MALI – Les problèmes d’ATT

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Le président de la République du Mali a visiblement des problèmes de compréhension de la démocratie dans son essence.

En l’espace de quelques jours, le chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré a subi deux « affronts » selon sa définition de la fonction présidentielle. A Montreuil, dans cette banlieue chaude de Paris où plus de 6000 immigrés économiques maliens tentent de gagner dignement leur vie, où on lui avait promis un accueil triomphal, il s’est fait proprement huer par des compatriotes qui le suspectent de gérer sur leur dos une entente sécrète avec le démagogue en chef de France et ci-devant ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy.

Puis, lors de la signature du protocole FDR, des leaders politiques lui ont rappelé qu’il aura des adversaires face à lui et qu’il devra défendre son bilan. Enfin, dans une interview accordée à un hebdomadaire parisien dont le propriétaire est un ami personnel d’ATT, Ibrahim Boubacar Kéita n’a pas pris de gants pour dénoncer une gestion erratique et patrimoniale du pouvoir.

Ces différentes péripéties, quoique banales en démocratie, ont suffi à hérisser le peu de cheveu que le général porte sur la tête. Selon les comptes rendus faits par les médias et non encore démentis, lors de la pose de la première pierre de ce qui est prévu être l’hôpital régional de Sikasso, il a parlé des gens qui « insultent » sa personne avant de prononcer un « je m’en fous » retentissant. Passons sur la familiarité du langage tenu et venons-en au fait.

M. le président n’a pas du tout été « insulté », en tout cas pas par les animateurs du Front pour la démocratie et la République. Il y a là un sérieux problème de sémantique. Les opposants ont critiqué sa gestion de l’Etat. Entre l’injure et la critique, ATT a intérêt à comprendre que la nuance est énorme. Et malheureusement, en démocratie, le chef n’a pas le choix, il devra vivre avec la critique.

Il revient là une constante dans la gouvernance ATT et sur l’attitude de l’homme envers les autres. Le 26 mars 1991, en faisant irruption sur la scène politique, ATT est devenu un « héros » tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du Mali. Il est sans doute celui qui a permis au mouvement démocratique de porter l’estocade finale au régime nécrophage de l’UDPM. Pendant 10 ans, ATT a bénéficié de cette aura et se bâtissait tranquillement une statue de mythe. Mais il lui était très difficile de résister aux dizaines de pressions exercées sur lui pour revenir aux affaires.

Une fois installé à Koulouba, ATT croyait sans doute perpétuer ce mythe, rester intouchable ou gouverner le doigt dans le nez. Non ! Il ne reste plus que la Corée du Nord au monde où personne n’ose critiquer le président. Y a-t-il des Maliens qui ont envie d’émigrer à PyongYang ? Soyons sérieux… ATT doit comprendre qu’il est président d’un pays démocratique. Que cette démocratie porte une mémoire qui se trouve au Carré des martyrs, au cimetière de Niaréla. Ces hommes et femmes ont donné leur vie pour permettre à leur peuple de parler librement, sans peur ni crainte.

Le Mali n’est pas le Sénégal

Et ATT doit également reconnaître la valeur morale et patriotique de ses adversaires, leur droit absolu de briguer la présidence de leur pays. Leur cursus démocratique prouve, si besoin en est, leur amour du Mali et leur engagement en faveur de la liberté. S’il ne s’en souvient plus, il paraît utile de lui brosser un portrait rapide de ses futurs adversaires pour qu’il se convainque qu’il n’a pas affaire à des voyous mais à des hommes respectés et respectables.

