Notre confrère Boukary Daou, Directeur de Publication du Journal le Républicain, croupissait toujours à la Maison d’arrêt de Bamako Coura au moment où nous mettions sous presse. Désormais, il est passible d’une peine d’emprisonnement, assortie d’une forte amende, pour «incitation aux crimes et délits» et «diffusion de fausses nouvelles», pour reprendre des termes consacrés, même si fort malheureux et fort mal à propos dans le cas d’espèce, de notre point de vue.
Si l’on en croit ceux qui s’acharnent à justifier l’embastillement, après une séquestration arbitraire, de ce journaliste, très redoutable et dangereux, en plus d’être un séditieux susceptible très certainement de fuir le Mali pour poursuivre sous d’autres cieux ses «coupables» agissements, il serait même déjà condamné, tout simplement parce que, avant même une quelconque inculpation et une quelconque audience, de hautes autorités de ce pays ont qualifié ses «fautes» d’inadmissibles.
Rêvons un peu et imaginons que nous sommes vraiment dans un Etat démocratique, de droit, qui s’apprête à célébrer avec ferveur la chute d’un régime autoritaire, telle qu’advenue le 26 mars 1991 dans une République qui nous est chère à tous. Dans ce Mali idéal, considérerait-on comme normal le fait de désigner quelqu’un comme coupable alors que son procès ne s’est même pas ouvert? Dans ce Mali d’Eden, serait-il possible de pousser un Ouf de soulagement, au niveau de toute une profession, simplement parce qu’une affaire est passée du statut de «sécuritaire» à «judiciaire»?
L’Etat nous confie à la première audience du procès qu’il intente à Boukary Daou le 16 avril prochain. Nous serons présents. D’ici là, notre confrère aura-t-il été mis en liberté provisoire? Si ce n’était pas le cas, tous les journalistes de ce pays ont du souci à se faire. Les agresseurs de nombre de confrères restent impunis, si tant est qu’ils ont été réellement recherchés, des affaires sont doucement enterrées sous des piles de dossiers, pour cause «d’engorgement» des tribunaux mais, quand il s’agit d’intimider, on met le turbo!
La vraie grande question à se poser aujourd’hui, pour tout citoyen soucieux de libertés, qu’elles soient d’expression ou de presse, est celle-ci: jusqu’où ira-t-on? Le On en question étant une entité protéiforme, quasiment immanente et sûre d’elle, car inattaquable et inexpugnable pour le commun des Maliens.
Nous avons été nombreux à qualifier les narco-djihadistes qui occupaient le Nord de notre pays d’obscurantistes, d’êtres rétrogrades, sans foi, loi ni conviction. Mais le retour en arrière se limite-t-il aujourd’hui aux combats d’arrière-garde de ces pseudo Fous de Dieu? Notre «démocratie», qui va commémorer, en l’espace d’une semaine, le célèbre «Mardi noir», le 1er anniversaire (le même jour d’ailleurs) du putsch de 2012 et le 26 mars 1991, peut-elle encore se revendiquer «vertueuse» ou «forte de ses convictions».
Les dérives antidémocratiques n’ont pas eu lieu que dans les régions les plus septentrionales de notre pays et le vernis de notre «modèle malien» est très sérieusement écaillé. En ces temps de mondialisation, le combat que la presse malienne mène, pour Boukary comme elle l’a fait pour d’autres, au nom de toute la profession, n’est glorieux ni pour elle ni pour le Mali. C’est un combat qui n’aurait jamais du être, tant la presse du Mali est à la fois Mère et Fille de la lutte pour la démocratie dans notre pays, ce que beaucoup, y compris nombre de «démocrates» autoproclamés, devenus muets ces derniers temps, semblent oublier.
Ramata Diaouré