Les élections donnent lieu très souvent lieu à de folles dépenses. Une réalité qui n’est peut-être pas propre au Mali où, cependant, chacun scrutin ouvre la chasse aux biens publics. À quasiment tous les niveaux de la chaîne d’organisation des élections, les faramineuses sommes destinées à la revitalisation de notre démocratie sont détournées par des agents véreux. La preuve est établie dans le Rapport 2015 du Bureau du vérificateur général qui a découvert des pratiques, à la limite mafieuses, au niveau de la Cour Constitutionnelle, la Direction des finances et du matériel du ministère chargé de l’Administration territoriale, la Commission électorale nationale indépendante, la Délégation générale aux élections, et le Comité national d’égal accès aux médias d’Etat… Dans ces structures, la vérification financière des dépenses électorales de 2012 et de 2013 a mis en exergue un ensemble de faiblesses dans l’organisation, la supervision et le suivi des élections ayant entraîné d’énormes irrégularités financières. Il en est résulté des pertes financières d’un montant de 836,96 millions de FCFA.
Précisément, les travaux de vérification ont porté sur les acquisitions de biens et les prestations de services faites par marchés, contrats simplifiés, bons de commande ou bon de travail et celles faites sur les régies ordinaires et spéciales. Les dépenses vérifiées, dans ce cadre, se sont élevées à 44,12 milliards de FCFA, repartis entre la DFM du Ministère chargé de l’Administration Territoriale (32,21 milliards de FCFA), la CENI (6,49 milliards de FCFA), la DGE (3,72 milliards de FCFA), CCM (362,82 millions de FCFA), le CNEAME (62,14 millions de FCF), les Régies des Gouvernorats de Sikasso (686,51 millions de FCFA) et de Ségou (579,64 millions de FCFA). Précision : pour des raisons de sécurité, la présente mission n’a pas vérifié les opérations de dépenses électorales effectuées dans les régions de Kayes, Koulikoro, Mopti, Gao, Tombouctou et Kidal.
Au niveau de la Cour Constitutionnelle du Mali, la mission du Végal a découvert que la Régie de cette structure n’a pas conclu de contrats simplifiés pour des dépenses dont le montant par opération est supérieur ou égal à 500 000 FCFA mais inférieur à 25 millions de FCFA, en violation du code des marchés publics. La non-conclusion de contrats simplifiés pour des dépenses dont le montant l’exige prive l’État de recettes fiscales liées aux droits d’enregistrement. En plus, le Président même de la Cour Constitutionnelle s’est fait payer une indemnité irrégulière sur la régie spéciale d’avances. En effet, pour la rédaction d’un rapport général des élections du « Président de la République et des Députés à l’Assemblée Nationale », en 2013, il s’est fait octroyer 3 millions de FCFA sur la base d’une décision sans fondement juridique et dont la date est postérieure à celle du paiement. Dans son rapport, le BVG recommande le remboursement de ce montant. Aussi, il est recommandé à la CCM de respecter les dispositions du code des marchés publics notamment celles relatives à l’établissement des contrats simplifiés; et de respecter les dispositions de la réglementation sur la comptabilité-matières relatives à la réception des acquisitions.
S’agissant de la DFM du ministère de l’administration territoriale, il a été relevé des faits tout aussi accablants. Par exemple, le Directeur de la DFM a ordonné le paiement des mandats incluant des droits d’enregistrement et des redevances indus. Il a procédé, en violation du DAO type, à l’insertion des droits d’enregistrement et des redevances de régulation dans le devis estimatif de DAO relatifs à des marchés de transport et d’acquisition de matériels et équipements. Ces DAO ont néanmoins été approuvés par la DGMP-DSP et les mandats de paiement y afférents, bien que comportant ces irrégularités, ont fait l’objet d’ordonnancement, de visa par le Contrôleur Financier et de paiement par le Trésorier Payeur. Ce faisant, ces différents acteurs de la chaîne de la dépense publique ont fait supporter par l’Etat des charges indues dont le paiement revenait aux titulaires desdits marchés. Le montant des droits d’enregistrement et des redevances de régulation irrégulièrement facturé et indument payé s’élève à 61,93 millions de FCFA.
