Aujourd”hui vendredi, la Cour Constitutionnelle doit proclamer les résultats complets définitifs du premier tour de la présidentielle de 2007. Du moins en principe. Elle a vu en effet sa tâche accrue par l”amateurisme du Ministère de l”Administration territoriale.
Les résultats proclamés par celle-ci, malgré les cinq jours qu”ils ont nécessités, et après moult copies où la somme des résultats obtenus par les candidats dépassait les 100% des suffrages valides exprimés, s”est finalement résignée à une version n”atteignant pas ces 100%. A charge donc pour nos sages d”être également censeurs en arithmétique. Mais, d”ici qu”elle-même ne s”autorise un petit chouïa de prolongation, puisque, décidemment, on fait ce que l”on veut de la constitution au Mali ….
Mais que rendra la Cour Constitutionnelle dans quelques heures ? Un arrêt ? Un service ? La question est pertinente, si on se remémore la phrase historique de l”Avocat général de la Cour d”Assises jugeant le Général Moussa Traoré, lors du procès crimes de sang : "La justice a effectivement condamné Oumar Mariko, mais c”était pour rendre service". Rendre service à qui ? Au pouvoir exécutif ?
Alors, question : viendra-t-il le jour, où les juridictions maliennes se contenteront de rendre des arrêts, et non des services ? La Cour Constitutionnelle du Mali aura donc la charge, ce vendredi 11 mai 2007, de nous livrer une des clés de réponse.
Car le problème n”est pas compliqué. Cinq questions fondamentales lui sont posées :
Oui ou non, apposer l”empreinte digitale sur les bulletins à mettre dans l”urne viole-t-il l”article 94 de la loi électorale qui stipule "Sont nuls : les bulletins blancs ; ceux ne contenant pas une désignation suffisante ; ceux dans lesquels les votants se sont fait connaître ; ceux trouvés dans l”urne sans enveloppe ou dans les enveloppes non réglementaires ; les bulletins ou enveloppes portant des signes de reconnaissance ; les bulletins ou enveloppes portant des mentions injurieuses." ?
Oui ou non, signer des bulletins de vote viole-t-il la constitution, en transformant le vote à bulletin secret en vote à bulletin apparent ?
Oui ou non, cette signature fait-elle pression sur les électeurs, beaucoup d”entre eux (certains nous l”ont avoué depuis), ayant voté ATT par crainte de l”utilisation que l”on pourrait en faire ?
Oui ou non, le régime a-t-il désormais la possibilité de s”ériger en Etat policier détenant un fichier des électeurs sur la base de leurs votes ?
Et enfin, la mention du slogan de campagne "ATT, le Mali qui gagne" sur les bulletins de vote continue-t-elle ou non sa campagne jusque dans les bureaux de vote ?
Lors d”un débat de «grin» , certains avocats du candidat ATT, nous ont rétorqué que la mention " ATT le Mali qui gagne" serait du même type que les mentions "équité-solidarité", "environnement-croissance-équité " et "justice-progrès-solidarité" figurant respectivement sur les logos de Mamadou Sangaré, de Mme Sidibé Aminata Diallo et de Ibrahim Boubacar Keïta .
Serait-ce possible que la Cour les suive dans l”inacceptable confusion entre slogan et devise ? Car "IBK Kankeletigi", "Mamadou Sangaré, Mogotigui, le courage en politique", "Tiébilé Drame, la force montante" sont des slogans de campagne et, partant, ne figurent pas sur leurs logos du bulletin de vote.
Mais enfin ! A les entendre, "Un Peuple – Un But – Une Foi" serait le slogan du Mali, et non sa devise.
Devrions-nous renvoyer nos doctes avocats au dictionnaire Larousse, qui définit ces deux concepts de la manière suivante :
Slogan : formule brève et frappante lancée pour propager une opinion, soutenir une action ; phrase publicitaire concise et originale, conçue en vue de bien inscrire dans l”esprit du public le nom d”un produit, d”une firme.
Devise : brève formule qui caractérise le sens symbolique de quelque chose ou qui exprime une pensée, un sentiment, une règle de vie, de conduite.
Slogan et devise n”ont donc qu”un seul point en commun, c”est d”être des formules brèves. Sinon, tout, absolument tout, les oppose : la devise est noble là où le slogan est racoleur. Ainsi la devise a-t-elle parfaitement sa place sur le fronton de la République, sur le fronton des partis démocratiques et, pourquoi pas, dans les bureaux de vote. Contrairement aux slogans. Ceux-ci, en aucune façon, n”ont leur place dans les bureaux de vote.
A court d”arguments, nos avocats qui, assurément ont eu par le passé de bien meilleures plaidoiries, osent opposer une décision ministérielle concernant la confection des bulletins, donc administrative, à la loi, et même, à la constitution. Oublieraient-ils que la hiérarchisation des normes est au cœur de l”Etat de droit ? Oublieraient-ils que, dans l”ensemble pyramidal des normes, la constitution (sommet de la pyramide) et les lois, sont toutes supérieures aux décisions administratives qui, tout comme les conventions entre personnes de droit privé, constituent la base de la pyramide ?
En allant plus au fond, c”est la théorie de la séparation des pouvoirs qui se trouvera renforcée ou non par l”arrêt que la Cour rendra. Car, pensée par Aristote, élaborée par Locke et Montesquieu, la séparation des pouvoirs est aujourd”hui conceptualisée, non plus comme un simple agencement entre puissances publiques équilibrées se partageant les différentes fonctions de l”Etat, mais bien comme un modèle juridique où chaque puissance aurait le monopole d”une des fonctions de l”Etat, et ne pourrait être influencée par une autre.
C”est en cela seulement que le pouvoir arrête le pouvoir. Et c”est en cela seulement que la démocratie s”instaure et s”approfondit.
Que va asseoir la Cour Constitutionnelle du Mali : un Etat de droit véritable, ou plutôt, un Etat de droit " wouya wouya " ? Prenons garde, lorsque le pouvoir judiciaire limite sa mission au sauvetage du pouvoir exécutif, il se surprend à rendre des services et non des arrêts. Et dans le cas d”espèces, nos sages seraient des sages, simplement parce que assis dans les fauteuils des sages, au lieu d”y avoir été installés parce que sages.
Toumani Djimé DIALLO
Responsable RPM
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