A un vol d’épervier de l’élection présidentielle, maints observateurs prédisent une victoire sans appel du général ATT. Cinq paramètres majeurs sous‑tendent leur pronostic : la popularité du président, les moyens administratifs et financiers que tout président détient, la large coalition partisane qu’il a mise en place, ses réalisations socio‑économiques et la campagne électorale presque permanente qu’il anime depuis juin 2002. Le candidat Amadou Toumani Touré est‑il vraiment imbattable ? Ou, au contraire, Ibrahim Boubacar Kéïta pourrait‑il en venir à bout ? Ces interrogations, à notre sens, méritent que l’on s’y attarde.
Le général ATT a eu l’intelligence de capitaliser, à travers son fameux concept du consensus, la politique de famine à laquelle Alpha 0umar Konaré avait victorieusement soumis ses adversaires.
De peur de retourner au pain sec et à l’eau, tout ce que le pays comptait de contestataires s’est sagement rangé autour de la marmite du président : des philosophes barbus du Miria aux anarchistes de la Sadi en passant par les impénitents marcheurs du Cnid et du MPR. Même Ibrahim Boubacar Kéita, que l’on croyait prêt à en découdre dans la rue pour récupérer un pouvoir dont son frère et ami Konaré l’avait écarté, a préféré les lambris dorés du parlement aux funestes promesses des gaz lacrymogènes.
Une prouesse stratégique
ATT n’en demandait pas tant. Moyennant quelques prébendes, que dis‑je, des bouts d’os par‑ci et des morceaux de viande par‑là, il a pris fermement pied dans les principaux partis politiques, leur ôtant, du coup, toute velléité d’émancipation, toute ambition autre que satellitaire.
De surcroît, grâce à la pratique du consensus, le président sortant a appauvri, à l’avance, le discours politique de ceux qui, comme le RPM, prétendraient lui reprocher les insuffisances d’un régime avec lequel ils collaborent depuis cinq ans. C’est enfin grâce au consensus que ATT a réussi à apaiser un pays en proie à la violence, à consacrer les maigres moyens de l’Etat aux actions de développement et non au maintien de l’ordre.
Résultat : une école en paix, des milliers de tracteurs livrés au monde paysan, des milliers de logements sociaux, une double augmentation des salaires de la fonction publique, des centaines de kilomètres de routes nouvelles, des milliers d’emplois nouveaux et, surtout, une prometteuse recherche pétrolière qui vaudra, peut‑être, au Mali l’accès, à bref délai, au club très prestigieux des pays africains producteurs d’or noir.
En définitive, le consensus prôné par le Général ATT dès l’entame de son mandat n’était pas une mélodie philanthropique. C’était plutôt une stratégie. Une arme politique inédite que le Général a utilisée pour neutraliser des rivaux aussi redoutables que Soumaila Cissé, Choguel Maiga ou Me Mountaga Tall, apprivoiser quatorze importants partis sans en créer un seul, dominer le parlement sans avoir le dixième des députés, exercer la réalité d’un pouvoir qu’il a cependant donné l’impression de partager, tout en apparaissant, à l’heure du bilan, comme l’unique inspirateur, l’unique auteur de réalisations qui constituent pourtant l’oeuvre de tous.
Voilà une authentique prouesse qui donne à ATT une longueur d’avance sur ses challengers futurs. Lesquels, au premier tour du scrutin, vont, par‑dessus le marché, en rangs dispersés, augmentant d’autant les chances du président de ravir le pompon. Mais si l’homme ATT a déblayé le terrain, il n’est pas sûr que son attelage électoral l’occupe.
En effet, en dehors de l’Adema, de l’Urd, du Cnid et du MPR, les autres composantes de l’ADP, la mouvance présidentielle, ressemblent fort à des compléments d’effectif
Le mouvement citoyen, dont le poids réel n’a jamais pu être mesuré avec exactitude, s’entredéchire tandis que les militants de l’ancienne ACC tiendraient sur la natte d’un chef de village.
Les innombrables ministres, ambassadeurs et PDG «indépendants» nommés par le président ne paraissent pas avoir abattu le moindre travail électoral au profit de leur chef, ce qui diminue pour celui‑ci le bénéfice de leur présence aux premières loges de l’Etat.
Le pire, c’est que tout ce beau monde, quoique s’étant copieusement gavé tout le long du quinquennat, attend, la langue pendante, que le Général ATT, tel Papa Noël, daigne bien leur allouer des fonds de campagne, lesquels fonds, on s’en doute, risquent fort de disparaître dans la panse rebondie de quelques leaders, plus soucieux de leurs vieux jours que de la réélection de quiconque. Et ce n’est pas tout !
Excès de confiance ou oisiveté politique, les chefs politiques qui soutiennent ATT se gargarisent presque tous de l’idée d’un échec impossible de leur champion. Oublieux de la mésaventure du lièvre face à la tortue, ces braves compères passent le plus clair du temps à philosopher sur leur force au lieu de la déployer.