Le Directeur a aussi ordonné l’exécution des contrats revêtus de faux cachets de paiement de droits d’enregistrement et de redevance de régulation. Des fournisseurs et prestataires ont apposé de fausses références de paiement de droit d’enregistrement et de redevances de régulation sur des marchés et des contrats simplifiés. Le montant compromis s’élève à 55,29 millions de FCFA en ce qui concerne les droits d’enregistrement et à 8,15 millions de FCFA pour la redevance non perçue sur les marchés, soit un total de 63,44 millions de FCFA.
Le Comptable-matières de la même structure n’a pas pu représenter l’absence de biens acquis. En effet, l’existence de matériels informatiques et de bureau ayant fait l’objet de procès-verbaux de réception (PVR) n’a pas été prouvé malgré un pointage contradictoire effectué à cette fin au niveau de la DFM et du service bénéficiaire. Le montant total correspondant à ces matériels s’élève à 35,24 millions de FCFA.
Le Directeur des Finances et du Matériel n’a pas reversé les produits de la vente des DAO. Le montant non reversé au Trésor public s’élève à 11,75 millions de FCFA. Il a, en outre, procédé à des fractionnements de dépenses. En clair, il a morcelé des marchés de même nature, sur le même exercice budgétaire, en plusieurs contrats simplifiés pour la fourniture de produits alimentaires et de consommables informatiques. Le montant des dépenses, objet de ces fractionnements, s’élève à 439,68 millions de FCFA.
Le Régisseur a irrégulièrement procédé à des remboursements de frais de carburant à des Préfets et Sous-Préfets. Ces remboursements qui portent sur un montant total de 4,82 millions de FCFA n’étaient pas supportés par des ordres de mission et l’identité des bénéficiaires n’était pas non plus indiquée. S’y ajoute le payement des frais de mission indus. Les frais de mission injustifiés s’élèvent à 2,97 millions de FCFA.
Les Régies des gouvernorats de Ségou et Sikasso doivent également s’expliquer. En occurrence, le Régisseur d’avances du Gouvernorat de Ségou n’a pas justifié le montant total des mandats émis pour l’organisation des élections de 2013. Le cumul des montants des états d’émargement communiqués par le Régisseur rapproché au total des mandats de délégation fait ressortir un montant non justifié de 67,97 millions de FCFA. Tout de même, il n’a pas justifié des fonds alloués. Dans le cadre de la distribution des cartes NINA, un fonds de 215,39 millions de FCFA a été réparti entre les Cercles de la Région sur lequel le Régisseur n’a apporté de justificatifs que pour un montant de 173,37 millions de FCFA, soit un écart non justifié de 42,02 millions de FCFA.
Des Préfets de la même région n’ont pas justifié des dépenses relatives à la prise en charge des commissions locales de centralisation et d’organisation pour lesquelles des montants respectifs de 600 000 FCFA et 500 000 FCFA ont été alloués pour chaque tour d’élection.
Le Préfet de Tominian n’a pas fourni d’états d’émargement pour 252 000 FCFA et 290 000 FCFA respectivement au titre des commissions locales de centralisation et commission d’organisation du 1er tour des élections présidentielles. Il n’a également fourni aucune pièce pour le 1er tour des élections législatives pour justifier le montant de 500 000 FCFA alloués à la commission d’organisation des élections. Le Préfet de Niono a justifié 236 000 FCFA pour le 1er tour des présidentielles et 422 000 FCFA lors du 2ème tour des présidentielles, soit un reliquat non justifié de 442 000 FCFA. Des Préfets de la Région de Ségou n’ont pas justifié des montants relatifs à l’organisation des élections de 2013. En effet, dans le cadre de « l’appui aux Préfets » des fonds ont été mis à leur disposition pour la gestion desquels des pièces justificatives n’ont pas été fournies. Pour les deux tours des élections présidentielles et législatives, les Préfets des Cercles de Baroueli, de Ségou et de San n’ont pas justifié des montants respectifs de 6,77 millions de FCFA, 44,23 millions de FCFA et 21,36 millions de FCFA.
