A CŒUR Ouvert avec la Candidate Aminata DIALLO : « Nous resterons toujours derrière les hommes»

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C’est à son domicile dans le quartier de Lafiabougou que Mme Sidibé Aminata Diallo, investie candidate à la présidentielle pour le compte du Rassemblement pour l’environnement et le développement durable (Redd) nous a reçus dans la pure tradition du « jatigiya ». Dans un entretien à bâtons rompus, elle nous détaille les raisons profondes de sa candidature et de sa vision du développement. Pleins feux sur l’environnement, la sécurité alimentaire, l’urbanisation et les rapports homme/femme… vus par la première Malienne à briguer la magistrature suprême du pays. Interview.rn

Qui est au juste Mme Sidibé Aminata Diallo ?

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Je suis professeur, chercheur à la Faculté des sciences économiques et de gestion. J’enseigne l’intégration économique. J’ai commencé mes études à Bamako, j’ai fait mon baccalauréat à Dakar au lycée John Kennedy. Je suis ensuite revenue au Mali où j’ai obtenu une bourse pour poursuivre mes études en France, à Toulouse puis à Paris. J’ai obtenu un doctorat en aménagement du territoire et en urbanisme. J’ai eu un parcours classique dans l’enseignement et dans les organismes internationaux. Mon métier est très vivifiant, les échanges avec les étudiants sont très intéressants. C’est un métier qui permet de voir comment les Etats peuvent se développer de l’intérieur, au sein des organisations régionales et sous-régionales.

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J’ai beaucoup d’ambition politique. Je ne suis pas connue dans le monde politique. Je milite beaucoup dans le monde associatif et dans la défense de l’environnement à Bamako. Je suis candidate à l’élection présidentielle 2007. Le débat mondial sur l’environnement est pratiquement inconnu dans les pays en développement. Les élections sont le moment de parler de ces enjeux politiques car il faut que notre environnement soit mieux protégé. Les pathologies ont un lien avec l’environnement insalubre. Je penserai au paludisme, aux typhoïdes, fièvres et diarrhées qui ont un lien direct avec l’insalubrité.

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Dans l’agriculture, nous constatons des insuffisances et si les équilibres environnementaux étaient assurés, notre agriculture serait plus productive. Ma façon de voir la politique, c’est de trouver des solutions rapides, que nous n’attendions pas encore 5 ans pour changer les donnes au plan économique, social…

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Avez-vous déjà des solutions économiques, pratiques à ces insuffisances environnementales ? 

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Les liens entre l’économie de l’environnement et les politiques existent au Mali. Les 2/3 de notre superficie aménageable au Mali sont situés dans les milieux contraignants. L’on comprend aisément pourquoi l’agriculture est faiblement productive. Quand on sait qu’en apportant de l’eau ou un système d’irrigation où les paysans pourraient tirer profit, on pourrait assurer la sécurité alimentaire.

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L’une des difficultés que rencontre le Mali, c’est l’impossibilité de nourrir tout le monde, toute l’année. On vit en situation d’insécurité permanente. Ces milieux contraignants demandent beaucoup de moyens pour être mis en valeur. C’est une mise en valeur impossible pour un Etat confronté au manque. Une économie qui, demain, sera gagnante doit être capable de nourrir toute l’année, toute la population. C’est un défi important. Quand on voit des grands pays comme l’Inde, la Chine qui nourrissent tout le monde, on peut dire qu’il n’y a guère de fatalité en agriculture. Il est possible de lever tous les obstacles pour arriver à la sécurité alimentaire. Le lien entre l’environnement et l’économie fait qu’on doit trouver les équilibres.

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Comment trouver, à votre avis, les moyens d’assurer les équilibres environnementaux ?

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Il s’agit de trouver des systèmes pour avoir de l’eau à profusion. Nous avons des possibilités à travers les aménagements, les grands barrages. Ce sera, demain, le creusement de plusieurs puits dans les lieux éloignés de la capitale, dans les espaces septentrionaux où l’on pourrait améliorer le quotidien des populations. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. On voit que les populations qui vivent dans le Sahara et la bande sahélienne vivent dans le stress permanent, l’eau étant un bien vital. Son manque est une forme d’injustice. L’urgence, pour moi, c’est de savoir comment demain tout le monde pourra disposer de l’eau potable à souhait. La bataille de l’eau, c’est le défi du 21e siècle. Si les réserves ne sont pas pérennes, on ne peut pas dire que l’agriculture sera durable.

