Calvaire de Bassirou Minta: Retour vers l’ancien Mali

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L’arrestation, l’emprisonnement et la condamnation arbitraire du professeur de lycée Bassirou Minta rappelle un Mali que l’on croyait à jamais révolu.

Depuis près d’un mois, le landerneau politico-médiatique malien est secoué par l’affaire dite de « La maîtresse du président de la République ! » Il s’agit, en l’occurrence, d’un texte de pure fiction sorti de l’imagination du professeur de lettres Bassirou Minta qui voulait pousser ses potaches en herbe à apprendre les méandres de la contraction de texte.

Je trouve, accessoirement, l’exercice audacieux puisque les élèves maliens d’aujourd’hui, vu leur niveau lamentable, ont de la peine à comprendre un texte simple. Alors, leur demander de le contracter, c’est-à-dire le réduire à l’essentiel, est une exigence qui dépasse leur compétence. Je me demande d’ailleurs si ce sont seulement les élèves actuels qui ont un problème de compréhension du français…

Cette légère disgression étant permise, je reviens au professeur. Non pas pour épiloguer plus que de droit sur ses mérites littéraires, mais pour un retour vers le passé, quand écrire et diffuser un texte au Mali pouvait vous coûter la vie. Moi, grand naïf devant l’Eternel, pensait franchement enterrée cette époque.

Mais l’actualité brutale vient me rappeler que la bête hideuse de la soumission et de la coercition sommeille encore en notre peuple et que les appareils idéologiques ou répressifs d’Etat n’ont pas rompu d’avec la culture de l’à-plat-ventrisme qui consiste à se secouer comme un diable dans l’eau bénite pour bénéficier de l’onction du prince.

Le calvaire que vit le professeur Minta (condamnation à la prison ferme et interdiction d’exercer son métier) me rappelle donc trois événements majeurs qui ont marqué ma vie d’adolescent, élève dans les écoles maliennes.

Le premier remonte au début des années 1980. J’étais élève au second cycle de l’Opam, dans le quartier de Quinzambougou, à Bamako. Nous avions un professeur de français, M. Kantao, un pur génie de la langue de Molière. M. Kantao, dès le premier jour en classe, a exercé sur moi une fascination totale. Il maniait le français avec une aisance naturelle et l’écrivait comme s’il l’avait inventé.

Je me suis tout de suite accroché à cet enseignant élégant à la mise vestimentaire impeccable. Puis, un jour, rien ! M. Kantao est absent, disparu, volatilisé. Un nouveau prof débarque sans aucune explication de la direction. Une semaine plus tard, nous apprendrons que M. Kantao est en prison, accusé d’avoir rédigé un tract contre Moussa Traoré et l’UDPM.

Je n’ai jamais revu M. Kantao (il enseigne actuellement dans un lycée de Bamako, m’a appris un ami) mais je n’oublierai jamais sa verve et sa détermination et surtout cette phrase pleine d’espoir qu’il nous lança un jour pendant la récréation : « Si nous ne faisons rien pour terrasser ce régime, nous n’aurons même plus de slip à porter ! »

L’année suivante, j’étais chez mon oncle paternel à Bla. Mon professeur de français était Tiémoko Bernard Coulibaly, un autre iconoclaste qui ne supportait pas la morgue de l’UDPM et de notre Balla National. En 1982, pour animer les fameuses semaines de la jeunesse, TBC comme nous l’appelions, avait écrit une pièce de théâtre. Mon ami Dominique Berthé était l’acteur principal et j’étais son second. La pièce de TBC, une satire mordante et épique sur l’incompétence, la malhonnêteté et le vol dans l’administration fut jouée à guichets fermés. Le commandant de cercle et quelques zélateurs du régime, piqués au vif, firent arrêter TBC qui passa plus d’une semaine assis devant la Brigade de gendarmerie de Bla, au bord de la route, avant d’être relaxé. Et, au passage, TBC était le meilleur professeur de français du cercle de Bla. Un vrai génie, je vous jure !

Et je me retrouve à Ségou, au Collège administratif, dans la classe du prof de français Clément Alphonse Diarra, un autre surdoué de la langue de Vaugelas. Non seulement Clément était un professeur de génie, mais humainement, il avait des qualités extraordinaires. Nous sommes vite devenus amis puisque j’étais son meilleur élève en français. Excusez la modestie, mais Clément me filait toujours des 15 sur 20 en dissertation et ce n’étaient pas des notes de complaisance.

Il nous a raconté qu’en 1975, à Barouéli, il avait voulu voter « non » au référendum de pacotille qu’avait organisé le CMLN pour un « retour à la vie constitutionnelle normale ». Quand il demanda au chef d’arrondissement les bulletins « non », ce dernier, furieux, lui avait répondu : « Si vous persistez à parler de bulletins de ce genre, vous aurez le bâton et je vous enverrai à Kidal ! »

Enfin, au Cesti de Dakar, j’ai fait la connaissance d’Alioune Tine, sans doute, le meilleur professeur de grammaire de toute la Francophonie. Le prof Tine donne l’impression d’être né avec un dictionnaire de la langue française. A l’aise tant à l’écrit qu’à l’oral, l’actuel patron de Raddho (Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme) est tout simplement imbattable sur la concordance des temps.

Il n’a jamais pu s’entendre avec le pouvoir au Sénégal parce que personne n’a réussi à le domestiquer, à le transformer en perroquet sans dignité qui ânonne les directives des chefs. En troisième année, j’ai choisi la télévision comme spécialisation. M. Tine n’a pas aimé et c’est lui qui m’a dit, sur le perron de l’institut : « Ousmane, tu es un homme d’écriture. La télé rend con. Écris et ne fais rien d’autre ! » J’ai suivi ses conseils !

Je ne connais pas personnellement le professeur Minta, je ne sais pas s’il est également un professeur hors pair, indomptable et insoumis. Je constate simplement qu’au lieu de faire comme ses collègues, recopier mécaniquement des textes surannés et les faire travailler par ses élèves, il a fait confiance à sa créativité. En croyant certainement que le Mali ne compte plus de policiers et de procureurs comme ceux qui ont arrêté M. Kantao, M. Coulibaly, Victor Sy ou Ibrahima Ly. Il croyait que dans une démocratie, la liberté de création était sacrée. Mais, visiblement, dans ce Mali qui peine à prendre de la hauteur, les vieux réflexes ont la vie dure.

Au fait, avez-vous remarqué une chose : de toutes les critiques, des plus douces aux plus haineuses qui pleuvent sur M. Minta, dans les journaux ou sur Internet, personne ne se prononce sur la qualité littéraire du texte. Les injures ne sont que bassement personnelles et bêtement méchantes.

Pourquoi le Malien n’arrive-t-il pas à s’élever à la hauteur de la pensée critique ? Pour ma part, je pense humblement que le document de M. Minta comporte des lacunes au niveau du style et semble avoir été écrit trop vite. Mais, comme critique sociale, il a soulevé un débat. Dommage que tout le monde, au Mali, ne soit pas disposé à discuter littérature.

Réservons enfin ce domaine aux fins d’esprit et aux gens bien éduqués. Il n’est pas donné à tout le monde de savoir lire et écrire et surtout de comprendre le français qui est notre langue officielle. M. Clément Alphonse Diarra aimait dire : « Vous croyez le français si facile ? Je ne serais pas là à expliquer à certains tarés que la grammaire a des règles et l’orthographe doit être respectée ! Comment peut-on raisonner quand on ne maîtrise pas les règles élémentaires d’une langue ? »

Ousmane Sow (journaliste, Montréal)

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