Dans la région de Sikasso, les Préfets n’ont pas justifié des fonds destinés à la prise en charge des élections législatives. Sur un montant de 117,51 millions de FCFA destiné à la prise en charge de l’appui aux structures et à l’acquisition de petits matériels dans le cadre de l’organisation des 1er et 2ème tours des élections législatives de 2013 dans cette région, les Préfets n’ont pas justifié la somme de 96,33 millions de FCFA.
Quant au Régisseur du Gouvernorat de Sikasso, il n’a pas justifié le montant total des mandats émis pour les élections de 2013. Qu’est-il devenu des 16,44 millions de FCFA, le montant non justifié ? Ce n’est pas tout, puisque le Régisseur n’a pas également justifié les dépenses de sécurisation des élections de 2013. Sur un montant cumulé de 99,86 millions de FCFA correspondant à quatre mandats de délégation émis au nom du Régisseur pour faire face aux dépenses de sécurisation de ces élections, il n’a pas justifié 30,45 millions de FCFA. En outre, le montant de 8,76 millions a fait l’objet de justification à travers des pièces n’ayant aucun rapport avec la sécurisation des élections. Le montant total non justifié s’élève à 39,21 millions de FCFA. La liste des manquements constatés par le BVG au niveau de la Régie est longue.
Le Gouverneur de Sikasso, lui-même, n’a pas justifié un montant reçu du Trésorier Payeur. En effet, dans le cadre de l’organisation des élections de 2013, le Trésorier Payeur de Sikasso a mis à la disposition du Gouverneur par quittance émise en son nom un appui d’un montant de 3,04 millions de FCFA. Pour quelle fin ?
Aussi, le Gouverneur et les Préfets de la Région de Sikasso n’ont pas justifié des fonds destinés à la prise en charge des commissions administratives mises en place dans le cadre de la révision des listes électorales. Un montant de 14,51 millions de FCFA dont 500 000 FCFA pour le Gouverneur n’a pas été justifié sur le montant de 67,69 millions de FCFA reparti entre le Gouverneur et les Préfets.
Les Préfets de la Région de Sikasso n’ont pas justifié des fonds destinés à la prise en charge des appuis aux structures et à l’achat de petits matériels pour les élections présidentielles. Sur un montant de 44,76 millions de FCFA, mis à la disposition des Préfets, aucune pièce justificative n’a été fournie.
Des choses sont aussi reprochées à la DGE. Là, le Chef de Cellule de gestion financière et du personnel a lancé un marché dont une société d’impression a été déclarée attributaire provisoire. Bien que ce marché n’ait pas été approuvé, il a néanmoins procédé à des réceptions partielles de matériels et consommables fournis par l’attributaire provisoire pour un montant de 77,59 millions de FCFA. Il a par la suite signé avec la même société neuf contrats simplifiés fictifs pour un montant équivalent afin de procéder au règlement des livraisons irrégulièrement effectuées dans le cadre du marché non approuvé.
Le Chef de Cellule a ordonné l’exécution des contrats simplifiés revêtus de faux cachets de paiement de droits d’enregistrement. En effet, des fournisseurs et prestataires ont apposé de fausses références de paiement de droit d’enregistrement desdits contrats occasionnant une perte de recettes fiscales d’un montant de 2,08 millions. S’y ajoute le fait qu’il a morcelé des dépenses pour lesquelles il aurait dû passer des marchés. Il a, en effet, en plusieurs contrats simplifiés et bons d’achat, acquis des fournitures de bureau et des encres sur le même exercice budgétaire pour des montants respectifs de 70,57 millions de FCFA et 33,13 millions de FCFA. Ces montants atteignant le seuil de passation de marché public ont porté sur des livraisons dont les contrats ont été irrégulièrement visés par le Contrôle Financier.