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Vous avez parlé de maladies liées à l’environnement et vous avez tendance à nous considérer comme des victimes  innocentes. La dégradation de cet environnement n’est-elle pas davantage liée à notre comportement vis-à-vis de Dame nature ? Ne sommes-nous pas en quelque sorte les plus grands prédateurs de notre environnement? Que préconisez-vous alors ?

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Très bonne question. La progression démographique de 1960 à maintenant est une courbe montante. Au défi démographique, il faut ajouter l’augmentation des activités à Bamako. On n’a pas pensé à avoir des villes de relais qui puissent contenir le trop-plein. Si Ségou, Sikasso, Mopti avaient suivi le même développement urbain que Bamako, on aurait pu contenir l’exode rural. L’immigration campagne/ville nuit beaucoup à Bamako.

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Si je suis aux responsabilités, j’expliquerai les politiques à mettre en œuvre rapidement pour aménager les villes afin qu’elles puissent apporter aux populations les besoins qui les poussent à venir régulièrement à Bamako. Comment expliquer à nos compatriotes que l’accélération de l’urbanisation apporte aussi le développement ? Si Ségou, Kayes ou Mopti ont de véritables structures urbaines, elles permettraient à des étudiants de s’y installer et d’entreprendre. La ville est créatrice d’emplois. La France, l’Angleterre, les Etats-Unis sont des pays urbanisés à plus de 80 % avec des villes de service qui ont diminué le poids du secteur agricole. Tout en réussissant le défi de nourrir leur population et d’exporter leurs excédents.

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Comment comptez-vous combler les disparités entre le Nord et le Sud du Mali ?

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Nous avons un développement inégalitaire. Les trois grandes régions, Tombouctou, Gao, Kidal constituent les 2/3 de la superficie du pays. Le Sud qui est le plus arrosé doit nourrir le Nord. Il y a une fracture entre les deux. Pour combler cette fracture, il faut aller rapidement voir sur place l’éducation, équiper en écoles et dispensaires ces zones en y créant des lieux de formations, en y amenant des enseignants. La paix est à ce prix. Il faut étendre la croissance à l’ensemble de la population. C’est une urgence.

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Vous êtes la seule femme candidate. Quel effet cela vous fait-il ?

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C’est un grand honneur pour moi. J’ai un petit peu apporté de l’eau au moulin des femmes. Depuis que j’ai déposé ma candidature, je sens en elles beaucoup plus d’engouement, de volonté. Leur gent est pour la première fois représentée à l’élection présidentielle depuis qu’on a le droit de vote, comme s’il y avait une sorte de frustration qui a été gommée. Ce sont des moments très forts empreints de solennité de me voir parmi les grands hommes de la République. C’est la plus belle joie d’être aux côtés d’hommes qui ont déjà bataillé pour la conquête du pouvoir.

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Vous n’êtes pas très connue sur l’échiquier politique pour engranger les voix des Maliens.

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 Est-ce qu’on a besoin d’être très connu ?

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Je commence quelque chose. Il s’agit de montrer aux femmes qu’il faut rechercher les armes pour aller à la bataille, celle de la magistrature suprême, la mère des batailles. Si je réussis, aux prochaines élections, il y en aura beaucoup plus. Mon intention est de montrer que ce sera jouable. Je n’ai pas de grandes prétentions. On est dans un pays où les hommes et les femmes vivent en harmonie. Il y a une cohésion sociale pratiquement unique au Mali et cela est dû au fait que nous, femmes, sommes convaincues que nous jouons un rôle majeur dans la société. Nous serons toujours derrière les hommes. Si, jusqu’ici, nous ne sommes pas impliquées dans la lutte pour le pouvoir, les raisons sont nombreuses. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas capables de mener ces batailles. Les circonstances qui peuvent l’expliquer sont liées à la place de la femme dans la société, mères, épouses, agents économiques.

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La présidente du Groupe pivot /droit et citoyenneté des femmes, Mme Kané Nana Sanou nous a dit qu’elle n’a pu vous rencontrer malgré un rendez-vous et à l’Assemblée nationale, seules deux femmes vous ont soutenue, les femmes se sentent-elles concernées par votre candidature ?

