Blaise Sangaré, 3e Vice-President du FDR : Ceux qui parlent de takokélen s’amusent

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S’il est réputé être un brillant orateur, Mamadou Bakary dit Blaise Sangaré, président de la Convention démocrate et sociale (CDS), s’est rarement livré à la presse. C’est chose faite aujourd’hui. Dans un entretien exclusif qu’il nous a accordé, « Mogotigui » parle des élections générales. Connaissant les réalités du terrain, il met en garde les tenants d’une réélection dès le 1er tour. Pour le 3e vice-président du Front pour la démocratie et la République (FDR), seul un 2e tour peut départager les protagonistes. Le Mali, qui a arraché sa démocratie dans le sang, n’est pas le Sénégal, avance-t-il. Interview.

Les Echos : La CDS dont vous êtes le président a signé la plate-forme du Front pour la démocratie et la République (FDR) et vous en êtes le 3e vice-président. Pourquoi le FDR ?

Mamadou Bakary Sangaré dit Blaise : Les raisons sont toutes simples. Je peux dire qu’elles sont même élémentaires en matière de démocratie. Nous sommes entrés en partenariat avec tous ceux qui se réclament des principes de liberté, de démocratie, de pluralisme démocratique et de multipartisme. Cela impose un certain nombre de comportements. Cela nous donne même si vous voulez, des choix de mission. Des choix d’obligation, qu’elle soit morale, qu’elle soit sociale. Créer un parti politique, l’animer, veut dire aller à la conquête du pouvoir. Il faut comprendre que les partis se constituent en concluant un pacte moral et social avec la collectivité.

Ce pacte veut dire que nous nous engageons au terme de la Constitution, de la loi électorale et de la charte des partis à former la conscience politique de nos concitoyens et à briguer les différents suffrages, à aller au pouvoir, à l’exercer ou à le contrôler. C’est notre engagement perpétuel qui n’est pas séquentiel, mais qui est continu, qui s’inscrit dans le temps, dans la durée. Nous devons aller aux élections, parce que cela suppose que d’élections en élections nous proposons des choix fondamentaux à faire. Voilà pourquoi nous sommes engagés aux côtés de nos partenaires du FDR qui, comme nous, pensent la même chose.

Les Echos : A l’opposée du FDR, il y a l’Alliance pour la démocratie et le progrès (ADP) soutenant une probable candidature d’ATT. Vos détracteurs vous accusent d’être un regroupement d’aigris politiques. Que répondez-vous ?

M. B. S. : Il faut qu’on se mette d’accord sur le concept. Qu’est-ce que c’est qu’un aigri ? Un aigri veut dire quelqu’un qui n’est pas en harmonie avec sa conscience et qui a manqué un devoir. J’appellerai ça un aigri. Mettons les choses dans leur contexte. L’ADP est formée quand même de partis politiques. Il faut qu’ils se souviennent que le rejet systématique de la chose politique aujourd’hui par nos concitoyens, le bas niveau de la participation, le mépris que les hommes et les femmes de ce pays commencent à afficher envers la chose politique sont liés justement à la non-combativité et à la non-représentativité des acteurs de la vie politique aujourd’hui.

Finalement, si l’on essaie de faire un match de football à deux camps, dans le camp du FRD, il y a ceux-là qui sont des partis politiques, financés comme tel et qui ont engagé leurs responsabilités et pour qui l’Etat et le peuple malien ont consenti des sacrifices financiers pour soutenir l’action politique, la formation politique donc le processus électoral. Ils se sont engagés dans ce sens et veulent répondre présents à l’élection présidentielle du 29 avril 2007. Ne pas aller à une élection, pour nous, à la CDS, ce n’est pas avoir d’idées, ne pas avoir de programmes, ne pas avoir d’engagement à proposer. Cela veut dire qu’on est en panne. Si on est en panne, on doit dégager de la scène. De l’autre côté, il y a ceux qui disent avec tout l’argent qu’on nous a donné, on n’a pas de proposition, on n’a pas d’action, on n’a rien d’autre à proposer que de nous mettre ensemble derrière quelqu’un qui n’a même pas un parti politique et avec qui naturellement nous n’avons rien en commun. Est-ce que les 36 partis de l’ADP ont le même programme ? Est-ce qu’à 36 ils peuvent fusionner ? S’ils sont d’accord autour d’un même programme et d’un même homme ils n’ont qu’à fusionner. Mais nous nous proposons à l’opposée la pluralité.

