Le rapport 2015 du Bureau du Vérificateur général est accablant : sur 16 missions de vérifications effectuées auprès de 23 structures, le montant total s’élève à 70,13 milliards de FCFA dont 32,78 milliards au titre de la fraude et 37,35 milliards au titre de la mauvaise gestion. Du coup, des grincements de dents fusent de tous les côtés. Au rythme que tout le monde s’accuse en rejetant la faute et la responsabilité sur autrui. Au même moment, l’exécutif taxe la justice de lenteur et cette dernière à son tour, s’en défend en rejetant sa responsabilité quant à l’interpellation des détourneurs en rond. Depuis, les rapports du BVG sont politisés.
Les rapports du Bureau du Vérificateur Général (BVG) se suivent et se ressemblent. Pendant ce temps, la corruption est d’un naturel insoupçonné au rythme que la lutte contre la fraude et la délinquance financière est un vain mot.
En 2014, au titre de la délinquance financière, il y a eu 49,39 milliards de francs CFA dont 7,57 milliards de francs CFA au titre de la fraude (15,32%) et 41,82 milliards de francs CFA du fait de la mauvaise gestion (84,69 %).
Cette fois-ci encore, le BVG vient de remettre le fruit de son labeur de l’année 2015 au chef de l’État. Dans l’ensemble, on constate quelques avancées dans la traque des délinquants à col blanc. Selon le Vérificateur général (Végal), Amadou Ousmane Touré, les rapports sont remis à la Justice et certains dossiers sont en attente de jugement.
Des primes aux détournements
Pourquoi une institution commise à la traque de la délinquance financière dans la gestion des biens publics, devrait-elle remettre son rapport aux politiques, à charge pour eux d’en tirer les conclusions ?
La médiatisation de la sortie du rapport du BVG depuis un certain temps, est une autre avancée, un point de satisfaction. Auparavant, la sortie de ce rapport se faisait quelque peu en catimini.
La médiatisation a un caractère informatif, pédagogique, mais aussi dissuasif. Elle permet d’informer les populations, de leur rendre compte de la gestion de la chose publique et reste une occasion de sensibilisation à la bonne gestion des biens publics. Elle contribue à dissuader ceux qui seraient tentés de commettre quelque acte répréhensible en la matière. En effet, la simple crainte de voir son nom figurer dans un rapport qui bénéficie maintenant d’une certaine publicité, est de nature à dissuader plus d’un délinquant.
Mais, il ne faut pas se faire d’illusions. Quelques insuffisances demeurent et sapent le travail du BVG. Malgré toute la bonne volonté du Vérificateur général et de ses hommes, leurs pouvoirs sont visiblement limités. Même s’ils présentent des rapports objectifs et sérieux. Aux autres maillons de la chaîne, de jouer leur partition. À ce niveau, on peut noter une volonté délibérée de faire du BVG un instrument politique. Pourquoi une institution commise à la traque de la délinquance dans la gestion des biens publics, devrait-elle remettre son rapport aux politiques, à charge pour eux d’en tirer les conclusions ? Le BVG se retrouve finalement à servir de simples instruments entre les mains du politique qui s’en sert comme monnaie de chantage pour tenir en laisse d’éventuels récalcitrants. Au passage, les actes répréhensibles des copains politiques sont savamment « effacés ». Par ailleurs certaines sanctions comme celle qui se résume à demander au coupable de rembourser les biens détournés, sont indignes d’une république sérieuse. Pour ces détourneurs en rond, c’est comme s’ils bénéficiaient de crédits sans intérêts. Ce ne sont ni plus ni moins que des primes aux détournements de deniers publics. Pour le volet judiciaire, on imagine bien que les procureurs reçoivent des instructions « appropriées » à cet effet. Cela peut être l’une des raisons de la lenteur ou du silence pur et simple de la Justice sur les dossiers impliquant certaines personnalités.
Les braves enquêteurs se font des ennemis…
D’où le sentiment largement partagé au sein de l’opinion publique nationale que ce ne sont que les auteurs de peccadilles et quelques anciennes autorités tombées en disgrâce, qui sont inquiétées dans le cadre de la suite à donner aux rapports du BVG. Au regard de tout cela, on se dit que les braves enquêteurs qui s’échinent à bien faire leur travail, se font des ennemis pour rien ou presque.
Pourtant, les dégâts de la corruption et de la mauvaise gestion des biens publics ne sont plus à démontrer. Dans ce contexte d’affaissement des valeurs morales, mieux, dans ce contexte où l’on a fini de célébrer les funérailles de la morale, la prolifération subséquente des cas de mauvaise gestion de la chose publique, achève de ruiner les espoirs de développement. Les détournements de deniers publics par exemple par le phénomène des fausses factures et des surfacturations, entre autres, contribuent à priver l’État des ressources dont il a besoin pour financer son développement. Ces pratiques créent des tensions de trésorerie qui contraignent l’État à sacrifier peu ou proue la dette intérieure.
