où l’on s’inquiétait d’une probable privatisation de « L’Essor ». Les inquiétudes découlaient des interprétations de l’une des propositions faites pendant la campagne électorale par candidat Alpha Oumar Konaré. Dans son projet de société « Une ambition pour le Mali », l’Adéma/Pasj envisageait, dans le domaine des médias, des reformes dont « l’érection des journaux d’Etat en organismes autonomes avec subvention ».
Peu expliquée, cette proposition a été vite assimilée à une volonté de désétatisation du Quotidien national. Des tentatives officieuses de démenti sont apportées lors des rencontres professionnelles de la presse. Et, six mois après son entrée en fonctions, le président Konaré promulgue le 5 décembre 1992 la nouvelle loi portant création de l’Amap, éditrice de L’Essor. Cette structure est désormais érigée en “Etablissement public à caractère administratif (Epa) dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière”. Débats clos.
En plus de ses responsabilités dans la couverture médiatique de l’institution présidentielle, le conseiller aux relations publiques du président de la République avait, en raison de ses rapports privilégiés avec le chef de l’Etat, des attributions non écrites étendues à d’autres aspects de la gestion des affaires présidentielles. Selon un vieil enseignant proche de la famille Konaré, Cheick Mouctary Diarra était le conseiller le plus écouté à Koulouba. Cela se comprend si l’on sait que les deux ont des relations très particulières fondées principalement sur leur long compagnonnage dans le parti clandestin, le Pmt.
« Cheick avait l’oreille d’Alpha », nous dit un observateur très fréquent alors à Koulouba. Il nous indique que c’est Cheick Mouctary qui est à la base de la proposition faite au président Alpha Oumar Konaré de nommer, début février 1994, le ministre des Affaires étrangères IBK (par ailleurs secrétaire aux relations internationales de l’Adéma/Pasj) comme son 3e Premier ministre. Après les départs forcés au bout de dix petits mois pour chacun de deux premiers nommés à cette fonction, notamment Younoussi Touré (9 juin 1992-9 avril 1993) et Me Abdoulaye Sékou Sow (12 avril 1993-2 février 994) qui ont été contraints à la démission par de violentes manifestations de rue.
D’après notre interlocuteur, le journaliste politicien, n’est pas aussi étranger à l’idée de la préférence présidentielle de faire du même IBK, déjà Premier ministre, le nouveau président du Comité exécutif du parti Adéma lors de son congrès de septembre 1994.
Auparavant, pour les besoins de sa campagne à l’élection présidentielle de 1992, le candidat de l’Adéma/Pasj, le Pr. Alpha Oumar Konaré, s’était fait entourer (dans son QG sis en face de la Gare ferroviaire de Bamako) d’un cercle restreint d’état-major électoral comprenant Mme Ly Madina Tall (directrice de campagne), Ibrahim Boubacar Kéita (directeur adjoint, c’est le futur IBK), Cheick Mouctary Diarra (chargé des relations publiques) et Soumeylou Boubèye Maïga (conseiller à la stratégie). Tout en manageant la communication médiatique de son candidat, Cheick Mouctary Diarra a supervisé la parution du bulletin de campagne « Ensemble ». Une supervision qui a quelque peu réduit ses activités éditoriales anonymes dans « Les Echos » et dans « L’Alternance » (organe de l’Adéma).
Dans ces deux journaux, il a promptement signé sous des pseudonymes de nombreuses contributions d’analyse ou quelques articles de riposte à certains commentaires hostiles au parti de l’Abeille et à son candidat, considéré par plus d’un comme le super favori de l’élection présidentielle. Cette position relativement favorable tient en grande partie à la personnalité du Pr. Alpha Oumar Konaré et de l’Adéma/Pasj, un parti déjà bien positionné sur l’échiquier politique en raison notamment de son organisation structurelle menée sur le terrain par des militants au parcours atypique. Des politiciens aguerris exécutant des stratégies forgées par de vieux routiers de la clandestinité politique pour la cause du Parti malien du Travail (Pmt).
D’obédience marxiste, ce parti est issu en 1959 de la scission du Parti africain pour l’indépendance (PAI). Il est entré en semi-clandestinité après l’indépendance acquise par le Mali grâce à l’Union soudanaise Rda sous la direction du président Modibo Kéita. Au pouvoir, l’Us-Rda est devenue un parti unique de fait pendant la Première République (1960-1968). Quand les militaires renversent le régime socialiste de Modibo Kéita, ils interdisent toute activité politique au Mali. Le Pmt s’organise dans la clandestinité sous la conduite des cadres intrépides dont les défunts Pr. Abderahmane Baba Touré et l’ingénieur Kadari Bamba (respectivement 1er et 2e secrétaires).
