Faits dénoncés au Pôle économique et financier et transmis à la Cour suprême
Le ministère des Sports vient d’être épinglé par le Bureau du Vérificateur général (BVG) sur sa gestion “chaotique” au titre des exercices 2023 et 2024 (31 août). Et les irrégularités financières s’élèvent à plus de 345 millions F CFA. Il s’agit du règlement de dépenses indues lors des compétitions sportives internationales, de la justification de dépenses par de fausses factures, de la réutilisation de factures pour justifier certaines dépenses, du paiement irrégulier de primes suite à l’ajout de noms fictifs, du paiement de dépenses inéligibles, du non-reversement au Trésor public des frais de voyage des Aigles du Mali lors de la Can-2023 en Côte d’Ivoire. Sans oublier des dépenses irrégulières lors des Jeux olympiques Paris-2024. Les faits relevés dans le rapport de vérification et qui sont susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale et à la législation budgétaire et financière ont été dénoncés au Procureur de la République chargé du Pôle national économique et financier et transmis au président de la Section des comptes de la Cour suprême. Le résultat de la mission du BVG au département des Sports sous la conduite d’Abdoul Kassim Ibrahim Fomba sur qui l’étau se resserre. D’ailleurs, c’est lui-même qui avait souhaité l’audit du CNOSM par le Bureau du Vérificateur Général après les Jeux Olympiques Paris 2024. Et ce rapport rendu public en décembre 2024 se passe de tout commentaire puisque le CNOSM est blanc comme neige. Aucun détournement n’a été constaté par l’équipe du Vérificateur général.
a présente vérification a pour objet la gestion de la direction des finances et du matériel (DFM) du ministère de la Jeunesse et des Sports, au titre des exercices 2023 et 2024 (31 août). Elle a pour objectif de s’assurer de la régularité et de la sincérité des opérations de dépenses. Les travaux de vérification ont porté sur l’évaluation du contrôle interne et les dépenses de fonctionnement et d’investissement effectuées sur le budget d’Etat.Cette vérification a mis en exergue des irrégularités administratives et des irrégularités financières.
Irrégularités administratives
La mission de vérification a constaté que le cadre organique de la DFM du ministère de la Jeunesse et des Sports n’est pas respecté. Ladite DFM ne dispose pas d’un système d’archivage opérationnel. Le comptable-matières n’a pas procédé à la codification des matières. La DFM ne publie pas le plan de passation révisé des marchés. Le directeur des finances et du matériel ne respecte pas le principe de séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable. Le montant total des avances faites au régisseur spécial excède la somme requise. Le ministère de la Jeunesse et des Sports n’a pas mis à jour l’arrêté interministériel fixant le taux des primes accordées aux sportifs. Il a autorisé la transformation d’ambulances en véhicules de fonction. C’est pourquoi, la mission a recommandé au ministre de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’Instruction civique et de la Construction citoyenne, de veiller à l’actualisation des textes réglementaires accordant des primes aux sportifs et d’utiliser les véhicules de l’Etat conformément à leur vocation. Au directeur des finances et du matériel, elle a demandé de veiller au respect des dispositions du cadre organique ; de disposer d’un bon système d’archivage des documents comptables et financiers ; de veiller à ce que le Comptable-matières procède à la codification des matières ; de publier les plans de passation révisés des marchés conformément au code des marchés publics et de respecter le principe de séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable conformément à la réglementation en vigueur. Quant au comptable-matières, il doit procéder à la codification des matières conformément à la réglementation en vigueur.
Irrégularités financières
La vérification a relevé des irrégularités financières d’un montant total de 345 567 587 F CFA. Elles sont relatives, selon le rapport, aux dépenses irrégulières effectuées lors des Jeux olympiques pour un montant de 4 010 140 F CFA ; à la justification de dépenses par de fausses factures pour un montant de 74 789 547 F CFA ; à la réutilisation de factures pour justifier des dépenses pour un montant de 30 278 565 F CFA ; au règlement de dépenses indues lors des compétitions sportives internationales pour un montant de 142 881 982 F CFA ; au paiement de dépenses inéligibles pour un montant de 45 465 200 F CFA ; au paiement irrégulier de primes suite à l’ajout de noms fictifs pour un montant de 20 000 000 F CFA ; au non-reversement des retenues de TVA sur les factures payées aux fournisseurs pour un montant de 9 465 953 F CFA ; au non-reversement au Trésor public des frais de voyage de l’équipe senior du Mali à la Can-2023 pour un montant de 18 676 200 F CFA par le directeur des finances et du matériel.