Les Echos : L’ADP étant sûre de sa force et de ses moyens jure par le « takokélen », c’est-à-dire l’élection d’ATT dès le 1er tour. Vous laisserez-vous faire ?

M. B. S. : Aujourd’hui, nous devons avoir souci de trouver les meilleurs sujets de thèse et de mémoire pour nos étudiants en sciences po de la FSJP. La démocratie pluraliste malienne est certes unique en son genre. Mais, elle regorge d’exemples concrets. Tout n’est pas addition arithmétique et systématique des voix. Cela peut faire passer à côté ceux-là qui pensent que le peuple malien est frappé de sclérose. Je vous donne un exemple qui est une hypothèse concrète. Je suis actuellement à la tête de la CDS, mais la CDS a une expérience en la matière à Bougouni aux élections générales de 1997. Au sortir des élections ratées du 13 avril 1997, la CDS était sortie première contre une liste commune Adéma-Parena-PDP. Devant notre refus d’aller en liste commune, il y en a qui ont pensé que l’addition des voix des 3 partis ferait disparaître la CDS de la scène politique. Mais tout s’est joué en un tour. A l’époque l’addition de ces voix faisait 36 000 voix contre 16 000 en premier pour la CDS.

Mais lorsqu’il s’est agi de liste commune contre la CDS, c’était l’inverse. La CDS l’a remporté à 32 000 voix contre 12 000. Cela veut dire qu’en politique, il n’y a pas d’arithmétique. Que deux et deux ne font pas 4. Justement, le challenge que nous nous voulons relever, c’est de faire confiance à la maturité politique du peuple. Nous faisons confiance au sens de discernement du peuple malien. Si les partis de l’ADP se rendaient compte aujourd’hui, le nombre de grands signes qu’on nous fait dans la rue pour avoir eu le courage d’affirmer notre identité politique, notre appartenance à la classe politique, de rehausser l’image du combat politique de l’action politique, de dire qu’on répond présent et qu’on veut proposer des choix, ils auraient vite déchanté.
Le soir du 29 avril déjà je ne vais pas jusqu’au 30, les premiers résultats qui vont tomber vont leur prouver que le peuple malien a trois choses à défendre : la moralité, l’engagement, la sincérité.

Ces trois choses, nous au FDR, nous les avons plus que ceux qui vont se mettre dans un système de confusion qui consiste à dire encore on prend l’argent du contribuable, mais qu’on refuse d’aller aux élections. Rupture du contrat moral.
Je dis à ce niveau-là, que la différence fondamentale est faite. Déjà nous-nous en félicitons. Le distinguo sera fait entre les vrais partis politiques, capables de proposer un programme, de le défendre, capables d’aller au suffrage, capables d’aller à la sanction populaire d’en avoir les résultats si ces élections sont transparentes et régulières.

Les Echos : Alors, le « takokélen », mythe ou réalité ?

M. B. S. : Je vais vous faire peut-être sourire, mais c’est notre tradition du « sinakounya » (cousinage à plaisanterie) qui est d’usage dans notre pays. Si le camp d’en face pense au « takokélen », il s’amuse à se faire plaisir. Mais le « takokélen » quand il ne s’agit pas d’acteurs sérieux, engagés et qui ont déjà l’habitude de présenter des résultats concrets, le peuple ne l’acceptera pas. Le candidat du RPM, celui de la CDS, du Parena, de Convergence-2007 et d’autres qui arrivent et je citerais Dr. Oumar Mariko de la Sadi en précisant que lui ne fait pas partie du FDR mais nous admirons ce qu’il fait, donc que tous ces candidats respectables de la scène politique malienne s’engagent dans la bataille, proposent des programmes et des choix au peuple et que toutes ces voix engrangées soient battues par l’autre camp déjà je ne présage pas de ce que vous allez penser. Donc tant que c’est dit sur le ton du « sinakounya », nous l’acceptons. Mais si vraiment ils le pensent, je pense qu’il sera mieux de se réveiller parce que le peuple a déjà commencé à dire non. Un deuxième tour est naturellement ouvert. La question chez nous ne va même pas se poser. Un premier tour ne peut pas se passer. Nous nous connaissons sur le terrain. Nous savons qui vaut quoi et nous allons le prouver.