En effet, les maigres ressources étant détournées, l’État n’a plus suffisamment de quoi faire face à ses propres factures. Conséquence : des prestataires de services sont obligés d’attendre un an, voire deux, avant de voir leurs factures honorées par l’État. Du coup, bien des entrepreneurs, qui ne demandent qu’à travailler dans un climat sain, sont privés de moyens légitimes de participer aux efforts de développement du pays. Du reste, les marchés sont généralement, si ce n’est exclusivement, attribués aux copains politiques et certains actes de corruption et de détournements de fonds sont à rechercher dans, ou à l’occasion de l’attribution et de l’exécution de ces marchés publics. Dans un tel contexte, l’émergence est une simple vue de l’esprit, un lointain horizon. Ayons au moins l’élégance d’être honnêtes avec nous-mêmes : en continuant sur cette voie, ce n’est pas demain la veille la fin de notre sous-développement.
De ce fait, il urge donc de se réarmer moralement. Le BVG est important et fait un travail relativement satisfaisant. Elle devra intensifier la sensibilisation et encourager davantage la participation des populations par la dénonciation de toute personne qui se serait rendue coupable de mauvaise gestion de la chose publique. La volonté politique aussi de donner tous les moyens nécessaires à la Justice pour jouer sa partition, doit être traduite en actes concrets. On pourrait au besoin même s’inspirer du Sénégal en mettant en place une sorte de Cour de répression des crimes économiques tout en veillant à ce que celle-ci ne soit pas, comme bien des institutions, une coquille vide. Certes, comme le dit une sagesse de chez nous, il est « difficile de réveiller quelqu’un qui ne dort pas ». La bataille de la sincérité de tous les acteurs et surtout des décideurs dans la mise en place et le fonctionnement des institutions sous nos cieux, ne sera pas facile à remporter. Mais au regard de son importance, elle vaut bien la peine d’être menée.
Jean Pierre James
Rapport 2015 du Vérificateur Général
Sous la pression du Canada, le pouvoir publie finalement les chiffres
Le Vérificateur général Amadou Ousmane Touré a remis le mercredi dernier le rapport 2015 au président de la république lors d’une cérémonie officielle au palais de Koulouba. Plus de 70 milliards FCFA détournés des caisses de l’État. Sur recommandation du cabinet présidentiel, le Vérificateur général a omis d’annoncer les chiffres du rapport.
Du bureau des produits pétroliers aux sociétés minières en passant par la douane, les domaines de l’État, l’aéroport Modibo Keita, le ministère des logements et des affaires foncières, les directions des finances et du matériel de plusieurs ministères, au total 23 structures ont été contrôlées.
Contrairement aux autres années, le vérificateur a remis le rapport sans parler des chiffres. Avec plusieurs proches du chef de l’État incriminés, le pouvoir redoute l’impact du rapport sur son image, surtout à la veille des élections présidentielles de 2018.
Mais sous une forte pression du Canada par le biais de son ambassadeur, le pouvoir a été obligé de laisser publier le rapport le jeudi dernier. La panique s’installe chez les barons du régime, le premier ministre a mis en place une commission pour analyser le rapport. Aux sièges des partis politiques et des médias, c’est l’effervescence générale, tout le monde veut analyser les chiffres.
Le rapport du vérificateur général se place dans la continuité. Depuis 2013 (date d’arrivée du président IBK au pouvoir) jusqu’au dernier rapport de 2015, plus de 223 Milliards CFA se sont volatilisés des caisses de l’État. Aucune action réelle de lutte contre la corruption n’a été véritablement lancée.
Lors de son accession à la magistrature suprême, en septembre 2013, IBK avait fait croire que la lutte contre l’impunité, le copinage et l’affairisme sera l’une de ses priorités. Mais, aujourd’hui, au sein de son gouvernement et de son entourage, on dénombre des corrompus et des corrupteurs. On parle déjà d’une moralisation à deux visages dans un régime qui se veut exemplaire et celui du « Mali d’abord ».
IBK protège les siens
De nombreux militants du parti au pouvoir et de la mouvance présidentielle sont accusés de mauvaise gestion et de détournements des deniers publics, dans des affaires financières, matérielles ou autres et doivent répondre de leurs forfaits. Les mis en débet n’ont encore versé un copeck des sommes détournées jusqu’à ce jour. Au contraire, nombre d’entre eux bénéficient des promotions exceptionnelles dans l’administration publique. Comme ce fut les cas de l’ex-ministre, Moustapha Ben Barka, bombardé secrétaire général adjoint de la présidence ou de Soumeylou Boubeye Maïga Secrétaire Général de la présidence. Tout se passe comme dans les vieux temps. Tant pis pour ceux qui ne veulent pas composer avec le régime de la « famille d’abord ». Ils seront poursuivis dans tous les sens. Ce ne sont pas les ex-directeurs de l’APEJ (Modibo Kadjogué, Sina Damba, Issa Tièman Diarra) et autres victimes des affres du régime d’IBK qui diront le contraire.
La chasse aux sorcières se poursuit contre les hommes d’affaires et les opérateurs économiques qui ne sont pas prêts à faire l’éloge du locataire du palais de Koulouba et de son gouvernement. Les adeptes du «Mali d’abord» devenu la «famille d’abord » peuvent continuer par piller le pays, par faire du désordre ou en encore par violer les lois de la République en toute impunité. Et cela sous la bénédiction de la Famille Bourama et Intimes (FBI). Car, le promoteur du «Mali d’abord» est encore là. Et pour combien de temps?
Cyrille Coulibaly