L”audience d”examen au fond devenu audience de condamnation des six journalistes et de l”enseignant, emprisonnés à la prison centrale de Bamako, s”est déroulé à huis clos ce mardi 26 juin au tribunal de première instance de la commune III dans une atmosphère surchauffée.
Le président du tribunal, Moussa Sara DIALLO, en a décidé ainsi après que le tout puissant procureur, Sombé THERA ; le juge de ces poursuites illégales, lui en a demandé au motif fallacieux de la " préservation des mœurs " que soulève l”inculpation qu”il a lui-même choisie ; à savoir " l”offense à la personne du chef du chef d”Etat ". Sans murmures ni clin d”œil aux droits de la défense, comme dans une parodie de justice, le président du tribunal a ordonné le huis clos. Au grand dam de l”orthodoxie procédurière en la matière.
Convoquée à 9 heures, comme à l”accoutumée, l”audience correctionnelle relative à l”affaire des six journalistes et de l”enseignant, Bassirou Kassim Minta, tous écroués à la prison centrale de Bamako, pour des faits d”offense à la personne du chef de l”Etat et complicités, à la suite d”un banal sujet de composition donné à des élèves d”un établissement public, n”a démarré qu”à 10 heures.
Prise d”assaut par une foule nombreuse, composée de parents, amis et confrères des détenus, venue témoigner la solidarité agissante à ces persécutés de la démocratie, la salle d”audience a été littéralement quadrillée par les forces de l”ordre : le dispositif impressionnant des agents de la sécurité, qui a bouclé les moindres recoins des alentours de la salle d”audience, en disait long sur le caractère peu singulier de cette audience digne d”une certaine époque révolue.
A plus d”une heure de la reprise de l”audience, les détenus, tenus en respect dans le box des accusés, par des policiers en faction, étaient interdits de tout contact avec les siens : personne dans la salle, avant le début de l”audience, n”était autorisé à communiquer avec les supposés accusés, ni même de leur adresser à la parole. L”intimidation était à son comble.
On aurait pensé que le prétoire était réservé à des bandits de grands chemins tant le dispositif policier était impressionnant tant aux alentours de la salle d”audience qu”à l”intérieur.
La farce du huis clos
C”est aux environs de 10 heures que le tribunal s”est installé. Il y avait tout dans la salle sauf la solennité requise à pareil événement judiciaire. Le président, le juge du siège, Moussa Sara DIALLO, et le procureur Sombé THERA, le tout puissant magistrat debout du prétoire à qui on ne refuse rien, ne sont pas dans leurs beaux jours. Tout le montre en eux à commencer par la mine serrée, et le regard fuyant qui était détourné à la moindre coïncidence.
C”est dans cette atmosphère lourde que la salle, pleine à craquer, sera vidée de ses occupants. Et pour cause ? Le procureur THERA, toujours lui, en s”adressant au président du tribunal, acquis à sa cause, a dit que l”affaire dont il s”agit ; à savoir l”offense à chef de l”Etat contient une connotation de mœurs et que pour cette raison il convient, pour la préservation des mœurs et de la paix publique, d”ordonner le huis clos en l”espèce. Sans aucune forme de procès, il sera ordonné le huis clos par le président du tribunal et la salle d”audience littéralement et complètement vidée. Là aussi, entorses graves à la loi.
On prendra le soin de faire évacuer les journalistes de la salle et autres assistants de la salle en prenant le soin d”y garder certains qui n”avaient pourtant aucune fonction officielle pour ce faire. On rapporte que ceux-ci étaient les oreilles et la bouche de certaines autorités bien placées, lesquelles avaient intérêt à suivre de loin ce procès. Le procès s”est donc tenu à huis clos sans que le procureur, qui en a fait la demande, n”ait évoqué le moindre texte y référant. Sommes-nous désormais dans une République pagaille où un simple sujet de dissertation peut envoyer des gens en prison ?