De nombreux responsables de la mouvance présidentielle ont d’ailleurs perdu leur base, pour avoir savouré, sans elle, loin d’elle, les délices du pouvoir. N’est‑ce pas là, au demeurant, la raison qui les a incités à ne pas consulter leurs structures avant de proclamer leur soutien au chef de l’Etat dont il faut rappeler qu’il ne s’est pas encore déclaré candidat ?
Ces constats remplissent l’observateur averti de doute. Ils lui interdisent surtout d’emprunter la logique arithmétique des inconditionnels d’ATT selon lesquels l’issue de la présidentielle se résumera à la simple addition des voix virtuelles des formations de l’ADP. Nous ne croyons d’ailleurs pas que le chef de l’Etat partage l’analyse de ces griots modernes, lui qui inaugure désormais jusqu’aux ateliers de formation d’ambulanciers ! Alors question : le Général ATT, face à tant d’hypothèques, pourra-t‑il faire le plein de ses voix ?
L’interrogation est grave lorsqu’on se souvient que le président sortant a l’ardente obligation de s’imposer dès le premier tour du scrutin.
De fait, dans l’hypothèse d’un second tour, ATT n’aura plus, en théorie, de réserve de voix et pourrait difficilement, en raison de sa réputation de démocrate, de l’expérience de ses adversaires et des risques d’instabilité, avoir recours au tripatouillage électoral ou au hold‑up judiciaire. Il n’est pas sûr non plus qu’il arrive à débaucher du FDR un Tiéblé Dramé (humilié par sa récente convocation devant le parquet) ou un Soumeylou Boubèye Maiga (convaincu qu’il n’a plus rien à espérer de ATT).
IBK, candidat de Konaré ?
En réalité, à travers Tiéblé Dramé, son gendre, Soumeylou Boubèye Maîga, son ex‑homme de main, et l’ADJ, composée de ses seuls affidés, c’est l’ancien président Alpha Oumar Konaré qui semble s’inviter gaillardement dans le scrutin présidentiel.
Que cet homme, qui a juré de ne jamais abdiquer de son militantisme, quitte sans raison valable son poste de président de la commission de l’Union africaine et qu’il n’ait aucune perspective internationale immédiate accrédite la thèse qu’il souhaite se replonger dans le marigot politique malien.
Konaré n’aurait pas, susurre‑t‑on, pardonné à ATT d’avoir à la fois présidé et gouverné, alors que selon les plans de l’ancien président, ATT aurait dû se contenter de présider ‑ laissant le gouvernement à l’Adema‑ et même se borner à un mandat.
L’ancien président aurait vécu comme un inénarrable calvaire le fait que l’Adema, aux législatives de 2002, ait, à la veille du scrutin, vu 24 de ses candidats recalés par la Cour constitutionnelle puis, après le scrutin, 16 de ses députés élus invalidés par la même cour. Konaré aurait vu là la main de son successeur qui entendait exciper de l’absence de majorité absolue au parlement pour dicter sa loi à la classe politique et gouverner comme bon lui semblait.
La rumeur court que Konaré, s’estimant trahi par ATT, s’est réconcilié avec IBK lors de la dernière Tabaski. Il aurait jeté le soldat Soumeylou Boubèye dans la bataille électorale dans l’unique but d’émietter les voix de l’Adema ‑ électorat naturel d’ATT ‑ et de provoquer un second tour dangereux, voire mortel pour le chef de l’Etat.
L’Adj, composée essentiellement de caïds de l’Adema, aurait la même mission d’éparpillement des voix que Alpha a parfaitement réussie en 2002 contre le candidat Soumalla Cissé, Or on sait Konaré riche, encore influent et diablement manoeuvrier. C’est peut‑être lui que le Général ATT devra vaincre. Et non pas IBK.
De deux choses l’une : ou Konaré est l’inspirateur du FDR et alors, ses soldats, guidés par leur mentor, se sacrifieront jusqu’au dernier aux côtés d’IBK , ou Konaré n’a rien à voir dans cette affaire et alors, au second tour, IBK verra fondre sa belle coalition comme beurre au soleil.
En effet, laissés à eux‑mêmes, Tiéblé Dramé ‑ peu connu pour ses sympathies envers IBK‑ et Soumeylou Boubèye Maiga ‑ bourreau d’IBK dans un passé récent ‑ céderont à la première offre sérieuse du président sortant et lâcheront leur cher allié au milieu du gué. Car nos deux amis (que oui, ils le sont véritablement !) auront atteint leur but : obliger ATT à traiter avec eux.
Un privilège qu’ils n’auraient peut‑être pas obtenu s’ils se fondaient dans le magma anonyme des satellites du général‑ président.
Me Cheick Oumar KONARE
Avocat à la Cour
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