Les Echos : Au Sénégal, Me Wade avait écarté toute idée de 2e tour et il a battu ses adversaires à plate couture au 1er tour. Cela ne peut pas donner des idées au Mali ?

M. B. S. : Le Sénégal n’est pas le Mali. Il n’y a pas eu de 26 mars au Sénégal pour l’avènement de la démocratie. Au Sénégal, il y a eu un passage démocratique négocié. Mais chez nous c’était au forceps. Et là encore, c’est une interpellation grave. Est-ce qu’on aurait versé le sang des martyrs dans ce pays-là pour revenir à la case départ ? C’est comme si les dix années sous Alpha Oumar Konaré avaient été une fenêtre qu’on avait juste ouverte sur la démocratie pour savoir ce que c’est pour revenir à la case départ avec un général à la tête de tous les partis politiques qui se résumeraient en un parti unique.

Franchement, dites-moi que la comparaison n’est pas bonne sinon je dirais que vous n’êtes pas au Mali. Parce que tout Malien est tenté de le croire. On fait partir un général, on dit que c’est un parti unique, une pensée unique. Dix ans après, on fait revenir un général qui est apolitique et derrière qui tous les partis se mettent. En faisant la somme des 36 partis qui le soutiennent on se retrouve en un seul parti sans programme derrière un homme.

Les Echos : Vous ne pensez pas que le futur candidat de l’ADP (ATT) part favori avec la flopée d’associations, de clubs et mouvements de soutien et l’appui démesuré de l’ORTM ?

M. B. S. : La première fraude électorale et la plus malheureuse pour notre peuple c’est la sublimation des consciences. On a commencé par la voix de l’ORTM à violer les consciences. L’ORTM qui est le plus grand média audiovisuel public de ce pays, qui couvre l’ensemble du territoire national, animé par des agents publics, rémunérés et soutenus par des deniers publics, et qui se met au service d’un individu, je pense que ce n’est autre que le détournement des missions et des moyens de l’Etat. Je pense que c’est d’autant plus triste que l’ORTM contribue à rendre le peuple malien borgne. Il pousse le peuple vers des antennes étrangères qu’il n’a pas les moyens de se payer ou à se tourner vers des émissions étrangères qui ne contribuent en rien à sa formation, à son éveil. Donc, on oriente forcément le peuple à regarder dans un seul sens. C’est déjà la fraude qui a commencé parce que l’ORTM n’est même pas prêt à proposer le choix. Or le premier droit pour un citoyen en démocratie c’est le droit de choisir.

On essaie de sublimer, en ce sens qu’on fait passer des images qui, de plus en plus, vont s’incruster dans le subconscient social. Contre ça nous nous battons. Nous sommes sur le terrain à la régulière, nous portons la vraie information et nous disons que quelque part, cette sublimation commence à faire des excès et des excès qui nous sont profitables. En se promenant dans les rues, on se rend compte que chaque fois qu’il y a un attroupement devant un téléviseur, c’est pour regarder une autre émission que celle offerte par l’ORTM. Ce n’est pas une force que nous avons en face. C’est à nous de les opposer la force de la réalité démocratique, de l’action politique, de la volonté politique.

Les Echos : Deux candidatures sont déclarées pour le moment au FDR. Pourquoi n’avez-vous pas songé à une candidature unique pour battre ATT ?

M. B. S. : Ce serait ne pas être conforme à notre éthique politique. Ce qui est le trait commun entre tous ces partis, c’est leur conviction profonde pour le combat politique. Nous avons comme philosophie qu’un parti doit avoir pour ambition de briguer la magistrature suprême. Encore une fois je le souligne, pas pour amener un homme mais pour présenter un programme qu’un homme une fois élu exécute. Si nous avions proposé à l’opposé un candidat commun, ce serait pratiquement la réponse du berger à la bergère. De l’autre côté ce que nous critiquons, ce que nous combattons, c’est-à-dire le « contentisme » politique, la démission politique, le retrait politique d’aucuns nous répondraient que ça ne correspond à rien. Ils n’auraient pas tort non plus. Tous nos candidats auraient leur programme à défendre, mais nous nous battons dans un souci de complémentarité.

Les Echos : On peut s’attendre dans les prochains jours à la déclaration de candidature de Blaise ?

