L’Etat est-il devenu au Mali un citron qu’on presse en toute impunité ? L’interrogation a tout son sens après un examen attentif du premier rapport du vérificateur général qui vient d’être remis, comme la loi l’autorise, aux autorités nationales dont la présidence de la République et l’Assemblée nationale. Les faits stigmatisés dans ledit rapport, comme relevant de la délinquance financière, sont tout aussi caractérisés que troublants.
La mission de vérification qui nous concerne aujourd’hui dans cet article porte sur la vérification de la collecte et du reversement de la TVA et taxes assimilées au niveau d’un ensemble de sociétés, entreprises et autres structures opérant aussi bien dans le secteur public que dans le privé. Au niveau de la structure de contrôle elle-même, on affirme qu’il en a été ainsi en raison de la disposition instituant le vérificateur général qui donne mandat à ce dernier de contrôler la régularité et la sincérité des opérations de recettes et de dépenses. De ce fait, selon le rapport annuel, déjà transmis à Koulouba, l’opération TVA, telle qu’elle a été initiée et exécutée par les vérificateurs, visait à contribuer au renforcement de la transparence et de l’efficacité de la collecte et du reversement de la TVA et taxes assimilées. Partant, l’objectif déclaré de cette mission de contrôle était d’évaluer le manque à gagner pour l’Etat et proposer au besoin des mesures d’amélioration du rendement des structures impliquées dans la collecte et le reversement de la TVA. Cela est d’autant un impératif de bonne gouvernance financière dans le pays qu’ici, il est avéré, selon des statistiques établies, que les caisses de l’Etat souffrent énormément des carences récurrentes liées à la gestion de la TVA, ressource publique par essence, qui n’est jamais régulièrement versée ou reversée à l’Etat, comme il se doit.
Le mal Ikatel ?
Ikatel est-elle devenue une société trompeuse dans le pays ? Le fait est ahurissant pour une entreprise qui revendique à longueur de journée son esprit citoyen et sa propension à s’intégrer dans l’humanitaire. Le premier rapport du Végal, tel qu’il est présenté, nous donne raison sur les malversations que nous avons déjà évoquées dans ces mêmes colonnes sur les pratiques de gestion de cette société, opérateur privé de télécommunications, laquelle est pourtant bénéficière d’une importante quantité de produits exonérés dont la licence lui a été accordée par l’Etat. En effet, pour faciliter la mise en œuvre d’investissements d’installation (pour environ 100 milliards de nos francs, comme il est clairement noté dans le rapport), la société Ikatel a bénéficié suivant décision n° 0756/MEF-SG du 27 décembre 2002 d’exonérations exceptionnelles et sans limitation de délais de droits de douanes et de TVA sur ses importations. Ces exonérations portent sur les matériels d’équipement, les pièces de rechange, l’acquisition d’infrastructures et les services. Cet important dossier lié à l’exonération ne bénéficie en fait d’aucune réglementation digne de ce nom, comme si les choses relevaient du pur hasard.
C’est le rapport de mission des vérificateurs qui conclue à cette observation. Tenez ! Suite à l’examen de ce dossier, la mission a relevé l’inexistence à la direction générale des douanes d’un mécanisme adéquat de suivi de l’état de leur exécution. Le rapport de mission du vérificateur général fait le constat : sur la base d’une analyse comparative entre le fichier des importations exonérées et la liste des exonérations autorisées, la mission a détecté un dépassement de quotas pour plus de 50% des 38 produits sélectionnés par la mission de vérification. Le suivi des exonérations de la société Ikatel donne des résultats troublants qui dénotent de la volonté de dissimuler les ressources dues à l’Etat. On y découvre que dans le compte des exonérations, Ikatel bénéficiait, s’agissant de câble VGV, de 490 rouleaux comme quantité d’unités autorisée, mais qu’elle a importé 16204, soit un dépassement de 15714. La série noire des importations frauduleuses des quantités d’équipements non autorisées dans le cadre de l’exonération se poursuivit s’agissant de nombreux autres produits. En fait, sur les 38 produits sélectionnés par la mission de vérification pour les besoins des enquêtes, la société Ikatel a pratiqué abusivement et frauduleusement l’exonération «usurpée » sur près de 20 produits ayant accusé un dépassement chronique de la quantité importée.
