Le rapport 2011 du vérificateur général a été publié la semaine dernière. A l’instar des précédents rapports, celui de cette année intervient dans une situation particulière du fait de la crise politico-institutionnelle et sécuritaire qui prévaut dans le pays. Le montant total des irrégularités financières s’élève à 10.101.021.715 FCFA. Ces irrégularités sont du fait de la fraude pour 8.156.393.487 FCFA (soit 80,75% du montant total des irrégularités) et de la mauvaise gestion pour 1.944.628.228 FCFA.
Le bureau du Vérificateur Général, institué par la loi n°2012-009 du 8 février 2012, a pour missions fondamentales le contrôle de performance et de qualité des services et organismes publics, et des programmes et projets de développement ; le contrôle de la régularité et la sincérité des recettes et des dépenses effectuées par les institutions de la République, les administrations civiles et militaires de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics ; la vérification d’opérations de gestion des entreprises dans lesquelles l’Etat ou une autre personne publique détient une participation financière. A ces trois missions, s’ajoutent la vérification de la conformité et l’effectivité des biens et services pour l’acquisition desquels une société privée a bénéficié d’une exonération de droits douaniers ou fiscaux, celle relative aux concours financiers accordés par l’Etat ou toute autre personne publique à tout organisme par rapport à l’objet de ces concours et l’évaluation, à la demande du Président de la République, du Gouvernement ou du Parlement, les politiques publiques en vue de leur proposer les mesures et actions propres à assurer une meilleure adéquation du coût et du rendement des services publics, à rendre plus pertinent l’emploi des ressources publiques et d’une façon générale, à garantir le fonctionnement régulier des organismes et structures publics.
Le Vérificateur Général a effectué dix vérifications dont neuf financières et une de performance. Ces vérifications ont concerné 13 entités. Les principaux dysfonctionnements et irrégularités dont fait état le présent rapport annuel ont été constatés dans l’encaissement et le reversement des recettes publiques, la gestion des droits fonciers et domaniaux, et la gestion des exonérations douanières accordées à des sociétés minières. Avec des pertes de ressources de plus de dix milliards de FCFA, ces irrégularités confirment à bien des égards les constatations antérieures qui ont indiqué que la fraude et la mauvaise gestion gangrènent encore et très sérieusement notre Administration. Une des innovations majeures du rapport annuel 2011 réside dans sa structuration, laquelle identifie clairement les faits constitutifs de fraude et dont les dossiers seront transmis directement au Procureur de la République par le Vérificateur Général. Les vérifications financières ont porté, entre autres, sur la gestion des opérations de recette de la direction des grandes entreprise, les encaissements et reversements des recettes fiscales par les centres des impôts des commune II, III et IV du District de Bamako, la mise en œuvre des exonérations douanières accordées aux operateurs du secteur minier par la direction nationale de la géologie et des mines et la direction générale des douanes, l’encaissement des valeurs par la recette générale du district, la gestion domaniale et foncière de la direction des domaines et du cadastre du District de Bamako, et l’attribution de parcelles de terrain dans le Cercle de Kati par le Préfet, le Sous -préfet de Kalaban-Coro et le Maire de Kati, le recouvrement des recettes domaniales par la direction régionale des domaines et du cadastre de Koulikoro et les marchés, achats et dépenses de régie de la direction des finances et du matériel du ministère de l’agriculture. Quant à l’Office Riz de Mopti, contrairement aux autres structures, il a fait plutôt l’objet d’une vérification de performance.
Concernant les services d’assiette et de recouvrement, la vérification a établi que la totalité des 67.000 chèques bancaires examinés représentant 946 milliards de FCFA a été encaissée, et à bonne date. De même, les flux de la trésorerie en numéraire et en compensation, pour 1. 345 milliards de FCFA, ont tous eu des aboutissements conformes à la réglementation. Pour l’ensemble de ces recettes, les écritures comptables ont été passées sur les supports appropriés.
Quant à la Direction des Grandes Entreprises (DGE), les vérifications ont révélé des dysfonctionnements dans le contrôle interne et des irrégularités dans l’encaissement des recettes. Selon le rapport, les déclarations de recette de certains prélèvements des acomptes sur l’Impôt sur les Sociétés (IS) et l’Impôt sur les Bénéfices Industriels et Commerciaux (IBIC) ont été frauduleusement utilisées pour justifier, d’une part la vente de vignettes et, d’autre part, le paiement d’impôts et taxes. Il en a résulté des irrégularités financières de 131,73 millions de FCFA.
Concernant les Centres des Impôts, les travaux de vérification effectués auprès des Centres II, III et IV du District de Bamako ont révélé plusieurs dysfonctionnements et irrégularités qui congestionnent la collecte des recettes fiscales. Ainsi, il a été constaté aux Centres II, III et IV des Impôts du District de Bamako des irrégularités d’un montant respectif de 170,01 millions de FCFA, de 1,08 milliard de FCFA et de 65,77 millions de FCFA. En outre, il a été constaté au niveau des Centres que certains contribuables ont reçu du Trésor public des payements à hauteur de plusieurs milliards sans pour autant souscrire les déclarations d’impôt nécessaires.
