A l’heure où le pays traverse une crise existentielle, de plus en plus de citoyens se demandent réellement si les vieux démons du passé ont pris un aller simple pour les enfers. Après avoir frôlé le pire en 2012, le Mali aurait repris des couleurs, et tout semble revenir à la normale. Mais, le normal, qu’est-ce que c’est ? A-t-on jamais su au Mali, ce qui est normal ou logique, ou ce qui ne l’est pas ? De nos jours, des signaux çà et là, tendent à prouver que l’on retombe encore une fois, et fort malheureusement, dans nos travers. Et des paradoxes surgissent, comme pour montrer que, dans ce pays, tout ou presque n’est que pilotage à vue.
Rarement à travers le monde, l’on aura observé dans un seul et même pays autant de paradoxes et de contradictions. Ambivalences ou manque de volonté commune, Malien qui saura le dire. Toutefois, l’Autorité, si elle existe toujours, est la première responsable.
Célébrer la mémoire de nos martyrs et sanctifier le Général Moussa Traoré
En 1991, le peuple prenait ses responsabilités en demandant, de la voix et du geste, l’équité, la justice et la liberté. De violentes répressions éclatèrent. Les morts de cette Révolution furent appelés « martyr », et Moussa Traoré, après 23 années d’un pouvoir sans partage, fut obligé de céder le pouvoir après un coup d’Etat qu’on qualifia de populaire, mené par le « soldat de la démocratie » ATT. Depuis, chaque année, le 26 Mars est un jour férié en République du Mali en mémoire de nos héros qui permirent l’instauration de la démocratie. Mais en même temps, peu à peu, le Général sanguinaire d’hier est devenu un saint véritable. Au point que le président IBK fraichement élu, lors de son investiture traita Moussa Traoré de « grand républicain ». Et les personnes présentent dans la salle l’ont honoré avec des applaudissements bien nourris. Sacrilège ! s’écria alors beaucoup de citoyens maliens. Au Mali, on célèbre la mémoire des martyrs tout en honorant leur bourreau.
L’Ecole qui s’écroule sous le magistère d’un enseignant et l’Armée qui se ramollit sous le règne d’un soldat
Jadis, fiertés du Mali dans la sous-région, l’Ecole et l’Armée malienne ne sont plus ce qu’elles étaient. Sous les deux mandats du premier président du Mali démocratique et pluriel, Alpha Oumar Konaré, enseignant de son état, et connu pour sa grande maitrise de la langue de Molière, l’Ecole s’écroula littéralement. Le foisonnement des écoles privées et l’apparente bonne structuration des facultés n’étaient que façades. La politique gangrena les salles de classes. Plus tard, son successeur ne put rien faire pour empêcher l’aggravation de la situation. Sous ATT, justement, surnommé le soldat de la démocratie, l’Armée malienne s’est effondrée. La crise de 2012 montra aux maliens la triste vérité. La puissante armée du pays était l’un des plus grands mensonges du Mali contemporain. Aujourd’hui encore, les Maliens se demandent comment un tel effondrement a-t-il été possible !
Au niveau social, on brûle vif les voleurs de motos et applaudissent les détrousseurs en costume cravate
Le fameux article 320 revient. Il est le signe d’un malaise manifeste au sein de la société. La justice ne devrait-elle pas être la même pour tout le monde ? De nombreux jeunes voleurs de motos Jakarta ont été brûlés vifs par une justice populaire et aigrie. Et pendant ce temps, des bureaucrates en costume cravate, volent aussi, mais dans une toute autre échelle ; des dizaines, voire des centaines de millions de nos francs, souvent sans quitter leurs bureaux climatisés. Dans la société, une certaine idée fait son chemin : faire proprement son travail au Mali est impossible, et voler est normal puisque tout le monde vole. Mais dans ce cas, est-il normal de brûler vif le petit voleur de moto Jakarta et de tolérer celui qui pille les caisses de l’Etat ? Des deux, qui est le plus criminel ? A méditer…
ATT, parti en exil en zéro. Revenu au pays en héros
En 2012, le président ATT déchu, après un coup d’Etat inattendu mais pas innocent, quittait précipitamment son pays, après que l’opinion nationale ait été au courant de certaines vérités choquantes, notamment la mise à terre de l’Armée malienne. Il fut traité de tous les noms d’oiseaux et son honneur fut trainé dans la boue. Six ans plus tard, et comme le Malien est le champion du monde des voltefaces, il fut accueilli en héros par d’importantes personnalités du pays. Le président IBK, qui favorisa l’ouverture d’une enquête contre ATT pour haute trahison et, de ce fait, la création d’une Haute Cour de Justice, envoya même l’avion présidentiel à Dakar pour le ramener à Bamako. Que s’est-il passé entre temps ? La conjoncture a-t-elle rendu amnésique les Maliens ?
Des paradoxes, il y en a encore toute une kyrielle. Autant elles persistent, autant elles prouvent une fuite en avant du pays tout entier. Grand temps il est, pour la population, surtout pour la jeunesse de prendre conscience des périls du moment. Si l’Autorité ne retire pas les leçons du passé, certainement que l’heure est venu de forcer la main à l’Autorité afin de faire ce qu’il faut.
Ahmed M. Thiam