Le rapport du Bureau du Vérificateur Général sur la gestion du Ministère de l’Agriculture est tombé tel un couperet. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il révèle un scandale financier d’une ampleur accablante. Entre fraudes fiscales, manipulations de chiffres et irrégularités financière, la gestion de ce ministère s’apparente à une véritable hémorragie budgétaire. En tout, pas moins de 1 138 597 025 FCFA d’irrégularités ont été relevés, dont 758 637 025 FCFA demeurent jusque-là encore introuvables et non justifiés.
L’enquête, qui couvre la période du 1er juillet 2023 au 31 juillet 2024, a levé le voile sur des pratiques aussi douteuses qu’illégales. Parmi les multiples infractions relevées, le fractionnement abusif des dépenses est une stratégie bien huilée au sein du ministère pour contourner les appels d’offres. Un véritable jeu de passe-passe orchestré par le Directeur des Finances et du Matériel, qui a ainsi réussi à dilapider 139 374 727 FCFA en morcelant des commandes similaires afin d’échapper aux règles de transparence.
Parmi les pratiques frauduleuses, le rapport parle de 14 868 000 FCFA pour des portes en aluminium, fractionnées en trois demandes de cotation ; 59 117 764 FCFA en matériels électriques, découpés en 13 demandes de cotation ; 13 529 880 FCFA pour l’installation de lampadaires solaires, divisée en trois demandes ; 34 402 900 FCFA pour des onduleurs, saucissonnés en sept demandes et 17 456 183 FCFA pour des consommables informatiques, éparpillés sur six demandes. Des stratagèmes grossiers qui violent, ouvertement, les dispositions des articles 33.3 du Décret n°2015-0604/P-RM et 22 de l’Arrêté n°2015-3721/MEF-SG, censés garantir une gestion rigoureuse des finances publiques.
Détournement flagrant du don de la Banque Mondiale
Dans le cadre du Programme de Résilience du Système Alimentaire en Afrique de l’Ouest (PRSA), la Banque Mondiale avait offert 25 000 tonnes de blé pour soutenir la sécurité alimentaire au Mali. Mais là encore, l’opération a été détournée à des fins obscures. La première irrégularité est la minoration du prix de vente de ce blé. Officiellement, la tonne devait être vendue à 142 345 FCFA, mais une manœuvre de la Commission de suivi a rabaissé ce prix à 138 342 FCFA, causant une perte directe de 98 876 702 FCFA pour l’État. Pire, des quantités de blé ont, purement et simplement, disparu ! Les contrats de vente initiaux mentionnaient 24 996 tonnes, mais les documents finaux n’indiquent plus que 24 700,65 tonnes. Ce qui donne un trou inexpliqué de 295,35 tonnes.
Où est passé le magot ?
La question en vaut la chandelle. En attendant, le Vérificateur Général a transmis et dénoncé les faits au président de la section des comptes de la Cour Suprême et au Procureur de la République du Pôle National Economique et Financier. Ils sont relatifs à des fractionnements des dépenses pour un montant total de 139 374 727 FCFA ; à la minoration du prix de vente du blé pour un montant total de 98 876 702 FCFA ; à la non justification de 295,350 tonnes de blé pour un montant total de 42 041 596 FCFA ; au non-règlement des factures d’achat de l’urée pour un montant total de 359 744 000 FCFA ; au non-reversement des montants recouvrés auprès des producteurs pour un montant total de 118 600 000 FCFA.
Face à cette cascade de fraudes, une question brûlante se pose : qui sont les responsables de ces gabegies financières et quelle sera la réaction de nos autorités ?
Ce rapport financier pour le moins accablant ne doit pas rester comme une lettre morte dans les tiroirs. Mais connaissant les lenteurs et l’opacité du système, combien parient que les coupables seront inquiétés ?
Alors que les paysans maliens peinent à obtenir des engrais, que les terres souffrent de l’assèchement et que les consommateurs voient les prix des céréales s’envoler, une poignée de hauts fonctionnaires s’enrichit, tranquillement, sur le dos de la nation. Cette situation doit-elle continuer ? En tout cas, le temps est le meilleur juge.
Adama Coulibaly