La défense torpillée
Dans ce cas d”espèce, que vaut la défense ? Cette interrogation a beaucoup préoccupé les avocats de la défense, lesquels ont été floués dans cette affaire, pour une première fois, le vendredi 22 juin dernier.
C”était à propos de la demande de mise en liberté provisoire pour les inculpés, une demande qui avait pourtant été encouragée par le parquet lui-même. Sous la pression de quelle autorité ? Nul ne le sait encore. Ce qui est sûr, c”est que le jeudi dernier 21 juin, tard dans la nuit, le parquet a démarché les avocats de la défense pour qu”ils examinent au plus vite la demande de mise en liberté provisoire au profit de leurs clients.
Cette nouvelle demande intervenait à la suite d”un premier échec de la même formule, cette fois-ci instruite à l”initiative des avocats au profit de SOD, le journaliste, et l”enseignant incriminés. Ce dossier judiciaire s”est accéléré depuis cette date avec l”arrestation illégale de quatre autres journalistes, tous directeurs de publications, dont les organes ont publié, par solidarité, l”article incriminé de Info-Matin. Là, les choses s”accélèrent en faveur de la liberté provisoire qui va être examinée par le juge dès le vendredi 22 juin dernier. Tout le monde s”affaire autour de ce dossier et tard dans la nuit, selon des sources proches du dossier, des contacts ont été poursuivis entre des avocats et des membres du parquet pour accélérer la procédure devant conduire à la mise en liberté provisoire des prévenus, dès ce jour.
Coup de théâtre
Décidément, le procès des journalistes n”a pas fini encore de parler de lui : tôt le vendredi 22 juin, la cour du tribunal est prise d”assaut par une foule des grands jours, venue assister à l”audience de mise en liberté provisoire. La liberté pour les prévenus ! C”était le seul mot d”ordre qui a marqué les esprits en ce début d”audience. Compte tenu de tout ce qui a été fait à la veille pour actionner cette procédure, tout le monde était convaincu de la volonté d”accalmie annoncée autour de cette affaire qui commençait à devenir embarrassante pour l”image de respectabilité de notre pays.
A l”audience proprement dite, coup de théâtre ! Une farce de mauvais goût. Le procureur, celui-là qui s”est démêlé comme un beau diable, pour demander aux avocats de la défense de déposer la demande de mise en liberté provisoire, se rétracte, à la surprise générale, pour exiger le huis clos. Tollé général dans la salle d”audience. Les avocats de la défense, ne se doutant pas de sa bonne foi, calment le jeu pour ne pas tomber, répondent-ils, à un piège procédurier. En fait, ceux-ci pensent que la moindre résistance contre cette objection du procureur pouvait provoquer l”enlisement du procès. En bonne conscience, ils sont intervenus pour calmer le jeu en espérant que l”accalmie sera préservée jusqu”au bout.
Erreur fatale ! Lorsque la salle s”est vidée, voilà que le même procureur fait volte-face pour demander le renvoi de la demande de mise en liberté provisoire pour le mardi 26 juin, date fixée pour le jugement du fond du dossier. Sous quelle pression a-t-il cédé ? Ce qui est sûr, c”est que l”audience, fixée ce vendredi 22 juin pour 9 heures précises, n”a pu démarrer qu”à midi.
Plusieurs va et vient du procureur THERA ont été constaté, dans le même temps, entre le tribunal et la chancellerie, comme on désigne le département de tutelle, selon le jargon utilisé en la matière. On rapporte même que la ministre de la justice elle-même a fait un saut rapide à Koulouba le matin de ce vendredi 22 juin 2007. Que se sont-ils dit le procureur THERA et la ministre de justice dont ont dit d”elle dans ce dossier qu”elle est très fâchée contre certains journalistes ? Y a-t-il règlement de compte dans ce dossier judiciaire ? Qui a voulu régler ses comptes à l”encontre des journalistes et pourquoi ?
