Editorial – Rétablir la vertu

0

Il y a de cela deux ans, à l’occasion de la présentation des meilleurs vœux, le Président de la Cour constitutionnelle, Salif Kanouté évoquait les opérations électorales de 2007 sous les contours d’une véritable « délinquance caractérisée ». Deux ans après, il se retrouve au cœur d’une tourmente encore plus grande. Lui et ses collègues de la Cour constitutionnelle ont à faire cette année à ce que d’aucuns ont qualifié d’exquis banditisme électoral. Les Maliens ont vu se dérouler sous leurs yeux, une authentique opération chirurgicale : sans odeur, sans couleur mais dont la saveur est peu ragoûtante pour notre jeune démocratie. rn

Les Maliens ont vu de quoi une administration aux ordres est capable. En plus de forcer le vote, en plus de voler le vote, en plus de faire disparaître des voix, les Maliens se sont rendus compte que leur administration est capable d’organiser une élection sans les électeurs. C’est ce que d’aucuns ont qualifié de banditisme d’Etat. Par le passé, à l’occasion des élections, les partis politiques tentent avec leurs moyens de frauder soit en achetant des cartes, soit en achetant des électeurs. Mais de mémoire de Malien, c’est la première fois que l’appareil de l’Etat prend les choses en mains avec la volonté affichée et imposée aux autres de voler : enlèvement des cartes électeur, confection de cartes d’identité, confection de procurations, multiplications des bureaux de vote, utilisation abusive des forces armées et de sécurité, etc.

rn

L’objectif est simple : faire la preuve par deux que l’administration peut organiser des élections et faire gagner son candidat sans les électeurs. D’où les faux calculs, les faux taux et les faux totaux rendus publics qui ne sont pas dignes de la grandeur qu’on veut pour notre démocratie. Les Sages de la Cour savent ce que les Maliens attendent d’eux, sinon s’en est fini du vote dans notre pays. Et pas plus tard que lors des législatives à venir, les Maliens pourraient décider tout simplement de rester à la maison ou de vaquer à leurs occupations dès lors que leurs voix ne comptent plus et dès lors que l’administration peut voter à leur place en élisant qui bon lui semble.

rn

Les Maliens ont vu de quoi les hommes politiques sont capables. A défaut de les mobiliser, ils peuvent mobiliser les cartes non distribuées, fabriquer à la pelle des cartes d’identité et des procurations, transporter comme du bétail…électoral des électeurs et se déplacer comme lors des fêtes foraines pour voter. Et sans gêne et sans honte, venir s’asseoir, bomber le torse et se vanter d’avoir gagné haut la main.

rn

Les Maliens ont vu ce qu’un pouvoir en place peut faire quand il veut fausser le jeu et surtout quand il veut rester. Des personnes ont été commises sur toute l’étendue du territoire avec comme mission unique de faire voter en faveur du Président sortant ; quels qu’en soient les moyens. Résultat : on se retrouve avec des chiffres et des résultats défiant toute concurrence et allant à l’encontre du bon sens. D’où la gêne, d’où la honte, d’où cette incroyable impression que laissent les vainqueurs désignés qui rasent les murs et qui se tiennent à carreau.

rn

Les Maliens assistent impuissants à l’élévation du vol au statut de vertu. Tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il y a quelque chose d’anormal dans ce qui s’est passé, qu’il y a quelque chose de pourri dans ce qui s’est passé mais il se trouve des gens pour dire « non, fermons les yeux et continuons ». Nous, nous pensons qu’on ne peut ni fermer les yeux encore moins continuer. C’est pour cela que, comme ceux du FDR qui ont saisi la Cour constitutionnelle, nous estimons que les Sages devront rendre justice aux Maliens qui ont fait des distances énormes pour voter pour rien et nous pensons qu’il est du devoir de la Cour constitutionnelle de rétablir la vertu dans notre pays en flétrissant le vol et les voleurs. Nous pensons également « qu’il n’y a pas de seuil tolérable pour la fraude ». Parce que tout comme on dit que « qui vole un œuf volera un bœuf », nous ne sommes pas loin de penser que quelqu’un qui est capable de mettre son génie à voler une voix peut en voler des millions.

rn

La démocratie malienne, citée en exemple il n’y a pas longtemps pour son génie et sa capacité à engendrer des situations inédites -comme le fameux consens-,  est aujourd’hui la risée et on la montre du doigt pour sa capacité, cette fois-ci, à accoucher de situations burlesques. On nous compare au Nigeria où un général pour qui tout le monde vouait un immense respect, faute de pouvoir rester malgré toutes ses tentatives, a organisé sa succession en cédant la place à un de ses obligés sur un amoncellement de cadavres. Il y en a même qui estiment avec un brin d’exagération, que les morts en moins, ce qui s’est passé au Nigeria est identique à ce que nous avons vécu le 29 avril. Les moins gentils font référence à la concurrence que nous livrons, de manière même déloyale, au régime communiste de Pyongyang. La Cour constitutionnelle peut arrêter la dérive ; les Sages peuvent empêcher notre pays « de s’enfoncer dans la nuit ». En rétablissant la vertu.

rn

Elhadj Tiégoum Boubèye Maïga

rn

rn

 

Commentaires via Facebook :