Le Délégué Général aux Elections n’a pas appliqué de pénalités de retard exigibles sur quatre marchés relatifs à la fourniture de véhicules, de matériels et consommables informatiques ainsi que de logiciel de gestion. Ces pénalités de retard si elles étaient calculées s’élèveraient à 18,84 millions de FCFA. Il n’a pas non plus reversé au Trésor Public les produits issus de la vente des DAO, estimés à 4,60 millions de FCFA.
Le Régisseur de la DGE a payé des dépenses inéligibles sur la régie spéciale. Il s’agit des dépenses d’entretien de véhicules, d’achats de matériels et mobiliers sans lien avec l’objet de la régie spéciale d’avances qui porte sur le paiement au comptant des dépenses urgentes se rapportant au personnel chargé des travaux de codifications, de saisie, de vérifications des listes électorales ainsi que celles liées aux travaux de conditionnement et de manutentions des listes et des cartes des électeurs dans le cadre de la mise à jour du fichier électoral. Le montant des dépenses inéligibles s’élève à 20,96 millions de FCFA.
Le Régisseur a aussi payé des frais de mission qui n’ont pas été justifiés. Le montant des frais de mission non justifiés s’élève à 1,65 million FCFA. En outre, avec l’autorisation du Délégué Général, il a payé des heures supplémentaires sans preuve de réalisation de celles-ci. Le montant total de ces heures supplémentaires payées s’élève à 17,08 millions de FCFA.
La CENI a aussi effectuées des opérations qui ne sont toutes exemptent de reproches. Entre autres, des Coordinateurs de la CENI n’ont pas remis aux Commissions Electorales Locales (CEL) et aux Commissions Electorales Communales (CEC) les indemnités, les frais de fonctionnement et appuis dus. Des fonds versés aux coordinateurs à cet effet n’ont pas été reçus par ces commissions. Le montant non reversé s’élève à 1,07 million FCFA au titre de l’appui et du fonctionnement et 840 000 FCFA au titre des indemnités. De leurs côtés, des Présidents et des Trésoriers des CEL et CEC n’ont pas réparti des indemnités dues aux membres de ces commissions dans le cadre de la supervision et du suivi des élections. Le montant total de ces indemnités s’élève à 51,32 millions de FCFA.
Au CNEAME, le Régisseur a payé des acquisitions de biens et des prestations de service en l’absence de procès-verbaux de réception, de bordereaux de livraison ou d’attestations de service fait pour un montant cumulé de 24,88 millions de FCFA. Ces opérations ont porté sur des fournitures de petits déjeuners, de déjeuners, des honoraires d’huissier, des achats de fournitures de bureau, des cartes de recharge téléphonique, des tickets de carburant, des ordinateurs portables, des radios-cassettes et des téléviseurs. Le Régisseur, contrairement à la réglementation en vigueur, n’a pas procédé à la retenue de l’IBIC sur les honoraires de l’huissier de justice ayant constaté les prestations d’enregistrement des messages de campagne des candidats aux élections. L’impôt non retenu est de 222 000 FCFA, soit 15% du montant des honoraires qui s’élève à 1,48 million de FCFA.
Concernant les dépenses électorales, le Vérificateur général a dénoncé plusieurs faits au procureur de la République.
Il faut rappeler que les manquements évoqués dans le rapport 2015 du Bureau du Vérificateur général ont entraîné des déperditions financières énormes qui se chiffrent à 70,10 milliards de FCFA dont 32,67 milliards de FCFA en fraude et 37,43 milliards de FCFA en mauvaise gestion.
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