Etendant ses tentacules dans plusieurs segments de l’administration grâce à la ruse de ses dirigeants non moins fonctionnaires, le Pmt va beaucoup s’activer en cachette durant les années 1970-1980 jusqu’à la chute du président Moussa Traoré, le 26 mars 1991. Tout en animant dans la plus grande discrétion l’opposition politique, des intellectuels et d’autres cadres, militants Pmt, assumaient paradoxalement des responsabilités dans les rouages administratifs. Ils appliquaient ce que leurs détracteurs dénonceront plus tard la « politique de l’entrisme » dont l’objectif visait à « intégrer le système pour le détruire à l’intérieur ».
C’est ainsi que, tout en restant imperturbable dirigeant discret du Pmt, le directeur général de l’Amap, Cheick Mouctary Diarra, a activement pris part à la phase terminale de la naissance du parti unique constitutionnel Udpm : Union démocratique du peuple malien. De septembre 1978 à février 1979, il fait partie des experts désignés auprès de la Commission nationale préparatoire du congrès constitutif (Cnpcc) de l’Udpm. La Cnpcc élabore les projets de programme du futur parti-Etat (englobant divers domaines de la vie publique et différentes politiques sectorielles) ainsi que les statuts et règlement intérieur de l’Udpm, lesquels sont validés par une rencontre dite « Journées préparatoires » organisées du 26 au 28 février 1979 dans la salle de spectacles du stade Omnisports de Bamako (appellation qui avait éclipsé la dénomination « Stade Modibo Kéita » sous le président Moussa Traoré).
Un mois plus tard au même endroit, se tiennent les travaux dudit congrès constitutif (28-31 mars 1979) qui adoptent tous les documents cités ci-dessus. Le journaliste et Dg de l’Amap, Cheick Mouctary Diarra, fut le rapporteur général des travaux dudit congrès. Lequel adopte plusieurs résolutions de politique d’orientation générale ainsi que de politiques sectorielles. Dans le domaine de l’information, les congressistes de l’Udpm naissante demandent, entre autres : « le développement planifié des moyens d’information et la démocratisation de ces moyens ; le respect de la liberté de la presse et de l’information ; la protection des citoyens contre l’information écrite, parlée ou filmée sans valeur éducative dans le sens de la dignité de notre pays ». D’après un ancien journaliste de L’Essor, ces résolutions ont été fortement inspirées par Cheick Mouctary Diarra.
Partis politiques clandestins
Après avoir contribué à la montée aux affaires d’Etat de l’Udpm en 1979, le journaliste et opposant clandestin va, une douzaine d’années plus tard, participé à la chute du même parti unique constitutionnel. Une chute obtenue au bout des agissements au sein des structures politico-médiatiques qui donneront le coup de grâce audit parti-Etat. Au compte du Pmt, Cheick Mouctary a pleinement joué un rôle majeur dans le processus de création du parti Adéma, issu des formations politiques évoluant dans la clandestinité.
En 1990, ce processus s’est formellement opéré à travers la rédaction d’un « Appel au peuple malien » (mai) ensuite d’une « Lettre ouverte au président de la République » (7 août). Les premières moutures desdits documents ont été conçues par le vieux journaliste qui les a partagées pour amendement et adoption avec des camarades d’autres partis clandestins, notamment le Parti malien pour la révolution et la démocratie (Pmrd) et l’Union soudanaise-Rda. Par la suite, tous ces militants en cachette tactique ont constitué un Comité de soutien à la Lettre du 7 août qui réunira les conditions de naissance, le 24 octobre 1990, de l’association Alliance pour la démocratie au Mali (Adéma). Laquelle et d’autres organisations (Cnid, Amdh, Untm, Aeem, Ajdp, Jld, Adide) et le Barreau malien vont former un « Mouvement démocratique » qui va occasionner le renversement du président Moussa Traoré et son régime de parti unique Udpm, balayés par le coup d’Etat militaire du 26 mars 1991, dirigé par le lieutenant-colonel ATT.
Quelques mois après ce changement de régime opéré à travers une véritable Révolution démocratique durement réprimée dans le sang, le Mouvement démocratique perd un de ses grands combattants de l’ombre : le Pr. Abdoulaye Barry, leader du Pmrd, décédé le 22 septembre 1991. Pour avoir cheminé avec lui dans les différentes initiatives aboutissant à la création de l’Adéma/Pasj, Cheick Mouctary Diarra a tenu à rendre un vibrant hommage appuyé à cet « homme de cœur [dont] l’aura du personnage ne tenait pas seulement à l’importance de sa personnalité au plan politique mais aussi à la chaleur de la personne et à la dimension amicale, fraternelle et gouailleuse qu’il a su inculquer à tous ses rapports avec autrui. Abdoulaye Barry avait les pieds sur le terreau de notre culture et la tête dans les étoiles de nos rêves de justice ».
Avec de tels rêves, l’expérimenté journaliste fonctionnaire a su faire montre d’intelligence dans son attitude d’opposant collaborateur d’un pouvoir qu’il a combattu traduisant ainsi une certaine complexité dans l’itinéraire professionnel de Cheick Mouctary Diarra bien mis en exergue dans une présentation faite de lui par un « ami des Maliens », le journaliste français Thierry Perret dans ses différents écrits sur les médias maliens.
