Au Mali, Amadou Toumani Touré crie victoire dès le premier tour de l''élection présidentielle

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L”exception démocratique malienne est en suspens, lundi 30 avril, au lendemain du premier tour de l”élection présidentielle. Alors qu”une remarquable sérénité, seulement alourdie par une chaleur de 41 °C, avait présidé, dimanche, aux opérations de vote, l”entourage des deux principaux candidats en lice a donné un tour aigre au scrutin en revendiquant dans la soirée, chacun de son côté, la victoire. Moins de quatre heures après la fermeture des bureaux de vote, alors que les communications sont difficiles dans le vaste Mali, les porte-parole du président sortant, Amadou Toumani Touré, s”extasiaient déjà du "ras de marée" dont aurait bénéficié "ATT". A les entendre, "la déferlante dépasse 60 % des voix", selon des résultats collectés dans la moitié du pays. M. Touré aurait ainsi gagné un second quinquennat en s”épargnant les aléas d”un second tour. Quelques résultats constatés à Bamako rendent plausible cette victoire.

Mais le principal adversaire du candidat-président, Ibrahim Boubakar Keita ("IBK" pour les Maliens), ne l”entend pas de cette oreille. Peu après 20 heures, son parti clamait qu”il se trouvait "en tête au niveau national". Puis reconnaissait, un plus tard, que cette appréciation n”était basée que sur 2 % des résultats. Dans le camp de l”opposition, on disait le scrutin "marqué par une fraude d”une ampleur inédite" sans cependant en apporter de preuves. Des cartes d”électeur non retirées auraient été détournées et des militaires auraient voté deux fois. "Ils préparent un vrai coup d”Etat militaire", fulminait Macki Diallo, le directeur de campagne d”"IBK". Il faisait allusion au fait que plusieurs responsables de l”organisation du scrutin sont des militaires, tout comme le général "ATT", qui participa au renversement de la dictature en 1991.

Fréquente en Afrique, une telle querelle de légitimité au soir d”un vote est inédite au Mali. Sur les trois élections présidentielles pluralistes qu”a vécues ce pays depuis 1991, deux, dont celle d”"ATT" en 2002, ont été gagnées au second tour et marquées par les félicitations immédiatement adressées par le perdant au vainqueur. La troisième, en 1997, avait été boycottée par l”opposition qui contestait la validité du fichier électoral.

Ces derniers jours, les opposants avaient assuré qu”une réélection de M. Touré dès le premier tour ne pourrait résulter que de "tripatouillages". Leur position était affaiblie par le fait qu”ils avaient été associés à la refonte des listes d”électeurs et participé aux "gouvernements de consensus" formés par M. Touré. Alors que M. Keita avait évoqué des lendemains "fébriles" en cas de fraude, son porte-parole insistait, dimanche soir, sur le "légalisme" de son parti, semblant exclure un recours à la rue.

"Si ATT était déclaré élu au premier tour, j”aurais du mal à le croire", estimait un peu plus tôt Siroman Kotia, un étudiant de 19 ans, juste après avoir glissé son bulletin dans l”urne, dans le quartier de Sebenikoro. Imbattable sur l”élection présidentielle française, il confiait avoir voté "contre ATT, parce qu”il a serré la main de (Nicolas) Sarkozy" et considérait comme "un scénario de cauchemar" l”élection de "ces deux-là".

Entouré par un marché grouillant de monde, la cour de l”école au sable ocre, transformée en centre de vote, faisait figure d”îlot de silence. Comme partout, les électeurs se sont présentés au compte-gouttes, sans la moindre effervescence. Le taux de participation de ce dimanche ne devrait d”ailleurs pas être très éloigné des 38 % constatés en 2002. Un chiffre qui reflète d”abord la médiocre fiabilité du fichier électoral où 70 % des personnes décédées, non déclarées, continuent de figurer. Mais les piles de cartes d”électeur non réclamées traduisent aussi indifférence et désillusion. Obnubilés par leur subsistance, nombre de Maliens ne voient pas l”intérêt de voter. "Les gens ne viennent pas, car ils pensent que le résultat est déjà fait, entend-on fréquemment. Pour eux, un président qui organise une élection ne peut pas perdre."

L”alignement de voitures bâchées vertes devant le bureau de vote du quartier de Dravéla traduit les efforts des partis pour drainer les électeurs vers les urnes. "Les gens ne veulent pas venir, alors on va les chercher un par un", explique Abdoullaye Touré, un partisan de l”opposition. Beaucoup d”énergie pour de minces résultats. Devant la grille de l”école désertée, la marchande de mangues ronge son frein et les petites vendeuses de sachets d”eau fraîche sombrent dans la torpeur générale.

Philippe Bernard (lemonde.fr)

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