En remettant son rapport de 2012, au chef de l’Etat, le Vérificateur général, Amadou Ousmane Touré, a fait cas de dénonciations qui sont essentiellement dues au non-respect ou à la méconnaissance des dispositifs de contrôle interne ; à la violation des textes régissant les marchés publics ; à l’absence de sincérité et de régularité dans l’exécution des dépenses publiques ; au détournement de ressources publiques dans l’encaissement et le reversement des recettes ; à la non-application des critères légaux dans la mise en réforme de matériels et équipements de l’Etat. Derrière ces rideaux, selon le Vérificateur général, se passe, s’entretient et se momifie une véritable mafia financière dans une jungle aussi invisible qu’imprévisible pour le citoyen. Amadou Ousmane Touré pointe du doigt les gestionnaires, les directeurs des finances et du matériel, le secteur privé contractuel de l’Etat dans le cadre des marchés publics, mais aussi, des ministres, causant des pertes financières à l’Etat s’élevant à plus de 49 milliards de nos francs.
En effet, la remise des rapports des structures de contrôle et de gestion des fonds publics sont les évènements les plus attendus par les observateurs de la bonne gouvernance dont dépend l’avenir du pays. Ainsi, quelques heures après que la présidente de la Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’administration (Casca) ait procédé à la remise officielle de deux bulletins d’information (2011 et 2012) au chef de l’Etat, ce fut le tour du Bureau du vérificateur général de présenter son rapport qui fait état d’une perte financière de l’ordre de 49,39 milliards de francs CFA, dont 7,57 milliards de francs CFA représentent la fraude et 41,82 milliards de francs CFA la mauvaise gestion.
L’article 18 de la loi n°2012-009 du 08 février 2012 indique: «Chaque année, le Vérificateur Général élabore un rapport qu’il adresse au président de la République, au Premier ministre, au Parlement et à la juridiction supérieure de contrôle des finances publiques. Ce rapport fait la synthèse des observations, analyses, critiques et suggestion formulées par le Vérificateur général pendant la période de référence». La cérémonie de ce mardi tire donc son fondement juridique de cet article en vue de vous remettre solennellement le rapport annuel 2012, qui compte 135 pages.
Des Directions des finances et du matériel pointés du doigt
Le rapport du Vérificateur général, après publication, a toujours été diversement apprécié dans l’opinion et au sein de l’Administration publique.
En remettant son rapport 2012, Amadou Ousmane Touré a particulièrement dénoncé des dysfonctionnements et irrégularités qui compromettent sérieusement le fonctionnement des structures, services et organismes publics. A ce titre, il précise que ses missionnaires, à travers des contrôles de régularité et de sincérité des dépenses publiques, ont décelé des situations matériellement impossibles. «La réforme des véhicules de l’Etat, loin d’être une opportunité d’assainir le parc matériel de l’Etat et d’alléger ses dépenses, est devenue une incroyable source d’appauvrissement délibérément organisé de son patrimoine», a regretté Amadou Ousmane Touré avant d’ajouter : «Dans une des Directions des finances et du matériel, nos travaux de vérification ont décelé des situations matériellement impossibles, comme le cas d’une fiche d’entretien qui indique, par exemple, que pour une seule et même réparation, plus de 150 pièces ont été installées sur un seul véhicule, en une seule fois». Aussi, en guise d’illustration des basses manœuvres, il a fait savoir que sur les exercices budgétaires 2009, 2010 et 2011, l’Etat a acquis 1466 véhicules pour un coût de plus de 38 milliards de Francs CFA. Et que sur la même période, 1891 véhicules, âgés pour certains de moins de 5 ans, ont été admis à la réforme, pour un prix de cession proposé par la commission de réforme d’environ 643.230.805 FCFA. A cela s’ajoute le cas des immeubles bâtis et non bâtis qui ont été évoqués dans le rapport annuel 2011 et qui, selon le Vérificateur général, le seront dans celui de 2013.
A la suite de ces dénonciations, de manière inquiétante et alarmante, ont été aussi relevés de nombreux cas d’acquisitions fictives sur les deniers publics dans des secteurs aussi sensibles que coûteux comme l’Education nationale et la Santé.
Ce qu’il faut revoir
Au bénéfice de l’article 18 qui l’institue, le Vérificateur Général, après la présentation de ses missions, a fait état de ses observations, avis et suggestions sur certains sujets afin de contribuer à la réflexion politique et publique. Cependant, il affirme qu’aujourd’hui, dans le contexte malien, une lutte contre la corruption pour être efficace, équitable, prometteuse et productive ne peut se réaliser sans une réforme pénale de très grande envergure. S’adressant au président de la République, il affirme que contrairement à l’adage qui dit: «Nul ne sera au-dessus de la loi», certaines personnes semblent être épargnées par ce principe. Et d’ajouter : «Qu’au Mali, nous connaissons et reconnaissons ceux qui ont toujours été au-dessus de la loi dans le cadre de la gestion des fonds publics et qui, pour arriver à leurs fins, ont toujours fait passer des questions d’immunité par des solutions d’impunité». Une triste réalité qui est à revoir selon Amadou Ousmane Touré.
En outre, le Vérificateur Général est convaincu que la création d’autorité administrative indépendante, ou de services spécialisés est un élément essentiel d’une stratégie globale de lutte contre la corruption, en mettant en place une agence ou une structure capable de prendre en charge les questions patrimoniales de saisies ou confiscations des avoirs qui sont prises dans le cadre des procédures mises en œuvre. Particulièrement, le Bureau du Vérificateur Général soutient fortement la création d’une Cour des Comptes. Cependant, il précise: «Nous soutenons sans aucune ambiguïté. C’est la parfaite coexistence organisationnelle entre une Cour des comptes, entité juridictionnelle dont la caractéristique essentielle, je dis bien essentielle, est de juger et certifier les comptes et non fondamentalement, la détection des infractions pénales». La lenteur du traitement des dossiers demeure une préoccupation majeure pour le Bureau du vérificateur général. Car, à en croire Amadou Ousmane Touré, quand des procédures judiciaires trainent 10 à 15 ans voire 20 ans, elles perdent leur pertinence, leur vitalité. Elles deviennent dans le jargon judiciaire des questions mortes auxquelles on ne peut apporter que des réponses mortes. A cette cérémonie solennelle, Amadou Ousmane Touré n’a pas oublier de faire part au chef de l’Etat qu’une fonction publique de qualité, efficace et bien rémunérée demeure un aspect particulièrement important dans la lutte contre la corruption.
IBK rassure
En réponse, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, a promis que le rapport ne dormira pas dans les tiroirs. Dépasser par les faits du rapport surtout dont les pratiques ont été commises à une période où le Mali connaissait une crise sans précédant, IBK s’est posé la question de savoir comment peut-on imaginer que des agents de l’Etat puissent s’adonner à une telle pratique pendant que notre pays touchait le fond? «Quiconque mis en cause par les juridictions compétentes répondra des obligations de recevabilité, de reddition de comptes, de responsabilité de la gestion publique sans aucune interférence de leur statut particulier», a rassuré Ibrahim Boubacar Keita tout en remerciant le Vérificateur général et son équipe.
Ibrahim M.GUEYE