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J’ai déjà entendu beaucoup de discours sur l’opportunité de ma candidature. Les problèmes que je rencontre sont tellement immenses. Ma candidature est tardive, il fallait ensuite rassembler toutes les conditions pour qu’elle soit validée. La gestion du temps avant la clôture des candidatures ne me permettait pas d’aller vers les grandes organisations féminines quoique j’aie un immense respect pour le travail qu’elles font. Nous avons déjà eu une candidature féminine invalidée, ça nous a fait mal, à toutes les femmes. Il fallait battre le fer pendant qu’il est chaud pour remplir toutes les conditions. Mea culpa, je pense que je devrais avoir des discussions avec mes sœurs, il n’est jamais trop tard pour bien faire.

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Vous avez été parrainée par 14 députés de la mouvance présidentielle.  Qu’en est-il aujourd’hui ?

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C’est une question qui brûle les lèvres. Je ne trouve pas d’irrégularité à cela. J’ai été parrainée par ceux que vous pensez. Je les remercie car j’ai un immense respect pour eux. Je pense que le comment et le pourquoi restent une cuisine interne.

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Certains pensent que vous êtes une alliée du pouvoir…

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J’ai envie de bien représenter les femmes. Si des esprits malintentionnés veulent me détourner de mes objectifs avec des propos de ce genre, ils se trompent. Ce qu’il s’agit d’améliorer dans les 5 ans à venir, ce sont les conditions d’existence des Maliens. On ne répond pas à ses détracteurs à une période aussi délicate. Il y a une femme dans la course et cette femme c’est moi. Cela suffit comme justification plutôt qu’autre chose qui n’apporte rien à l’analyse.

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Vous êtes aujourd’hui une femme publique, cela apporte-t-il des changements à votre vie ?

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Pas du tout. J’ai toujours eu plusieurs casquettes, une vie politique et une vie professionnelle. Je trouve qu’une femme a son rôle à jouer aujourd’hui sur plusieurs registres. Son absence sur le registre politique retarderait le développement. Avec des femmes élues à l’Assemblée nationale, on serait capable de changer la société, pas tout de suite mais on ira vers des changements importants.

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Au cas où vous seriez élue, quelle serait votre première tâche ?

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Je m’attacherai au développement de l’agriculture, parce que notre vraie souveraineté sera d’abord alimentaire. Comment nourrir tous les hommes ? Il faudra accroître la production. J’attacherai de l’importance à l’industrialisation et en même temps, j’équiperai tous les ménages en biens divers. Bien vivre, manger à sa faim et avoir le confort autour de soi, c’est donc rendre les hommes plus heureux aujourd’hui.

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Au cas où vous seriez élue, quel genre de Premier ministre choisiriez-vous. Un politique? Un technocrate pur et dur ?

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Un homme. Je suis pour la représentation homme/femme à tous les niveaux. Si l’on a un président, pourquoi ne pas choisir une femme Premier ministre ? Si on a une présidente, pourquoi ne pas choisir un homme Premier ministre ? Vous savez, en Afrique du Sud, ça marche très bien. Le Parlement sud-africain est équilibré. On a 48 % de femmes et 52 % d’hommes. C’est l’un des parlements les plus équilibrés du monde, même face à l’Europe.

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Le Mali n’est ni la France, ni l’Allemagne ni l’Afrique du Sud, pensez- vous que les Maliens soient prêts à choisir une femme présidente ou Premier ministre ?

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Je n’en sais rien. Le monde sera fait de rupture. De plus en plus, on verra dans le monde des situations inédites. Il faut préparer les Maliens à l’inédit. J’aimerai amener mes compatriotes à des changements de mentalité. Une candidate féminine peut aussi apporter un plus à mon pays, à l’image d’une grande démocratie où les femmes seront à côté des hommes. Je suis pour une alternance lente, progressive. Le respect dû aux hommes est très réel au Mali.

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Votre  mot  de la fin ?

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Aller vers le développement, changer mon pays en mettant une femme au travail. J’aurai souhaité augmenter la productivité des femmes, qu’elles travaillent davantage pour accélérer le développement, que les urgences : l’eau, la nourriture soient revues ! Que le milieu dans lequel nous vivons change !

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Entretien réalisé par Baba Dembélé et Alhassane H Maïga*

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