Jadis correspondant de RFI à Dakar et qui a pu vivre, à Bamako, les deux dernières journées de soulèvement populaire ayant abouti à la chute du président Moussa Traoré en mars 1991, il est l’auteur d’un ouvrage « le Temps des journalistes » (Karthala, 2005), traitant notamment le cas de l’Afrique francophone. Le journaliste français note : « Le Mali est un pays fortement politisé. Sous le régime [du] général Moussa Traoré (23 ans de pouvoir) qui avait pourtant réduit l’expression politique, les partis issus de la mouvance socialiste ont continué clandestinement à entretenir un idéal militant, nourri au fil des années par les nouvelles promotions d’intellectuelles fortement teintées de marxisme que l’on retrouve à tous les niveaux de l’administration […] Un journaliste a traversé toute cette période dont il résume la complexité. Cheick Mouctary Diarra reçoit d’abord […] une formation d’instituteur. En 1963, il est à Dakar où il inaugure à l’université la toute neuve filière en sciences et techniques de l’information (le futur Cesti). Militant actif dans les organisations étudiantes du Sénégal, après un stage en France (au journal la République du Centre) en 1966, il se trouve à Dakar lors des graves troubles universitaires [prolongement de Mai 68] que le président Senghor réprime rudement. Diarra choisit l’exil… jusqu’au Dahomey [l’actuel Bénin]. Puis, c’est le retour à Bamako en 1970 où il entre à L’Essor, le quotidien national héritier de l’ancien bulletin de l’Union soudanaise RDA. Dirigé […] par le ministère de l’Information, L’Essor réunit une équipe surtout composée d’instituteurs et de militants où Cheick Mouctary Diarra est le seul journaliste diplômé de l’enseignement supérieur ».
Sur cet épisode, une « révélation » contraire a été donnée par le regretté M. K. (qui avec feu Koléssiro Cissé sont les premiers étudiants boursiers maliens à décrocher le diplôme de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille en 1969). Journaliste malien d’origine guinéenne, M. K. fut l’une des meilleures plumes que le pays ait connues. Il fut collaborateur de Cheick Mouctary Diarra à L’Essor entre 1972 et 1979 avant d’être l’un de ses contempteurs irréductibles au début des années 1990.
Dans certains journaux privés (1992-1995) et surtout devant des jeunes journalistes dans la cour de l’Amap ou en session de formation, il n’a eu cesse de signaler que « Cheick n’ayant pas effectivement terminé ses études, n’a pas de diplôme de journaliste. Car, de la France, il est rentré précipitamment au pays sur insistance d’un parent officier, pressé de lui confier des responsabilités à L’Essor » après le changement de régime politique au Mali le 19 novembre 1968. Ce parent était un membre influent du Cmln, groupe d’officiers auteurs du coup d’Etat militaire qui a mis fin au pouvoir du président Modibo Kéita.
Sur la véracité de ces « révélations », Cheick Mouctary fut, un jour d’avril 1993, curieusement interrogé par un groupe de jeunes reporters, dépêchés au palais de Koulouba pour couvrir la cérémonie de publication de la liste du gouvernement du Premier ministre Me Abdoulaye Sékou Sow. Le concerné, alors conseiller présidentiel chargé des relations publiques, a sereinement affiché un sourire d’assurance, en affirmant en substance ne pas vouloir « perdre son temps à répondre ou à réagir aux médisances qui ne nous font pas avancer ».
Malgré cette « histoire de diplôme » (qui est d’ailleurs un débat intra-professionnel de presse jamais épuisé sous plusieurs cieux), on ne saurait nullement évoquer l’histoire de la presse malienne de ces cinq dernières décennies sans citer l’impressionnant parcours de Cheick Mouctary Diarra. Celui-ci peut raisonnablement être fier de ses 55 années de présence dans la presse, dans la politique et dans la diplomatie. Ses responsabilités professionnelles commencent le 12 août 1970, avec sa nomination par un arrêté du ministre de l’Information au poste de rédacteur en chef de L’Essor.
Il devient ainsi le premier répondant éditorial du quotidien d’Etat dont le directeur de publication est, de fait, le ministre de tutelle car le journal affiche en sous-titre qu’il est « publié sous la direction du Comité militaire de libération nationale », l’organe suprême dirigeant du pays. Rédacteur en chef de L’Essor pendant sept ans (1970-1977), il est promu directeur de l’Agence malienne de presse et de publicité, un nouveau service désormais éditeur du Quotidien national. De ses fonctions précédentes, Cheick Mouctary Diarra tire les enseignements suivants en déclarant que « l’expérience d’un rédacteur en chef, c’est tout d’abord celle d’un journaliste qui pratique dans la mesure où il est chargé de produire des articles, d’informer à travers le médium qui lui est confié. En plus de cette tâche de production, il y a une tâche de coordination qui consiste à rassembler une équipe de journalistes et de la faire travailler sur des domaines précis. L’expérience est absolument positive en ce qui me concerne parce qu’elle éclaire sur la nature même du journalisme qui est d’abord fondamentalement un travail d’équipe ».
