Laboratoire National de la Santé : Une gestion comparable à celle d’une épicerie

0

Les autorités maliennes vont-elles prendre des mesures pour nettoyer les écuries d’Augias du Laboratoire National de la Santé (LNS)? En tout cas, le jeu en vaut la chandelle, rien que de part le management en cours au sein de cette structure étatique. Et le rapport de performance du Bureau du Vérificateur Général (BVG)  en dit long sur les pratiques d’outre-tombe de ce service qui hypothèquent l’avenir de notre pays.

Depuis la prise de fonction du Pr Benoît Yaranga Koumaré, au Laboratoire National de la Santé, le 25 mars 2009, (il y a 15 ans), la mauvaise gestion des ressources humaine et financière et bien d’autres phénomènes jugés diffus sont courants au niveau de ce service. Et si les autorités maliennes pouvaient ordonner, sans complaisance ni parti pris, un contrôle financier de fond en comble au sein de la Direction du LNS, on devrait, peut-être, découvrir un grand réseau de mafieux savamment monté en vue de saccager les fonds. Mais avant que cette démarche ne soit à l’ordre du jour, le Bureau du Vérificateur Général lève un coin de voile sur la gouvernance érigée en mode au sein du LNS.

Rapport accablant

La vérification de performance du BVG au Laboratoire National de la Santé, s’inscrit dans une perspective d’amélioration continue de la protection de la population contre les maladies d’origines alimentaire et médicamenteuse. Elle a porté sur l’analyse du cadre institutionnel du système actuel de contrôle qualité des médicaments, aliments eaux et boissons, la gouvernance administrative et financière, le plateau technique et les processus opérationnels d’échantillonnage et d’analyses du LNS.

L’insalubrité des aliments et des médicaments qui constitue une des causes importantes des maladies et d’échecs thérapeutiques est considérée, à ce titre, comme une préoccupation de santé publique par l’Organisation Mondiale de la Santé et par le Fonds Alimentaire Mondial (FAO). Ainsi, les directives de la FAO recommandent aux États d’adopter un cadre législatif assurant une protection efficace des consommateurs contre les intoxications alimentaires et médicamenteuses pour mieux encadrer la circulation, la commercialisation et la consommation des produits concernés.

À cet effet, il apparaît que le Gouvernement du Mali a pris des mesures importantes en matière de contrôle phytosanitaire à travers deux (2) lois et leurs textes d’application concernant l’inspection des produits alimentaires d’origines animale et végétale. Les services de l’Agriculture et de l’Élevage sont chargés de l’application de ces textes. Concernant les analyses physico-chimique et biologique des aliments qui sont du ressort du Laboratoire National de la Santé, il existe une insuffisance de réglementation pour encadrer les activités de contrôle qualité.

Concernant le système actuel de contrôle qualité des médicaments, aliments eaux et boissons, l’absence de synergie entre les entités impliquées dans ce système constitue une entrave à la performance du Laboratoire National de la Santé. En effet, il n’existe pas de cadre intégré de coopération entre les services de contrôle phytosanitaire et le Laboratoire National de la Santé facilitant une protection adéquate des populations contre les risques de nocivité des aliments et des médicaments.

L’examen des éléments de la gouvernance, du plateau technique et des processus opérationnels du LNS fait ressortir des insuffisances qui sont de nature à entraver l’efficacité et l’efficience de la réalisation des missions de contrôle qualité des aliments, médicaments, boissons et eaux sur toute l’étendue du territoire national. En effet, en l’absence de relais au niveau régional et d’un cadre de collaboration entre les différents acteurs, le LNS éprouvera toujours des difficultés à satisfaire les besoins sans cesse croissants de contrôle qualité des aliments, médicaments, boissons et eaux. Avec un effectif et des moyens logistiques et financiers insuffisants, les capacités actuelles du LNS ne lui permettent pas d’atteindre les performances attendues d’un laboratoire de son rang au niveau national, avec les lenteurs dues à la lourdeur du processus d’échantillonnage qui requiert dans la plupart des cas que le LNS se déplace dans les Régions pour prélever les échantillons, les analyser et acheminer les résultats par la Direction Nationale de l’Agriculture ou de l’Élevage.

Par ailleurs, concernant le contrôle qualité des médicaments, il y a lieu de signaler la nécessité de renforcer et de dynamiser la pharmacovigilance à travers une forte implication des ordres régionaux des pharmaciens et une lutte efficace contre la vente illicite des médicaments. Aussi, se pose la nécessité de prendre des mesures favorables à la certification des 40 médicaments produits au Mali dont certains ne le sont pas encore.

C’est à cet effort que la population sera efficacement protégée contre les conséquences de la consommation des médicaments, aliments, eaux et boissons insalubres.

Absence de formation du personnel

Le Laboratoire National de  la Santé ne procède pas adéquatement à la gestion des activités de formation du personnel. À l’exception du laboratoire de contrôle qualité des médicaments qui est en voie d’accréditation, les activités de formation du personnel du LNS présentent des insuffisances.

