Pourquoi vous présentez-vous contre l”homme dont vous avez été le conseiller après la chute de Moussa Traoré en 1991 ?
Je me présente pour être en cohérence avec notre lutte de toujours, parce que, d”une part, il s”agit de la lutte pour notre démocratie pluraliste pour laquelle des centaines de Maliens ont perdu leur vie et, d”autre part, cette revendication démocratique recouvre une profonde aspiration au changement pour une société de justice sociale. Or, sur ces deux plans, le pays s”est fragilisé ces dernières années et nous n”avons pas de perspectives rassurantes.
Le pays s”est beaucoup fragilisé, dites-vous. Mais est-ce que le président Amadou Toumani Touré n”a-t-il pas réalisé de grands chantiers comme les logements sociaux ou les routes ?
Le plus important est la qualité de la gouvernance. C”est-à-dire qu”il y a plus de 70% de Maliens qui vivent dans la pauvreté. Le minimum social, la santé, l”éducation et l”accès à l”eau manquent à la majorité des Maliens. Je vous cite un exemple. Pendant que plusieurs Maliens ont des difficultés à scolariser leurs enfants, à les maintenir à l”école ou à construire des salles de classe, 60% des ressources publiques qui sont destinées à ce secteur sont dissipées. L”Etat est sensé avoir dépensé 7 milliards dans les livres, mais quand on fait le compte sur le terrain, on en a pour 2 milliards. Les pauvres achètent de l”eau vingt fois plus cher que les plus nantis
Le Mali est un grand pays d”émigration. Croyez-vous que ce phénomène doit s”arrêter ou est-ce qu”il doit continuer ?
Je pense qu”en ce qui concerne le Mali, l”émigration a toujours été un atout pour nous et pour le pays d”accueil. Je crois que l”Etat malien ne doit pas être l”exécuteur de la politique intérieure de la France. Ceci dit, la tendance à criminaliser le flux migratoire venant d”Afrique n”est pas bonne.
Mais les pays européens estiment qu”ils sont en droit de renvoyer chez elles les personnes qui sont entrées illégalement sur leur territoire…
C”est le droit des Européens de le faire…mais je pense que les Etats africains ne doivent pas être supplétifs les des Etats européens en la matière. Au contraire, il est de notre responsabilité que chaque fois que nos compatriotes ont des problèmes, il faut les protéger.
Concrètement, qu”est-ce qui vous fait dire que le gouvernement malien, aujourd”hui, est un supplétif des Etats européens dans ce domaine?
Je ne fais pas allusion au gouvernement de Bamako en particulier. Aujourd”hui, un Malien peut être difficilement expulsé de la France si les autorités maliennes ne prêtent pas leur concours d”une manière ou d”une autre. Quand je vois tous ces accords qui consistent à participer au refoulement des Africains et même à transformer certains pays en pays d”escale pour le retour, je pense que si nous sommes unis, nous pouvons monter un projet qui puisse sécuriser nos concitoyens. Si nous sommes plus forts et unis avec d”autres pays, nous pouvons faire en sorte que les flux migratoires obéissent à une liberté de circulation et à un droit de séjour.
Le président Amadou Toumani Touré a-t-il eu raison ou tord d”accueillir Nicolas Sarkozy à Bamako l”année dernière ?
Au Mali, on accueille tout le monde…accueillir quelqu”un ne veut pas forcément dire qu”on partage sa vision…son discours.
Soumeylou Boubèye Maïga, en tant que ministre de la Défense de Alpha Oumar Konaré, que pensez-vous de l”accord que le gouvernement du Mali a signé avec les rebelles touaregs en juillet dernier à Alger?
Bon…en ce qui concerne Kidal tout comme les autres régions du Nord, j”aurai préféré que nous ayons une politique qui soit basée sur la loi. Je pense qu”il vaut mieux s”inscrire dans quelque chose qu”on peut concéder à l”ensemble des collectivités territoriales, à l”ensemble des régions plutôt que d”être dans des arrangements spécifiques dont on voit bien qu”ils permettent de passer le cap, mais dont la mise en œuvre est un véritable défi. 555 milliards de Fcfa sur dix ans…si c”est faisable, tant mieux. Raisonnablement, cela ne me paraît pas réaliste.
Il y a deux ans, l”ancien président mauritanien, Maouia Ould Sid”Ahmed Taya, a envoyé une colonne de son armée en profondeur du territoire malien à la poursuite des présumés terroristes. Et à l”époque, personne n”en a parlé. Qu”en pensez-vous ?
Peu de gens étaient au courant (rire)…ceci explique cela. Actuellement, la lutte contre le terrorisme implique beaucoup de relations entre les Etats. Ajouté à cela, la signature par le Mali de plusieurs accords de lutte contre le terrorisme. A un moment ou à un autre, notre pays peut accepter le droit de poursuite, de manière objective.
Soumeylou Boubèye Maïga vous avez été l”un des fondateurs du parti ADEMA aux côtés de Alpha Oumar Konaré. Aujourd”hui, ce parti soutient le président sortant et vous a exclu de ses rangs. N”êtes-vous pas un homme seul ?
Pas du tout ! Je pense que, au contraire, nous avons démontré que l”action dans laquelle nous sommes engagés est une action partagée par des milliers de Maliens. L”ADEMA est dans une démarche d”allégeance qui consiste à ne pas déplaire au président sortant. Ce sont les citoyens maliens qui vont trancher sur la position des uns et des autres.
Pensez-vous que vous pouvez mettre le président sortant en ballottage ?
Notre ambition n”est pas seulement de le mettre en ballottage, mais plutôt de gagner les élections. Le plus important est que nous voulons réhabiliter l”engagement politique. Pourvu que l”engagement politique s”assume d”abord. La cohésion du pays ne peut résider dans la similitude de tous les projets politiques. On se serait battu pour rien et ce serait irréaliste. C”est pourquoi nous avons adopté comme slogan que la force du changement réside en chacun d”entre nous.
Transcrit par Paul Mben“