Parodie de justice
Les avocats de la défense, dès cet instant, alertés par cette volte-face incroyable des autorités judiciaires, ont décidé de ne pas cautionner une mascarade judiciaire. Ils l”ont publiquement exprimé au cours d”un point de presse, animé dans l”après-midi de ce même vendredi, dans la salle des avocats. La décision de boycott des avocats est partie de là. Et c”est en concertation avec les prévenus que le boycott a été ordonné. " Nous ne nous associerons pas à une parodie de justice où la sentence est connue d”avance ", ont-ils rétorqué aux journalistes qui étaient soucieux de savoir si le retrait des avocats dans cette procédure n”allait pas compliquer le sort des confrères arrêtés et emprisonnés.
En réalité, après la fuite en avant du parquet, suite à l”examen par renvoi de la mise en liberté provisoire qu”il a lui-même encouragé, les avocats n”ont voulu encore prendre aucun risque. A cette désinvolture procédurière, comme l”ont qualifié certains avocats choqués, il fallait alors être désormais plus prudents dans le rang des avocats de la défense pour parer à tout malentendu.
Ainsi, les avocats de la défense, en concertation avec leurs clients, ont convenu de cette logique de boycott d”autant qu”en l”espèce, chacun était persuadé que la messe était déjà dite.
Les prévenus, eux de leur côté, ne sont rentrés dans aucune logique de négociation avec quiconque dans cette procédure en dehors de leurs avocats. " Si on veut couper nos têtes, on peut le faire. Mais nous ne cautionnerons aucune mascarade judiciaire ", se sont indignés les prévenus, lesquels ont répondu qu”ils étaient totalement solidaires de la décision des avocats. Dès l”instant, la consigne était claire et nette : les prévenus n”allaient pas parler au tribunal en l”absence de leurs avocats. Les avocats étaient avec leurs clients en prison pour discuter de cette nouvelle stratégie de défense qui a bénéficié de l”assentiment de tout le monde.
L”audience de la honte
Ce mardi 26 juin, date fixée pour l”audience dans l”affaire de l”article " la maîtresse du président de la république ", impliquant des journalistes et un enseignant, tous emprisonnés depuis des jours, le procès s”ouvre sur un non droit : le huis clos. Décidément, l”arbitraire ne dérange plus personne dans ce pays. Une audience publique s”est transformée en huis clos parce que le procureur l”a voulu ainsi. Il l”a obtenu du juge sans évoquer le moindre texte de loi. Pourtant, c”est pour le délit d”offense à chef d”Etat qu”il a poursuivi les journalistes et l”enseignant qui n”ont d”ailleurs fait que leur boulot. Du début à la fin de cette procédure, on l”a vu, le magistrat instructeur a usé du subterfuge pour se tirer d”affaire dans une matière judiciaire où manifestement l”interférence extérieure était palpable.
C”est donc devant des prévenus, sans avocats, ni aucun soutien, que l”audience des journalistes a débuté. C”était dans une salle totalement vide, débarrassée de ses occupants et entièrement quadrillée par les forces de l”ordre. Le prétexte trouvé ? Les mœurs et la préservation de l”ordre public ! Contre toute attente, comme s”ils étaient en tandem pour conduire une procédure mal au point, le huis clos est ordonné. C”est l”indignation des justiciables dans la salle. La salle s”est vidée et le procès peut démarrer.
Le tout puissant magistrat debout est donc manifestement à l”aise d”autant qu”il est désormais privé de la pression du public qui était venu nombreux pour voir comment il est aujourd”hui possible, en ces temps modernes, pour un magistrat d”envoyer en prison et de juger des journalistes et un enseignant dans une affaire qui concerne l”école, un lieu en principe qui est en dehors du domaine judiciaire, pour offense au chef de l”Etat, assimilable au crime de lèse majesté dans une démocratie digne de ce nom ! Quelle est cette propension du magistrat instructeur à demander chaque fois dans cette affaire le huis clos ?
Pérégrinations judiciaires
On aura tout vu dans cette procédure. Voilà un procès qui se déroule sans les avocats e la défense ? Ceux-ci se sont retirés de la procédure estimant que les droits de la défense n”ont pas été respectés. C”est également dans la salle vide que le tout puissant procureur a tenté d”asseoir une accusation, cousue de fil blanc, qui n”existe que dans l”imaginaire de ceux qui l”ont jusqu”ici, d”une raison à une autre, soutenu.