S’agissant des dépenses indues lors des compétitions sportives internationales, le BVG a constaté que “le Directeur des Finances et du Matériel et le Régisseur spécial d’avances ont effectué des dépenses indues lors des compétitions sportives internationales. En effet, le Directeur des Finances et du Matériel et le Régisseur spécial d’avances ont émis des factures non conformes pour justifier des dépenses relatives à l’hébergement, à la restauration et au transport local lors du tournoi des phases finales du CHAN 2023 en Algérie, de la Coupe d’Afrique des Nations des moins de 23 ans (U23) au Maroc et de la Coupe d’Afrique des Nations des moins de 17 ans (U17) en Algérie, et des Coupes du Monde de Basketball de Mexique et d’Espagne. Ces dépenses ont été prises en charge par les organisateurs desdits événements à savoir la Fédération Africaine de Football et la Fédération Internationale de Basketball.
Pour la Coupe d’Afrique des Nations des moins de 17 ans (U17), le Régisseur spécial d’avances a produit la Facture n°23005985 du 18 mai 2023, libellée “Frais d’hébergement et restauration de l’équipe U17” pour un montant de 30 880 191 FCFA alors que cette dépense a été prise en charge par l’association organisatrice du tournoi final. Il en est de même pour le CHAN 2023 où il a émis la Facture n°2023010370 du 25 janvier Gestion de la Direction des Finances et du Matériel – Ministère de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’Instruction Civique et de la Construction Citoyenne – Exercices 2023 et 2024 (31 août) 19 2023, intitulée “Frais d’hébergement et restauration de la délégation” pour un montant de 17 229 149 FCFA. A ce titre, le Régisseur spécial d’avances a procédé au paiement de 18 factures liées aux frais de séjour, de pension complète qui devaient être prises en charge par les associations sportives organisatrices des tournois”.
En ce qui concerne le paiement irrégulier de primes suite à l’ajout de noms fictifs, l’équipe de vérification a constaté que “le Directeur des Finances et du Matériel et le Régisseur spécial d’avances ont procédé à l’ajout de noms fictifs sur la liste des joueurs ayant reçu des primes. En effet, après avoir procédé à une analyse comparative de la liste des joueurs convoqués par match et des pièces justificatives de paiement des primes par l’Etat, des écarts ont été décelés à l’occasion des paiements des primes lors des éliminatoires de la CAN 2023 et la phase finale de la CAN 2021 (primes payées en 2023). Cette disparité résulte de l’ajout de noms fictifs de joueurs à la liste des bénéficiaires des primes par les responsables de la DFM du ministère chargé des Sports”. Parlant du non-reversement au Trésor public des frais de voyage de l’équipe senior du Mali à la Can-2023, le BVG a constaté que “la Fémafoot n’a pas reversé à la DFM du ministère chargé des Sports les frais de voyage de l’Equipe Seniors du Mali à la CAN 2023. En effet, le Régisseur spécial d’avances a assuré la prise en charge des frais de voyage de l’Equipe nationale Seniors en vue de sa participation à la CAN 2023 en Côte d’Ivoire, dont le remboursement à l’Etat du Mali est prévu à l’article 103 du Règlement de la CAF.