M. B. S. : Je ne voudrais parler sans avoir un élément d’appréciation. C’est l’occasion de signaler que Blaise Sangaré est conseiller communal à Garalo (Bougouni), je suis conseiller de cercle à Bougouni, conseiller régional à l’Assemblée régionale de Sikasso. Dans le cadre du FDR, Blaise Sangaré est tête de liste régionale à Sikasso dans un regroupement politique RPM-CDS pour conduire la liste régionale pour les élections au Haut conseil des collectivités. Cette élection est prévue déjà le 18 mars 2007. Mon parti et moi sommes engagés sur ce premier front. Au sortir du 18 au soir, nous allons engager l’autre combat. Ce qui fait que la déclaration d’intention est faite.

Tout le monde sait que je suis engagé avec des candidats que mon parti est en train de se battre pour trouver tous les moyens administratifs, juridiques, financiers pour que nous soyons candidats dans la dignité d’une candidature républicaine. Mais seulement on voudrait, pour conforter le partenariat avec le RPM, mener le premier combat à bon port. A la proclamation des résultats, qui ne va pas tarder le 18 ou le 19 déjà, nous serons sortis de ce combat. La position du président de la CDS sur cette liste sera clarifiée. Mais ça ne fait aucun doute qu’en respectant les termes et les dates fixés par la loi, cette déclaration de candidature se fera en temps opportun.

Les Echos : Les partisans d’ATT mettent tout à son actif : routes, barrages, stabilité politique, entre autres. Vous êtes un témoin politique. Quel commentaire en faites-vous ?

M. B. S. : Il y a un philosophe, un penseur religieux qui m’a dit un jour : Dieu connaissant les hommes a dit qu’il crée d’abord la terre avant de créer le ciel. Parce que s’il avait fait l’inverse, les gens auraient pensé qu’il a posé les pieds sur terre pour le faire, que sinon ce n’est pas possible de créer quelque chose en suspension. Traduction à la symbolique : nous sommes tous des acteurs politiques de ce pays.

Qui a pu faire quoi avant de venir au pouvoir ?
Est-ce que tout ça a été fait parce qu’il est au pouvoir ?
Tout ça a été fait avec les moyens du pouvoir d’Etat et les moyens publics de l’Etat ? Ou qu’est-ce qui a été fait avant ?

On sait de façon locale, de façon régionale, qui et qui sont les acteurs qui sont impliqués avec leurs propres moyens, avec leur présence. Ils ont pu avoir une renommée, une réputation, ils ont pu avoir un engagement sur le terrain.
Donc s’il est possible pour un homme de faire des réalisations publiques par ses moyens privés, c’est un leurre que le Malien lambda comprend. Je me plais souvent à le dire, il faut le souligner de deux traits : au Mali, il y a des gens qui ne savent pas encore lire et écrire en français. Vous avez encore des gens qui ne savent pas lire et écrire en arabe ou en bambara. Mais vous n’avez plus personne qui ne sache réfléchir. Tout le monde sait qu’il y a des réalisations qui ne peuvent être faites que par l’Etat et au nom de celui-ci. Si des réalisations publiques passent au nom d’un patrimonialisme simple, vous conviendrez que le FDR a sa raison d’être pour éclaircir et expliquer tout ça.

Qui l’aurait fait mieux que nous ?

Chacun peut défendre un bilan. Mais qu’on ne s’y méprenne pas. Ne confondons pas deux choses. Nous allons à des élections. Nous n’allons pas parler de bilan mais de programme. Une élection ne se fait pas sur la base d’un bilan. Ceux qui s’engagent dans cette voie doivent savoir que nous nous voulons savoir quelles sont les alternatives proposées. D’abord leur alternative à l’ADP, c’est d’arrêter les arguments, ne pas réfléchir, rester derrière un homme. Que non !

Les Echos : Quels conseils pour les électeurs ?

M. B. S. : Les Maliens doivent comprendre que le choix fondamental est facile à faire. Ne nous perdons pas dans des hypothèses. Le choix, il est tout à fait simple, il est même élémentaire et à portée de main. Est-ce que des hommes politiques et des partis politiques bénéficiant de financements publics, ponctionnés sur le budget de l’Etat, sortis d’autres programmes de développement, considérant que cet argent va aussi au développement du processus électoral et de la consolidation de la démocratie ont raison de dire qu’ils ne vont pas au combat politique ? Si la réponse est non, ça veut dire que ce peuple, dans sa grande majorité votera oui pour les candidats du FDR et que cela soit clair.

Propos recueillis par Abdrahamane Dicko

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