En fait de réquisitoires du parquet, on a assisté plutôt à de véritables pérégrinations judiciaires de la part du procureur qui s”est mélangé les pieds en maints endroits. Au début de son réquisitoire, comme trahi par les dessous scabreux de ce dossier, le procureur a commencé par parler de la diffamation alors qu”il s”agissait dans ce cette affaire de délit d”offense à chef de l”Etat.
Nettement plus dépassé par les événements, le procureur, dans sa prêche dans le désert, a poussé l”outrecuidance jusqu”à reconnaître qu”il a écarté la loi spéciale sur la presse dans ce dossier en raison de la complexité et la subtilité que cette loi avait sur lui. Comble de l”ironie ! Une loi spéciale qui est retirée de la procédure pour juger des journalistes, exerçant pourtant une matière spéciale, au motif fallacieux qu”elle est complexe et subtile pour le procureur. Dans quel Mali, sommes-nous désormais ?
En réalité, la complexité et la subtilité de cette loi spéciale, pour le procureur, se résument alors à l”impossibilité pour lui de maintenir en prison, même pendant quelques jours, ces prévenus qui sont aujourd”hui victimes d”une justice à deux vitesses. Il a parlé tout seul sans être contrarié par qui que ce soit : les avocats n”étant pas là, les prévenus ont tenu bons et n”ont daigné échanger le moindre mot avec la cour.
Summum du non droit
Le procureur, trahi dans sa propre logique, a eu du mal à soutenir l”accusation. Il a eu tous les problèmes du monde à asseoir la culpabilité des prévenus. Le tribunal lui-même fuyait les prévenus en ce sens que les regards ne se croisaient pas. Ni le procureur ni le président du tribunal, visiblement gênés par l”attitude courageuse des prévenus, ne sont parvenus à leur faire changer de tactique : le silence total de la défense.
A plusieurs reprises, nous a-t-on confirmé, le procureur est venu à la charge pour dissuader les prévenus à changer de comportement. Sans succès. Il lui est même arrivé d”annoncer à l”endroit de ces derniers qu”un procès correctionnel n”a pas besoin d”avocats pour se tenir. D”autres formules, du genre " qui ne dit mot consens ", ont été rappelées par le procureur pour obtenir la reddition des prévenus qui sont restés égaux à eux-mêmes.
On comprend alors l”attitude du tribunal qui ne trompait sur l”identité de certains prévenus ou qui oubliait tout simplement de servir à certains accusés la condamnation. Cela est arrivé quand le président du tribunal commettait l”erreur sur le nom de Alexis Kalambry qu”il prononçait à tort " Kabry ". Le journaliste, choqué par une telle déviation sémantique, n”osait pas répliquer pour ne pas violer la logique du silence dans laquelle s”était enfermée la défense. Il est pourtant arrivé qu”un prévenu, en la personne de Birama FALL, donne signe au tribunal. C”était le cas où le juge l”avait proprement oublié dans la sentence de condamnation qu”il venait de prononcer. En l”occurrence, FALL n”avait pas été servi.
C”est dans cette ambiance peu singulière pour un prétoire que le verdict de condamnation est tombé : deux mois ferme de prison pour Bassirou Kassim MINTA (enseignant du lycée Nanaïssa Santara), huit mois de prison avec sursis pour Sambi TOURE, directeur de publication d”Info-matin, (200.000 francs d”amende), SOD, journaliste, 13 jours de détention (100.000 francs d”amende), quatre mois de prison avec sursis pour Hamèye CISSE, directeur de Scorpion ; Alexis KALAMBRY, directeur des Echos et Birama FALL (200.000 francs d”amende pour chacun). La défense a interjeté appel de cette décision qu”elle a jugée comme le summum du non droit.
Sékouba SAMAKE
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