La CAF a demandé à la Fémafoot de prendre attache avec sa Division financière pour les modalités de remboursement des frais de voyage de 30 personnes de l’Equipe nationale Seniors, en raison de 1 000 dollars US par personne, soit 30 000 dollars US. La Fémafoot n’a pas encore procédé au remboursement dudit montant. Le montant de l’irrégularité s’élevait à 30 000 dollars US, soit 18 676 200 FCFA (au taux du jour). Toutefois, après la transmission du rapport provisoire, la Fémafoot a procédé au remboursement des frais de voyage de l’Equipe Seniors du Mali à la CAN 2023 suivant le Chèque barré n°9014555 du 6 janvier 2025 de la BDM-sa au profit du ministère de la Jeunesse et des Sports, correspondant à la somme de 18 676 200 FCFA, soit l’équivalent de 30 000 dollars US tel que défini par l’article 103 du Règlement de la CAN. A la date du présent rapport, le Directeur des Finances et du Matériel du ministère chargé des Sports n’a pas procédé au reversement dudit montant au Trésor Public conformément à la réglementation en vigueur”.
Selon nos informations, la CAF n’a jusqu’à présent remboursé cette somme puisque c’est le département qui était chargé de réclamer le remboursement. Malgré tout, la Fémafoot a décidé de reverser les 18 millions FCFA au ministère en attendant. Et le département réclamait 150 millions FCFA.
On se rappelle de la déclaration du ministre Fomba dans un journal de la place : “pour être précis, c’est un montant de 1,2 milliard de FCFA que l’Etat a débloqué dans le cadre de la CAN 2023 en Côte d’Ivoire. Environ 150 millions de FCFA sont partis dans les frais de transport. Les auditeurs ont écrit pour dire à la Fémafoot de nous restituer cette somme”. S’agissant des 18 millions FCFA, il a été très clair : “ce montant est insignifiant par rapport à ce que l’Etat a dépensé. Rien que l’affrètement d’un avion va au-delà de 18 millions FCFA. Si la CAF pense que ce sont 18 millions FCFA qui remboursent nos frais de transport, elle se trompe. Ce n’est pas du tout cela. Nous n’avons pas besoin de ce montant. Notre argent pour les frais de transport, nous savons combien c’est. Et ce n’est pas du tout 18 millions FCFA. Si la Fémafoot nous reverse cette somme nous allons la faire retourner”.
Finalement, l’équipe des enquêteurs a tranché.
Sur la réutilisation de factures pour justifier des dépenses, l’équipe du BVG a constaté que “le Directeur des Finances et du Matériel et le Régisseur spécial d’avances ont réutilisé des factures pour justifier des dépenses. Les travaux ont révélé que le Directeur des Finances et du Matériel et le Régisseur spécial d’avances ont utilisé de manière récurrente les mêmes factures à des fins de justification des dépenses. De ce fait, la Facture n°230715-2921 du 17 juillet 2023 d’un montant de 19 302 400 FCFA liée au BE n°277 du Mandat n°740, destinée à la prise en charge des frais d’hébergement et de restauration de l’Equipe U16 a été réutilisée comme pièce justificative n°308 du BE n°278 relatif au Mandat n°741. De même, la Facture n°230006056 du 10 janvier 2023 d’un montant de 500 010 FCFA a été utilisée deux fois pour justifier les frais d’achat des produits pharmaceutiques suivant les pièces justificatives n°16 du 10 mai 2023 et n°260 du 24 juillet 2023. En somme, six (6) factures ont été reprises deux fois, soit 12 factures, pour justifier des dépenses. Toutes les factures compromises ont été certifiées par le Comptable matières et les bordereaux détaillés y afférents ont reçu le visa du Contrôleur Financier”.