Fort de cette expérience, il s’attaque à ses nouvelles occupations directoriales car, le 19 juillet 1977, dans le cadre de la restructuration des services relevant du ministère de l’Information, c’est la création par décrets de trois nouvelles entités : le Centre national de production cinématographique (Cnpc), la Radiodiffusion nationale du Mali (Radio-Mali, nouveau statut) et l’Amap.
Lourde machine administrative
Créée (décret n°77-133/PG-RM) sous l’autorité du ministre chargé de l’Information, l’Amap est un service public qui « a pour mission d’assurer la collecte des nouvelles nationales et internationales ; de concevoir et d’assurer la réalisation de tous périodiques, journaux, bulletins et toutes autres publications d’informations assimilables ; d’organiser et de promouvoir la publicité sous toutes ses formes sur toute l’étendue du territoire de la République du Mali ». Le même 19 juillet 1977, sont nommés les directeurs de ces trois services : Modibo Diarra (journaliste et futur ambassadeur du Mali à Cuba) au Cnpc ; Alphonse Sagnian Berthé (journaliste, ancien de L’Essor) à Radio-Mali et Cheick Mouctary Diarra, directeur de l’Amap. Laquelle remplace l’Agence nationale de l’information au Mali (Anim, créée en 1962) dont « Cheick » était le Dga.
A la tête de la nouvelle Agence, il est principalement « responsable de l’ensemble des activités de l’Amap », organisée en trois divisions chargées des publications (L’Essor en français et Kibaru en bamanakan), de la télégraphie (gestion des télescripteurs de réception et de diffusion des dépêches d’agences de presse internationales) et de la publicité.
Analysant le fonctionnement structurel de l’Amap, le chercheur-doctorant (1982) Sidiki N’Fah Konaté trouve que ce service « apparait comme une lourde machine administrative qui étouffe les énergies humaines et gaspille les maigres moyens matériels qui sont mis à sa disposition. […] Le directeur Cheick Mouctary Diarra (…) ne semble occuper en réalité qu’un poste honorifique dans la mesure où, juridiquement, il ne dispose d’aucun moyen pour prendre des initiatives. Placé entièrement sous l’autorité du ministre de l’information, son rôle consiste essentiellement au sein de l’Amap en une fonction de conception, d’animation, de coordination générale et de contrôle ».
En 1985, la division télégraphique est transformée en Agence de presse grâce à l’Unesco qui menait depuis 1980 le combat du Nomic (Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication) pour plus d’équilibres dans les échanges d’information entre le Nord et le Sud. En effet, les grandes agences internationales des pays industrialisés (USA, France et autres) inondaient à leur guise et selon leur prisme d’appréciation les canaux des nouvelles imposées aux pays du Tiers-monde dont les agences de presse étaient d’une capacité de production et de diffusion très faible à l’échelle planétaire.
Pour mettre fin à ce déséquilibre criard, le Nomic est prôné par l’Unesco, dirigée par le Sénégalais Amadou Makhtar M’Bow. C’est ainsi que fut créé en 1984 le Projet de développement des agences de presse nationales de l’Afrique de l’Ouest (Wanad, en anglais). Dans ce cadre, l’appui financier de la coopération allemande a permis au Mali de mettre sur place sa propre agence nationale de presse. Expliquant la création de cette nouvelle division de l’Amap, le directeur Cheick Mouctary Diarra indique : « L’Agence est en fait le soubassement par lequel nous aurions dû commencer. Au lieu de cela, nous avons construit notre pyramide par le haut. Avec la création de la télévision [lancée en septembre 1983], l’Agence est à présent le chainon manquant à l’ensemble de notre système d’information. La carence palliée, nous pourrons recevoir tous les jours les nouvelles de toutes nos régions. Et chaque région pourra être quotidiennement imprégnée des problèmes des autres régions ».