Soumeylou Boubèye Maïga est reconnu, même par ses plus farouches ennemis, comme une des pièces maîtresses du Mouvement démocratique de mars 1991. Il n’a jamais eu peur de Moussa Traoré et risqué plusieurs fois sa vie en s’engageant ouvertement dans la contestation. Il a permis à la démocratie malienne de prendre racine quand bien même certains des supporters les plus zélés d’ATT aujourd’hui, des individus qui n’ont jamais été des démocrates, avaient juré de renverser Alpha Oumar Konaré par la rue ;

– Ibrahim Boubacar Kéita, en avril 2002, aurait pu mettre le Mali à feu et à sang si, par patriotisme, il n’avait pas empêché ses partisans de réclamer justice après la forfaiture du Conseil constitutionnel. Comme Premier ministre, il a administré les preuves de son sens élevé de l’Etat et des ses compétences. A l’Assemblée nationale, il a donné une dignité au mandat de député ;

– Tiébilé Dramé a acquis ses lettres de noblesse dans la lutte du mouvement étudiant contre la dictature du général Moussa Traoré. Eh oui, M. le président, quand Tiébilé, ami de Cabral, se battait contre Moussa, vous étiez malheureusement de l’autre côté ! Défenseur engagé des droits de la personne, observateur des Nations unies à Haïti et Fellow d’une des plus grandes universités américaines, M. Dramé est un homme à qui on doit le respect ;

– Oumar Mariko pourrait faire l’objet de toutes sortes d’attaques, mais personne ne lui reprochera de manquer de courage et d’amour pour le Mali. Dans les chaudes journées de janvier et mars 1991, alors que des millions de Maliens se réfugiaient derrière des murs, Oumar Mariko, ne l’oubliez pas, dirigeait le fer de lance de la révolution, le mouvement étudiant. Si Moussa Traoré est tombé c’est aussi quelque part par la bravoure de Dr. Mariko ;

– Le Pr. Abdoul Traoré dit Diop est un pionnier de la culture et de l’information libre au Mali parce qu’il fait partie des fondateurs de la Coopérative culturelle Jamana. Libre d’esprit et de parole, ce chirurgien reconnu par ses pairs n’a pas besoin de passer un concours national pour prouver son patriotisme.

Nous le voyons donc, ATT ne peut se permettre une poussée d’urticaire parce que ces hommes lui font des reproches ou le critiquent. Nous avons l’impression que, phagocyté par les louanges des gens qui profitent de son pouvoir, ATT est en train de succomber au syndrome du messie incompris. On lui a tellement servi la sérénade de l’homme providentiel qu’il a perdu de vue qu’il est un Malien parmi d’autres, un humain qui peut et doit être critiqué. Son statut de général et de tombeur de Moussa Traoré n’est pas non plus un antidote aux critiques.

Des généraux cent fois plus célèbres (par la politique et les faits d’armes) sont passés par là : Charles de Gaulle, le leader de la France libre, a été mis en ballottage par François Mitterrand, conspué par les étudiants de mai 1968 et sévèrement malmené par les médias sans qu’il n’y ait un drame.

Le général Dwight Eisenhower, architecte du débarquement de Normandie et président des USA s’est plusieurs fois fait traiter de « crétin » ou d’individu « irrationnel » par ses adversaires sans que le ciel ne leur tombe sur la tête. Un ancien Premier ministre du Canada qui n’avait pas la langue dans la poche disait : « Le plus grand danger du pouvoir, c’est de s’entourer de laquais et de gens sans envergure intellectuelle qui ne te critiquent jamais. Je vous jure qu’un homme à qui on dit tout le temps oui monsieur, parfait monsieur, finit par devenir un dictateur, donc un mauvais leader. Il n’acceptera plus son statut de simple citoyen ».

Il serait important que les Maliennes et Maliens se rappellent que la démocratie ne meurt que quand on ne s’en sert pas. Ceux qui croient que le cas Wade au Sénégal (réélection triomphale au 1er tour) est transposable mécaniquement au Mali sont des aventuriers dangereux qui risquent de semer le désordre. Wade et ATT n’ont ni le même cursus ni la même histoire.

Wade a passé 26 ans dans une opposition démocratique, passant une partie de son temps en prison, humilié et traité de « fou ». La relation qu’il a bâtie avec les Sénégalais l’a été dans le temps, la douleur et l’espérance. Au lieu de conclure à des similitudes hâtives, un minimum de connaissance de la sociologie sénégalaise est utile.

Le Mali a besoin d’un président visionnaire et déterminé à combattre la corruption, l’impunité, l’incivisme et la médiocrité. Pas d’un messie tropical que personne n’ose critiquer. Et seul le peuple malien décidera souverainement de son avenir.

Ousmane Sow
(journaliste, Montréal)

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