Pour le paiement de dépenses inéligibles, le BVG a constaté que “le Directeur des Finances et du Matériel et le Régisseur spécial d’avances ont payé de dépenses inéligibles. En effet, il ressort des travaux que le Régisseur spécial d’avances a pris en charge des dépenses diverses sur la régie spéciale d’avances telles que les frais d’abonnement TV, l’achat de matériels de quincaillerie, l’achat des produits sanitaires et de matériels divers… alors que l’arrêté instituant ladite régie ne les autorise pas. Ainsi, il a payé 17 factures non éligibles y compris les factures suivantes : – la Facture n°20241001 du 14 décembre 2023 relative à l’achat de produits sanitaires pour un montant de 8 006 300 FCFA ; – la Facture n°0063/2023 du 14 décembre 2023 relative à l’achat de matériels de quincaillerie pour un montant de 2 543 490 FCFA ; – la Facture n°044/2023 du 29 décembre 2023 relative à la désinfection et dératisation du bâtiment et de la Cour pour un montant de 5 894 690 FCFA. Toutes les factures ont été certifiées par le Comptable-matières et les bordereaux détaillés y afférents ont été visés par le Contrôleur Financier”. S’agissant des dépenses irrégulières effectuées lors des Jeux olympiques, le BVG a constaté que “le Directeur des Finances et du Matériel et le Régisseur spécial d’avances ont effectué des dépenses irrégulières lors des Jeux Olympiques. En effet, le Mandat de délégation n°2506 d’un montant de 369 360 400 FCFA a été émis le 7 juin 2024 par le Directeur Général du Budget, lequel fut suivi par la Décision n°2024-0054/MJSICCC-SG du 13 juin 2024 du ministre chargé des Sports pour la prise en charge des dépenses liées à la préparation et à la participation du Mali aux Jeux Olympiques de Paris 2024. Aussi, par Lettre n°002267/MEF-SG du 12 juin 2024, le ministre de l’Economie et des Finances a instruit le Directeur National du Trésor et de la Comptabilité Publique de mettre à la disposition de la DFM du ministère chargé des Sports une avance de fonds d’un montant de 180 000 000 FCFA destinée à la prise en charge des dépenses de la préparation et de la participation du Mali aux Jeux Olympiques de Paris 2024.
Sur cette avance de fonds, la DFM du ministère chargé des Sports a versé un montant de 93 921 633 FCFA au profit du Comité National Olympique et Sportif du Mali (CNOSM) pour la prise en charge des dépenses diverses à Paris. Le reliquat de ce montant, soit 86 078 367 FCFA, a été utilisé par la Régie spéciale d’avances de la DFM du ministère chargé des Sports pour les dépenses de billets d’avion de l’ensemble de la délégation malienne aux Jeux Olympiques, la préparation des athlètes et la logistique à Bamako. Au retour de la délégation malienne à Bamako, le CNOSM a procédé au reversement du montant non utilisé de 20 576 230 FCFA au compte de la DFM suivant les Ordres de virement n°021-CNOSM et n°022-CNOSM du 28 août 2024. Après examen des pièces justificatives des dépenses effectuées, l’équipe de vérification a relevé que la DFM a assuré la prise en charge du billet d’avion, pour un montant de 526 500 FCFA, d’une personne dont le nom ne figure pas sur l’Ordre de mission n°01419/SGG-RM du 5 juillet 2024 de la délégation malienne aux Jeux Olympiques de Paris 2024”. Enfin, l’équipe du BVG a constaté que “les Régisseurs ordinaire et spécial d’avances n’ont pas reversé les retenues de TVA sur les factures payées aux fournisseurs. L’équipe de vérification a relevé que les Régisseurs ordinaire et spécial d’avances ont retenu la TVA à hauteur de 100% sur les factures payées aux fournisseurs alors que la retenue autorisée est fixée à 40%. Ils n’ont pas non plus reversé les retenues effectuées. Le montant total de TVA non reversé s’élevait à 9 767 401 FCFA en raison de 424 710 FCFA pour les retenues effectuées par le Régisseur ordinaire d’avances et 9 342 691 FCFA pour celles opérées par le Régisseur spécial d’avances. Toutefois, après la transmission du rapport provisoire, sur le montant de 424 710 FCFA, le Régisseur ordinaire d’avances a payé 301 448 FCFA au titre de la retenue de TVA suivant le Reçu n°7748256 du 8 juillet 2024 et il se dégage un reliquat de 123 262 FCFA non reversé par ce dernier”. Les faits relevés dans le rapport de vérification et qui sont susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale et à la législation budgétaire et financière ont été dénoncés au procureur de la République chargé du Pôle national économique et financier et transmis au président de la Section des comptes de la Cour suprême. Ceux relatifs au non-reversement des retenues de TVA sur les factures payées aux fournisseurs pour un montant de 9 465 953 F CFA ont été transmis au directeur général des impôts.
El Hadj A.B. HAIDARA (Rapport BVG)