Au cours de ses 20 années passées à L’Essor et l’Amap (août 1970-juin 1990), Cheick Mouctary, rédacteur en chef puis directeur, a animé lui-même une chronique des billets « Pourquoi ne pas le dire ? », publiés à la une de L’Essor avec la signature du surnom Tiéfing. L’observateur étranger Thierry Perret rappelle que cette « rubrique d’humeur […] s’attaque sur un ton assez leste aux problèmes de vie quotidienne ». Il cite le billettiste Tiéfing qui lui signale que « les articles étaient lus et commentés jusqu’en conseil des ministres. […] ce n’était pas la langue de bois, mais les journalistes restaient prudents. Nous étions un organe du Cmln, donc nous appliquions les décisions ». Lesquelles confinaient L’Essor dans la publication des informations aseptisées car peut-on lire dans « Le Temps des journalistes », pendant cette période, le quotidien national « devait sacrifier avant toute chose au rituel des communiqués officiels, des annonces de déplacement du chef de l’Etat, des comptes rendus du conseil des ministres avant d’aborder des sujets moins sensibles […] »
Face à cette situation qui anesthésie les inspirations individuelles des journalistes, deux d’entre eux, Gaoussou Drabo et Mamadou Kaba, deux plumes talentueuses, ont la trouvaille des initiatives aux relents émancipateurs en proposant respectivement la création de Podium (sports et culture) et Sunjata (société et économie). Propositions concrétisées sous la houlette du directeur Cheick Mouctary Diarra. En juillet 1977, la double page hebdomadaire « Supplément sportif et culturel » se mue en hebdomadaire Podium sous la rédaction en chef de G. Drabo. Celui-ci explique au doctorant Sidiki N’Fah Konaté, le relatif succès populaire de la nouvelle publication sportive : « Etant donné que les informations véhiculées dans L’Essor sont comme un discours incolore, inodore et sans saveur, le public ne s’y intéresse pas. Ce sont toujours les mêmes informations, les mêmes photos des mêmes personnages que l’on trouve dans L’Essor. Avec Podium, c’est différent car les résultats sportifs font partie de l’événement journalistique et même de l’imprévisible […] »
Quant au mensuel Sunjata, il est lancé le 5 juin 1978 sous la rédaction en chef de Mamadou Kaba. Celui-ci, fort du constat que ce magazine nait dans un contexte de forte attente publique de l’information, souhaite dans son éditorial inaugural que ce journal « doit plaire au public, il doit être utile [en réussissant à] combler le besoin de lecture et d’information si profondément ressenti aujourd’hui dans notre pays […] ». Avis partagé par le directeur Cheick Mouctary Diarra : « Sunjata doit être un journal d’information utile pour tous ceux qui veulent connaitre le Mali sur le plan économique, politique, social et culturel. D’une certaine manière, l’on ne peut pas faire du social et de l’économique sans informer le peuple sur ce qui est son travail, sur ce que sont les grands courants, les grandes tâches du développement non seulement édictées par le gouvernement, mais qui sont aussi du domaine public ou […] qui relèvent de la responsabilité collective des populations ».
Tout en se référant à la tutelle du ministère de l’Information, le directeur de l’Amap tient toutefois à souligner que, pour le nouveau magazine, le « choix des thèmes, la manière de les traiter, la façon de présenter le journal [sont un fait qui] appartient à la direction de l’Amap et à la direction de Sunjata. Dans ce cas, il est aussi libre de présenter les problèmes comme n’importe quelle revue africaine. Cependant, nous avons la responsabilité (ceci ressort des lois qui nous protègent et de la déontologie de la presse) d’être objectifs vis-à-vis de l’opinion […] »
A ce propos, avec la tutelle administrative, le contrôle officiel de l’information pose la problématique de la liberté d’expression des journalistes dans un média d’Etat surtout dans un régime militaire. Cheick Mouctary Diarra a un avis rassurant : « Je pense que la liberté d’expression tient au journaliste. Nous avons eu plusieurs fois l’occasion d’entendre les plus hautes autorités du pays dire que ce sont les journalistes qui sont timorés et que de toute façon, elles n’ont jamais arrêté un journaliste pour avoir exprimé une idée contraire à celle favorable au gouvernement. Je pense donc que cette liberté existe, mais elle existe dans les limites de la légalité, c’est-à-dire dans les limites du respect de l’Etat. Nous avons eu l’occasion, à travers pas mal d’écrits, de montrer que la presse malienne peut être absolument libre. Il est même arrivé qu’on nous est fait le reproche d’attaquer l’Etat par ce biais sans pour autant que ceci se retourne contre un journaliste. Pour ma part, je ne me souviens pas d’un cas où on a arrêté et emprisonné un journaliste pour avoir exprimé son opinion sur telle ou telle chose ».
Agression d’un reporter sportif
Pour autant, le rédacteur en chef de L’Essor et notamment en sa qualité de secrétaire général de l’Union nationale des journalistes du Mali (Unajom) Cheick Mouctary Diarra, a eu à gérer sans obtenir gain de cause une affaire malheureuse concernant un de ses journalistes. En effet, le 11 mai 1975, fut agressé son reporter sportif Aly Badara Kéita par des policiers qui l’ont sauvagement brutalisé jusqu’au coma et l’ont laissé pour mort dans les vestiaires du stade Omnisports de Bamako. La scène brutale s’est déroulée pendant la mi-temps du match Djoliba AC de Bamako-Club Sportif de Lomé I en éliminatoires de la Coupe d’Afrique des clubs champions.
Cette agression subie par Aly Badara Kéita a soulevé un tollé général au point que presque tous les journalistes de médias d’Etat (Radio-Mali, L’Essor) aient menacé d’aller en grève sous la férule du Syndicat national de l’information, de la presse et de l’industrie du livre (Synipil). Ils exigeaient qu’une solution soit trouvée à la sécurisation des journalistes. Saisi par son ministre de l’Information, le commandant Youssouf Traoré, le chef de l’Etat a tenu à savoir ce qui s’est réellement passé. Il reçoit le 15 mai une délégation de journalistes dont la victime Aly Badara Kéita. Devant des hauts dignitaires, tous officiers membres du Cmln, le colonel-président Moussa Traoré s’est engagé à infliger des sanctions aux auteurs de l’agression s’ils étaient identifiés par la victime. Malgré les démarches de l’Unajom sous la férule de Cheick Mouctary Diarra, l’affaire est restée à ce niveau de gestion promise.