Pour s’assurer que le Laboratoire National de la Santé procède adéquatement à la gestion des activités de formation du personnel, l’équipe de vérification du BVG s’est entretenue avec le Directeur Général du LNS, le Pr. Benoît Yaranga Koumaré ; son Adjoint, Seydou Moussa Coulibaly et le responsable des ressources humaines. Elle a examiné les contrats de travail, les décisions de recrutement, de mise à disposition, l’organigramme et les profils de postes.

Du coup, il ressort que le LNS ne dispose pas de plan de formation pour le personnel permettant d’organiser les activités de formation en fonction des besoins de formations et de la planification budgétaire. Les entrevues menées auprès des différents responsables ont permis de révéler que durant la période sous revue, la plupart des agents n’ont pas bénéficié de formation. Seuls les agents du Département Médicament qui est à l’épicentre du processus de certification, bénéficient des actions de formation. L’efficacité des actions de formation réside dans la mise en œuvre des actions de formation suivant les orientations du plan stratégique 2017- 2023. Dans ce contexte, le plan de formation est un outil incontournable de plan stratégique concernant le renforcement des capacités du LNS.

Les défaillances dans la mise en œuvre des activités de formation empêchent le LNS d’atteindre avec efficacité et efficience ses objectifs opérationnels et stratégiques.

Manque de vigilance du DRH du Secteur Santé et Développement Social sur le LNS

Sur la base d’informations fournies par le Directeur des Ressources Humaines du Secteur Santé et Développement Social, M. Biassoun Dembélé, le Directeur des Ressources Humaines du Ministère de l’Économie et des Finances a réaffecté l’Agent Comptable du LNS sans procéder à son remplacement. Cette pratique n’est pas une première au LNS, car de 2018 à 2022, trois (3) Agents Comptables se sont succédé au poste sans qu’aucun n’ait produit un compte de gestion durant la même période.

Afin de s’assurer que le Directeur des Ressources Humaines du Secteur Santé et Développement Social, Biassoun Dembélé, veille sur les cadres organiques des services du département, notamment l’occupation régulière du poste d’Agent Comptable du LNS, l’équipe de vérification a effectué des entrevues. Elle a constaté que le Directeur des Ressources Humaines du Secteur Santé et Développement Social, ne procède pas adéquatement au contrôle de l’occupation régulière des postes, par les agents, dans les services du département et particulièrement celui de l’Agent Comptable du LNS.

En effet, il ressort des travaux effectués par l’équipe de vérification que le Directeur des Ressources Humaines du Secteur Santé et Développement Social a, suivant le BE n°1221/MSDS-SG-DRH-SSDS du 18 mars 2022, saisi la Direction Nationale de la Fonction Publique et du Personnel d’une demande de mise à disposition du Ministre de l’Économie et des Finances de l’Agent Comptable en fonction au LNS. À la suite de cette demande, la Direction Nationale de la Fonction Publique et du Personnel a pris la Décision n°2022-000400/ MTFPDS-SG-DNFPP-D1-3 du 4 avril 2022 portant mise à disposition de certains Agents au Ministère de l’Économie et des Finances. Sur la base de cette décision, le Directeur des Ressources Humaines du Secteur Économie et Finances a procédé à la mutation de l’Agent Comptable à la Direction Régionale du Trésor de Kayes suivant la Décision n°2022- 0130/MEF-DRH/SDEF du 27 avril 2022 portant affectation d’Agent. Ainsi, le poste d’Agent comptable du LNS est resté vacant durant plus de quatre (4) mois alors que l’arrêté de nomination de l’Agent Comptable n’avait pas été abrogé.

Inexistence totale de communication et d’information

La gestion du Laboratoire National de la Santé est comparable à celle d’une épicerie. Il ne met pas adéquatement en œuvre les actions de communication et d’information en appui aux activités de sensibilisation et de marketing nécessaires à la réalisation de sa mission de contrôle qualité des aliments, médicaments, boissons et eaux.

Le contrôle qualité des médicaments, aliments, boissons et eaux passe par des actions de communications pour informer et sensibiliser les acteurs sur les risques de maladies d’origines alimentaire et médicamenteuse. C’est dans ce cadre que les Directives de la FAO pour le renforcement des systèmes nationaux de contrôle alimentaire, édictées sous le n° ISBN 92-5-204918-5 prévoient en leur annexe 10 que l’organisation effective d’une agence nationale de contrôle alimentaire repose, entre autres, sur des principes de fonctionnement axés sur la protection de la santé des consommateurs et sur la fourniture d’informations et de conseils permettant aux consommateurs d’effectuer des choix dûment informés.

Dans le cadre de cette mission, l’équipe de vérification a procédé aux entrevues avec le Directeur Général du LNS, Pr. Benoît Yaranga Koumaré, son adjoint Seydou Moussa Coulibaly et des chefs de Département. Elle a ensuite procédé à une revue documentaire et analysé les rapports d’activités du LNS. Il ressort des travaux de vérification que les activités de communication et d’information du LNS n’ont pas été alignées sur le plan stratégique 2017-2023 qui dispose d’un axe relatif au renforcement du volet information, éducation et communication.  En effet, cet axe stratégique prévoit trois (3) actions majeures de communication et d’information qui ont été insuffisamment mises en œuvre.