Des milliards subtilisés
L’examen de ce dossier d’exonération révèle que les dépassements de quotas d’importations exonérées qui en découlent totalisent plus de 7 milliards en valeur pour les produits qu’il a été possible de comparer, ce qui représente au minimum un manque à gagner pour l’Etat de plus d’un milliard (sur la base de 18% de TVA, sans compter les droits de douane et en ne tenant pas compte de l’ensemble des produits importés). C’est ce qui ressort du rapport du vérificateur général qui a également décelé que de nombreux produits étaient importés à tort sous le régime de l’exonération. Cela veut dire clairement que la société Ikatel, phénomène aggravant, enrôlait des produits importés qui ne bénéficiaient pas normalement de cette facilité.
Autre tripatouillage financier et commercial : l’incohérence entre le fichier des déclarations des importations en douane et celui des recoupements de la direction générale des impôts. D’où l’existence des écarts significatifs dans un sens comme dans l’autre. Illustration : en 2003, des importations d’un montant de 661 074 000 de nos francs ont été enregistrées dans le fichier de la direction générale des impôts contrairement à celui de la direction générale des douanes. Ce qui est paradoxal, la source étant toujours la direction générale des douanes. A l’inverse, pour la même période, note le rapport annuel du Végal, des importations totalisant plus d’un milliard ont été enregistrées dans le fichier de la direction générale des douanes mais pas dans celui de la direction générale des impôts.
Toujours dans ce dossier relatif à l’examen du volet fiscalité de la société, il a été établi que l’opérateur privé de télécommunications n’applique pas l’orthodoxie en matière de paiement d’impôts. Et pour cause : le protocole d’accord intervenu entre la société et la direction générale des impôts le 15 décembre 2004 ne répond pas aux critères exigés par la loi. On a signé le protocole sous le prétexte d’une confirmation de redressement, intervenue le 6 octobre 2004 à la suite d’une mission de contrôle effectuée par la direction des impôts, mission de contrôle réalisée, à son tour, le 25 août 2004 et portant sur les exercices 2002 et 2003. Il s’agit là d’un faux sur noir et blanc et une tentative de dissimulation des chiffres qui n’a pas surpris l’équipe de vérification du Végal. La preuve ? Le protocole d’accord en question n’a pas respecté ni la forme ni le fond de la procédure applicable en la matière. Cela est d’autant plus plausible que le ministre de tutelle n’a livré aucune autorisation pour ce faire. De plus, la raison avancée pour justifier le protocole ne tenait qu’au mensonge grotesque d’autant que le paiement des droits dus ne mettait nullement la société en péril. Pour la bonne raison que la même société a réalisé en 2004 un bénéfice net de plus de 20 milliards de nos francs. D’où un abandon à tort de droits dus à l’Etat d’un montant de plus d’un milliard de francs CFA.
Un cas atypique
Le cas Ikatel mérite que l’on s’y attarde pour deux raisons. D’une part, les responsables de cette société de télécom avaient ameuté à tort tout le monde des affaires contre la volonté de contrôle du Végal auquel ils ont nié le droit de fouiner dans leurs «jardin secret ». Le patronat malien avait même pris la tête de ce combat «perdu d’avance » en suggérant à Ikatel de refuser d’accueillir dans ses locaux les enquêteurs du Végal et en battant le rappel des troupes à la CCIM pour faire «front commun » contre cet empêcheur de Végal de tourner en rond. L’épouvantail étant l’allégorie du vautour : porter le deuil de son prochain, c’est le faire pour soi-même puisque l’on est condamné à passer devant l’échafaud de la mort (contrôle en l’espèce). Autrement dit, si on laisse le Végal fourrer non nez dans les affaires de Ikatel, il va chercher demain noise sur la tête de chacun de nous un après un. D’où la levée de boucliers par anticipation chez les commerçants et les opérateurs qui, en réalité, ne sont pas dans le point de mire du Végal plutôt intéressé par les «gros gibiers ».
D’autre part, la preuve est désormais établie que les cadres de la fonction publique étaient dans leur tort en faisant de la publicité gratuite pour Ikatel dont ils ont loué les mérites. En effet, les responsables des services d’assiette fiscale (douanes et impôts) ont participé à la journée «portes ouvertes » de Ikatel à la faveur de laquelle, ils n’ont pas manqué de tresser des lauriers sur la tête de cette société. Or, au même moment, l’opérateur privé de téléphonie mobile joue au cache-cache avec les taxes et impôts dus à l’Etat dont la TV non reversée et le dépassement de quotas sur les produits exonérés. Le montant incriminé sur une petite échelle s’élevant à plus de 7 milliards FCFA.
A suivre
Par Sékouba SAMAKE “