Cheick Mouctary Diarra dirige l’Amap jusqu’à son remplacement par Gaoussou Drabo, nommé le 26 juin 1990. Le même jour, il est promu conseiller technique chargé de la presse dans le cabinet du ministère de l’Information et des Télécommunications. Après avoir passé deux décennies pleines dans les rouages de L’Essor, il quitte le champ du journalisme actif pour se retrouver donc dans un cabinet ministériel. Une promotion-sanction, diront certains de ses confrères. Ses nouvelles fonctions administratives ne l’empêchent pas d’intensifier ses méthodes d’action de lutte politique clandestine sapant les fondements du pouvoir. Il mène lesdites actions en tandem avec son confrère cadet Soumeylou Boubèye Maïga (rédacteur en chef du mensuel Sunjata). L’actuel Premier ministre fut aussi un journaliste fonctionnaire à l’Amap et militant du Pmt très proche du Pr. Abderahmane Baba Touré, 1er secrétaire de ce parti clandestin.
Quant à l’ex-patron de l’Amap, il a su se comporter en même temps responsable de média d’Etat et opposant clandestin. Thierry Perret le décrit dans cette posture comme « journaliste officiel le jour, militant la nuit : Cheick Mouctary Diarra illustre l’enchevêtrement de la vie politique et sociale malienne, qui seul permet de comprendre l’explosion des années 1990, notamment au plan médiatique. Car, c’est le même homme qui fait partie de l’équipe fondatrice de Jamana, où entre en scène un autre militant du PMT : Alpha Oumar Konaré ».
Ensemble, ils lancent, le 17 mars 1989, Les Echos, premier quotidien privé du Mali indépendant. La création de ce journal s’inscrit politiquement dans la stratégie de diffusion des mots d’ordre du Fndp (Front national démocratique et populaire) au sein des masses, selon le regretté Seydou Mamadou Diarrah Totoh. Ce dernier rappelle, dans un ouvrage consacré à l’itinéraire de l’Adéma/Pasj (1996), que le Fndp est né le 20 janvier 1986 à Thiaroye (près de Dakar) par l’unité d’actions de trois forces politiques : le Pmt, le Pmrd et le Fdpm (Front démocratique des patriotes maliens basés en France).
En 1987, l’Us-Rda rejoint le Fndp qui s’est fixé trois objectifs dont « l’élargissement de la base sociale des mouvements de lutte pour un meilleur ancrage dans la société ». Pour y parvenir, fut mis en place un « Comité d’action populaire » comprenant, entre autres, les cadres Pmt Alpha Oumar Konaré et Cheick Mouctary Diarra. Ceux-ci et d’autres camarades, tous membres de la Coopérative culturelle Jamana, animaient déjà une revue culturelle trimestrielle éponyme (lancée en 1984) et un magazine pour jeunes Grin-Grin (1986). Ils engagent la réflexion sur la création d’une 3è publication, un véritable journal d’informations générales et d’analyses qui sera Les Echos. L’animation de cette publication bimensuelle est assurée par trois jeunes journalistes professionnels : Tiégoum Boubèye Maïga (rédacteur en chef), Aboubacar Saliph Diarra (paix à son âme) et Boubacar Sankaré (l’actuel patron du bi-hebdo 26-Mars). Ils étaient encadrés pour l’orientation du journal par un comité éditorial constitué par le même groupe d’intellectuels militants clandestins dont les journalistes fonctionnaires Soumeylou Boubèye Maïga et Cheick Mouctary Diarra.
Ce dernier avait, auparavant, la responsabilité de recruter et/ou d’encadrer d’autres jeunes cadres engagés dans le Pmt. Parmi lesquels l’agroéconomiste Ousmane Sy qui, dans un ouvrage autobiographique (2009), raconte comment il a adhéré à ladite formation clandestine : « En 1986, nous nous retrouvions avec des amis, un soir par semaine, au domicile de Cheick Mouctary Diarra où sous le prétexte de partage un ‘To’ (met fait à partir de farine de mil, de sorgho ou de maïs avec une sauce de feuilles), nous échangions nos points de vue et nos analyses sur le pays. […] Un jour d’avril 1987, Cheick Mouctary Diarra me confia qu’il était depuis plus d’un an chargé de suivre mes activités. Il était désormais mandaté par la direction du PMT pour me demander d’en devenir un militant […] »
En plus de ce rôle de sénior recruteur et encadreur des jeunes cadres, le vieux journaliste doublé d’opposant clandestin a contribué, en 1990, en tant que représentant du compte du Pmt, à la rédaction des premières moutures des documents contestataires du régime de parti unique. Les événements de la chute du président Moussa Traoré suivie de l’avènement du pluralisme démocratique ont trouvé Cheick Mouctary Diarra à son poste de conseiller technique au ministère de l’Information. Il y est resté jusqu’au début de septembre 1991. Entre-temps, il participe à l’élaboration de la Stratégie de communication gouvernementale pendant la transition démocratique. De même, il fait partie du groupe d’experts chargés de l’organisation de la Conférence nationale (CN) qui, du 29 juillet au 12 août 1991, a adopté les avant-projets de textes fondamentaux (Constitution, charte des partis politiques et code électoral) de la 3è République du Mali. En plus de ces textes majeurs, la CN a recommandé l’organisation de larges assises nationales sur différents secteurs de la vie de la nation. D’où une série de rencontres (Etats-généraux, forum, concertation) dont les Journées nationales de l’information et de la communication (Jnic, 19-24 décembre 1991).