Il s’agit : de la création d’une unité IEC qui devrait être dotée de moyens matériels et humains pour son fonctionnement ; de la mise en place et du développement d’un site Web actif pour promouvoir les activités, la transparence et la qualité des services du LNS ; et de l’utilisation des différents canaux de communication (médias, réseaux sociaux et publication).

Il ressort également de l’examen des rapports financiers de la période sous revue que le LNS ne consacre pas de crédit budgétaire aux activités de communication. Il s’en suit qu’il n’a pas mis en place d’outil de communication et de sensibilisation autour des risques liés à la consommation de médicaments et aliments n’ayant pas fait l’objet d’un contrôle préalable des substances physico-chimiques et biologiques. Il apparaît également que les actions tendant à donner plus de visibilité aux missions et attributions du LNS n’ont pas été adéquatement mises en œuvre.

Non tenue d’une comptabilité

L’Agent Comptable du LNS ne procède pas à la tenue régulière de la comptabilité et ne produit pas de compte de gestion. En effet, les opérations comptables ne sont pas régulièrement enregistrées et cette mauvaise pratique ne lui permet pas de produire les états financiers exigés par la réglementation en vigueur.

Il ressort du contrôle que les opérations financières du Laboratoire National de la Santé ne sont pas, régulièrement, prises en charge dans la comptabilité. À titre d’illustration, le Certificat d’analyse n°000040/MSDS/LNS du 6 septembre 2022 concernant l’analyse des échantillons n°22430-E1, 22431-E2 et 22432-E3, pour une facture de 600 000FCFA a été établi et remis aux clients concernés sans avoir fait l’objet de paiement au niveau de la Régie des recettes. De plus, l’équipe de vérification a révélé que les  livres comptables du LNS dont le grand livre des comptes et la balance qui sont nécessaires pour la production des états financiers ne sont pas tenus. Ainsi, l’Agent Comptable du LNS n’a pas établi les comptes de gestion des exercices 2019, 2020 et 2021. La bonne tenue de la comptabilité est nécessaire pour permettre au LNS de produire des informations financières fiables et rassurantes pour ses partenaires, d’établir des indicateurs financiers pertinents et de procéder avec efficacité et efficience à la reddition des comptes. Les irrégularités dans la tenue des livres comptables et la non-production des comptes de gestion compromettent la régularité et la sincérité des opérations financières effectuées par le Laboratoire National de la Santé.

Manque de gestion adéquate des produits chimiques périmés

Le Laboratoire National de la Santé ne prend pas de mesures appropriées pour une conservation adéquate des réactifs périmés acquis pour les besoins d’analyses chimiques et biologiques des médicaments, des aliments, des boissons et des eaux. La gestion des produits, matières dangereuses comprenant en grande partie les produits chimiques, est encadrée par des conventions internationales et la législation nationale. Pour avoir le cœur net que le LNS applique les normes de conservations des produits dangereux dont les réactifs chimiques périmés utilisés dans les laboratoires d’analyses, l’équipe de vérification s’est entretenue avec le Directeur Général, son Adjoint et les responsables des différents laboratoires. Elle a visité le magasin de stockage des réactifs y compris ceux périmés.

Du coup, l’équipe de vérification a décelé que le LNS dispose dans un magasin des stocks de réactifs périmés qui ne sont pas gérés suivant les exigences indiquées par les normes et la réglementation en vigueur. En effet, à la suite de la visite des magasins, l’équipe a constaté que ces réactifs sont stockés dans un magasin ne respectant pas les conditions de conservation des produits chimiques dangereux. Il est ressorti des entrevues que le LNS, faute de magasins appropriés et de moyens de destruction de ces réactifs chimiques périmés au Mali, les entasse dans un magasin dans l’espoir de les faire acheminer à l’extérieur du pays pour y être détruits. En attendant, ces produits dangereux demeurent entreposés dans un magasin qui n’est ni ventilé, ni muni de bacs de rétention, ni équipé de dispositif en cas d’incendie. De plus, l’équipe de vérification n’a pris connaissance d’aucun plan d’évacuation de ces produits dangereux.

Selon les responsables du LNS, les réactifs périmés sont stockés dans les magasins en attendant d’être expédiés en Europe pour y être détruits faute de structure compétente en la matière au Mali pour les détruire et de moyens financiers pour les acheminer sur les lieux de destruction.

Le respect des normes de gestion des produits chimiques constitue un gage de sécurité contre diverses maladies provenant de la manipulation et même de la propagation desdits produits dans l’environnement. L’entassement des réactifs périmés qui sont des produits chimiques dangereux, expose les personnels du LNS, les clients et mêmes les populations environnantes à des risques de sécurité sanitaire.

En attendant, la mauvaise conservation des réactifs chimiques périmés constitue une menace pour la sécurité des travailleurs du Laboratoire National de la Santé, l’environnement et la santé de la population et peut mettre en jeu sa responsabilité sociale et environnementale.

Cyrille Coulibaly

Commentaires via Facebook :