A la Direction Générale des Douanes (DGD) et à la Direction de la Géologie et des Mines (DNGM), la vérification de la mise en œuvre des exonérations douanières accordées aux opérateurs du secteur minier a mis en lumière l’absence de collaboration étroite entre les deux structures dans le traitement et le suivi des dossiers de régime dérogatoire. Elle a aussi permis de déceler des faiblesses et dysfonctionnements comme l’absence de pièces justificatives de certaines opérations effectuées. Ainsi, les activités soumises au régime dérogatoire ne sont pas maîtrisées, l’information produite n’est pas fiable et les actes de gestion ne sont pas conformes aux textes législatifs et règlementaires en vigueur. Les travaux de vérification ont également révélé des irrégularités dans la mise en œuvre des exonérations douanières accordées aux opérateurs du secteur minier, entraînant des droits compromis pour un montant total de 6,40 milliards de FCFA.
Concernant les affaires domaniales et la gestion foncière, les nombreux dysfonctionnements organisationnels et fonctionnels constatés résultent principalement de l’absence de l’Arrêté interministériel fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement des services régionaux et subrégionaux des Domaines et du Cadastre. La vérification financière effectuée à la Direction des Domaines et du Cadastre du District de Bamako (DDC-DB) a permis de déceler des irrégularités portant essentiellement sur les opérations de cession de terrains, de baux emphytéotiques ou avec promesse de vente, et de concessions urbaines à usage d’habitation. Ces irrégularités ont eu des incidences financières en termes de droits minorés sur les cessions de terrains, d’avantages indus accordés à des promoteurs immobiliers, d’arriérés de redevance sur les baux et de non-reversement de recettes liées aux 10% des frais d’édilité. Le total des montants imputés aux irrégularités constatées se chiffre à 840,08 millions de FCFA. Il a été déduit de ce montant le reversement au cours de la mission d’un montant total de 23,57 millions de FCFA au titre des régularisations des 10% de frais d’édilité par des Antennes du Bureau Spécialisé des Domaines et du Cadastre. Il ressort de la vérification financière de l’attribution de parcelles et du recouvrement des recettes domaniales dans le Cercle de Kati que les différents textes législatifs et réglementaires régissant la gestion domaniale ne sont pas respectés et, souvent, leur interprétation porte à confusion.
Cela se traduit par une mauvaise gestion des domaines privés immobiliers de l’État et des Collectivités Territoriales, entraînant la perte d’une bonne partie des recettes de l’État.
La Direction Régionale des Domaines et du Cadastre de Koulikoro (DRDC-K), selon le rapport, ne joue pas son rôle de coordination des activités et de centralisation des opérations de ses services de base. Elle ne maîtrise pas les opérations foncières exercées par les entités qui ne relèvent pas directement de son autorité. Ainsi, dans l’attribution des titres provisoires, elle ne serait pas parvenue à faire appliquer la règlementation en vigueur à travers les Bureaux Spécialisés ouverts à cet effet. Le Directeur Régional des Domaines et du Cadastre de Koulikoro aurait minoré les prix de cession des parcelles pour un montant total de 591,26 millions de FCFA. Le Cercle et la Mairie de la Commune urbaine de Kati n’ont pas perçu les droits sur les frais d’édilité et de transfert au compte du budget de l’Etat à concurrence de 91,81 millions de FCFA pour l’un et de 101,31 millions de FCFA pour l’autre.
Concernant les services du Ministère de l’Agriculture, à la DFM du Ministère de l’Agriculture, le bureau du vérificateur général a constaté que le contrôle interne est affaibli par de nombreux dysfonctionnements qui affectent les opérations de la DFM dans l’exécution des dépenses publiques. En particulier, l’exécution des marchés publics renferme des écarts avec les dispositions légales. Ces insuffisances altèrent la sincérité des dépenses effectuées.
A l’Office Riz de Mopti, la vérification de performance effectuée a révélé des difficultés de sécurisation des terres agricoles de l’Office en l’absence d’actes juridiques. Elle a également mis en exergue l’insuffisance et le vieillissement du personnel, l’absence d’un plan de carrière et le non-respect des programmes de formation. De plus, l’ORM n’assure pas la promotion de la diversification des cultures, et son appui aux couches vulnérables dégage un bilan mitigé. Pour lacommercialisation des produits agricoles, l’ORM ne dispose pas d’un mécanisme opérationnel.
Si les rapports précédents, en dépit des nombreuses irrégularités et fraudes constatées, se sont toujours terminées en queue de poisson eu égard au manque de volonté politique, de la corruption et de l’impunité grandissante, celui de cette année 2011 s’inscrit dans une situation particulière, marquée par le changement de régime et la réorganisation de l’appareil judiciaire. La justice, pour une fois, pourra t-elle jouer librement et en toute indépendance son rôle afin de donner une suite à la mission du vérificateur général ? Rien qu’à constater l’architecture actuelle de l’appareil judiciaire du pays et les hommes qui l’incarnent, tout porte à croire que oui et surtout que les différentes structures et responsables concernés par ce rapport risquent d’avoir du pain sur la planche. Affaire à suivre !
Fousseyni MAIGA