Lors desdites Journées, Cheick Mouctary Diarra a eu l’honneur de présenter la communication inaugurale portant sur le thème « Rôle de l’information dans la transition démocratique ». Il y soutient que « depuis le 26 mars 1991, les objectifs de l’information, s’ils n’ont pas fondamentalement changé, ont cependant accédé à une nouvelle phase. Hier considérée comme subversive et traquée en conséquence, l’information se voit aujourd’hui reconnaitre le droit à l’existence lorsqu’elle n’est pas tout simplement courtisée. Mais, […] cette situation est fragile et même précaire si l’on sait que le sort de la presse privée ou d’Etat est lié au processus démocratique […] L’information doit être le reflet des réalités nationales et l’expression des aspirations nationales. Si les objectifs politiques sont prioritaires, la promotion de la culture et les efforts nationaux de développement sont aussi importants. On remarque que la politique l’emporte sur tous les autres […] »
« Pionniers de l’info »
Tout comme aux Jnic de 1991, Cheick Mouctary Diarra avait, 20 ans auparavant, activement contribué à l’organisation du 1er Séminaire de l’information au Mali (2-7 août 1971) sous l’égide du ministère de l’Information. Cette rencontre s’est tenue en application des décisions issues de la Conférence nationale des cadres du 25 juillet 1969, convoquée par le régime militaire en place depuis moins d’une année. Dans le nouveau contexte sociopolitique du pays, les professionnels de la presse se sont réunis pour redéfinir leur place et leur rôle. Il est revenu au rédacteur en chef de L’Essor, Cheick Mouctary Diarra, de traiter le thème « l’évolution des moyens d’information » au Mali.
Aux termes d’une semaine d’échanges, le Séminaire a adopté plusieurs recommandations relatives au statut particulier du métier de l’information et à la situation des « Pionniers de l’information », aux conditions de travail, de la formation et de l’éthique du journaliste malien. La mise en œuvre desdites recommandations nécessitait l’implication du secrétaire général de l’Unajom, Cheick Mouctary Diarra. Ce dernier s’est également retrouvé sur le plan continental en devenant, le 23 novembre 1974 à Kinshasa, le secrétaire général de l’Union des journalistes africains (Uja).
L’Uja venait d’être créée par les délégués des organes de presse d’Etat africains réunis dans la capitale de l’ex-Zaïre (l’actuelle RDC). Cette organisation panafricaine des journalistes s’est assignée comme mission de « coordonner leur activité professionnelle, de défendre les libertés de la presse et de développer les syndicats des journalistes à travers le continent ». En phase avec l’actualité politique, les fondateurs de l’Uja “s’engagent à défendre de leur plume l’indépendance des Etats africains et la lutte contre l’apartheid” en Afrique du Sud.
Ce combat pour la liberté de la presse est resté une constance chez l’ancien Dg de l’Amap. Ces dernières années, en marge de ses occupations diplomatiques, Cheick Mouctary Diarra a tenu à suivre l’évolution des médias de son pays. Bien qu’en dehors depuis deux décennies des activités proprement journalistiques, l’ancien patron de L’Essor n’en demeure pas moins un observateur avisé du paysage médiatique national. Son constat en mars 2016 : « après 25 ans de l’avènement de la démocratie et de ses corollaires, le multipartisme, le respect des libertés fondamentales et la liberté de presse, [cette] presse a évolué en quantité. La qualité n’est malheureusement pas au rendez-vous. La plupart des journaux n’ont pas de ligne éditoriale […] la nouvelle génération de journalistes se doit de se cultiver, d’avoir l’obligation morale de faire respecter l’éthique et la déontologie de leur métier. Il y va de leur propre honneur. Avec la création de nouveaux organes pour réguler la presse, on espère voir de nouvelles lois ou l’application stricte des textes existants. Il faut saluer la mise en place de la Haute autorité de la communication (Hac) ».
Journaliste chevronné, politicien imprévisible, diplomate rusé, Cheick Mouctary Diarra est devenu à ses heures perdues un écrivain poète. Après le paysage médiatique, le front politique et les coulisses diplomatiques, « Cheick » se décide de descendre dans l’arène poétique. Il est l’auteur du recueil de poèmes : “Bribes” (Jamana, Bamako, 2014). Centre d’intérêt : l’amour dans ses différentes facettes exotiques et séductrices. Après les mots perçants de la plume du billettiste, c’est maintenant les billets doux du poète. En parvenant à composer des versifications sentimentales, le septuagénaire Cheick Mouctary Diarra laisse l’impression à certains observateurs qu’il sait imposer une certaine obligation morale de se souvenir de son épouse décédée il y a quelques années.
Un temps raisonnable observé à la suite de cette disparition, le vieux journaliste devenu diplomate a convolé en secondes noces avec l’ancienne ministre Aminata Sidibé, aînée de Ismaël « Nayou », Pdg d’Africable Télévision. Alors, quand le doyen des journalistes maliens devient le beau-frère d’un grand patron de presse du pays, le microcosme médiatique national ne peut qu’exprimer ses souhaits de bienheureuse longévité nuptiale à ce nouveau couple « d’anciens ». Sincères souhaits formulés sans aucune impertinence. Donc sans aucun préjudice d’amende coutumière. Confraternellement !
Par La Rédaction
Nos sources :
– “Actes des Journées nationales de l’information et de la communication“, co-organisées par le ministère de la Communication et de la Culture, l’Institut Panos, l’Unajom, le Synipil et l’Assiprep, 19-24 décembre 1991, Bamako, 94p.
– Adéma/PASJ : “Une ambition pour le Mali”, Projet de société du candidat Alpha Oumar Konaré à l’élection présidentielle, Bamako, Mars 1992.
– Sennen Andriamirado : “Le Mali Aujourd’hui“, Les Editions J.A. Paris, 1985; -240p.
– Archives de L’Essor, Quotidien d’Etat du Mali (1970-2016).
– Archives des journaux privés : Les Echos, La Roue, La Nation, Le Démocrate et L’Indépendant (années 1990-1995).
– Shaka Bagayogo : “Le cheminement du Mali vers un espace politique pluriel”, Centre Djoliba – Fondation Konrad Adenauer, Bamako, 1999, -60p.
– Alphonse Sagnian Berthé : “La Presse : un fétichisme nouveau pour un Mali nouveau”, Mémoire de fin d’études, ESJ, Lille, Juin 1973 ; -70p.
– Sidiki Diabaté : “La circulation de l’information documentaire au Mali”, mémoire de DESS en information scientifique, technique et économique, Université des sciences sociales de Grenoble, 1982, -81p.
– Seydou Mamadou Diarrah Totoh : “Le Mouvement démocratique malien : l’itinéraire de l’Adéma/PASJ. Origines et parcours”, Editions Jamana, Bamako, 1996, -240p.
– Journal Officiel de la République du Mali (années 1970-2018)
– Mamadou Kaba : “Nouvelles d’hier… et d’aujourd’hui. Le Mali de 1970 à 1980”, Ed. Jamana, 1989, 210p.
– Aly Badara Kéita : “Le jour où j’ai failli mourir (Mémoires d’un journaliste de sport)”, Ed. Jamana, Bamako, 2017 ; -120p.
– Sidiki N’Fa Konaté : “Les mutations communicationnelles au Mali : le cas de la presse & de la radio”, thèse pour le doctorat de 3e cycle en sciences et techniques de l’information et de la communication, Université de Nice, avril 1983, 470p.
– Alpha Oumar Konaré : “Alpha avec vous. Recueil de Discours (1992-1997) de Son Excellence Alpha Oumar Konaré, président de la République du Mali”, Edition Afrique Presse, Paris, 1997 ; 220p.
– Ouvrage collectif : “26 mars 1991-26 mars 2001, Xe anniversaire. Bâtissons la mémoire du Mali démocratique”, Centre Djoliba – Mémorial Modibo Kéita, Bamako, 2002 ; -472p.
– Thierry Perret : “Afrique : voyage en démocratie. Les années cha-cha”, L’Harmattan, Paris, 1994, -336p ; et “Le temps des journalistes : L’invention de la presse en Afrique francophone”, Karthala, Paris, 2005, -320p.
– Yaya Sidibé : “Les mass-médias au Mali : Traits caractéristiques, leur rôle dans le développement socio-économique, leurs perspectives“, Mémoire de fin d’études, Académie Stéphan Ghéorghin de Bucarest (Roumanie), juillet 1980.
– Sunjata (mensuel d’information de l’Amap) n°00 du 5 Juin 1978.
– Ousmane Sy : “Reconstruire l’Afrique : Vers une nouvelle gouvernance fondée sur les dynamiques locales”, IRG (Paris) – Editions Charles Léopold Mayer (Paris) et Jamana (Bamako), 2009, -224p.
– Abderahmane Baba Touré et Kadari Bamba : “La contribution du Parti malien du travail (PMT) à l’instauration de la démocratie pluraliste au Mali”, Editions Jamana, Bamako, 2002, -148p.