Par pouvoirs n°015/2021/BVG du 14 juin 2021 et en vertu de l’article 2 de la Loi n°2012-009 du 8 février 2012 abrogeant et remplaçant la Loi n°03- 030 du 25 août 2003 l’instituant, le Vérificateur Général a initié la vérification financière de la gestion de la Direction des Finances et du Matériel du Ministère du Développement Rural au titre des exercices 2018, 2019, 2020 et 2021 (1er trimestre). A l’issue de la vérification, la mission a décelé des irrégularités financières de 2 329 496 637 FCFA
S.‘agissant de la pertinence, le rapport de vérification indique le Gouvernement malien a identifié le développement agricole comme le principal moteur de la stratégie de croissance économique du pays, de réduction de la pauvreté et de sécurité alimentaire. Cette volonté politique se justifie par le fait que l’économie du Mali repose essentiellement sur le secteur agricole qui occupe près de 80% de la population active et contribue pour 33% au Produit intérieur brut (PIB) et 15% aux recettes d’exportation.
Aussi, mentionne le rapport, les surfaces cultivables sont estimées à environ 11 500 000 hectares dont 2 000 000 d’hectares irrigables et le potentiel du cheptel est très important. Malgré ces énormes potentialités agricoles, il est important de signaler que l’agriculture malienne a été et reste aléatoire à cause de l’irrégularité des pluies, de la fragilité des sols et de l’influence des climats désertique et sahélien d’une large partie du pays. A cela, il faut ajouter les problèmes de productivité et de production dans les zones agro écologiques, liés à la faiblesse de la fertilité des sols, au non-respect des doses d’utilisation des engrais et à la faible utilisation des semences de qualité.
Au plan socio-économique, on dénombre au total 800 000 exploitations agricoles dont 700 000 pratiquent l’agriculture soit 86%, tandis que 100 000 exploitations correspondent à des éleveurs stricts ou des pêcheurs.
207 844 558 700 FCFA pour des dépenses au titre des exercices 2018, 2019 et 2020
Suivant le compte administratif de la DFM du Ministère du Développement Rural, le crédit alloué s’élève à 207 844 558 700 FCFA pour des dépenses de l’ordre de 207 816 720 423 FCFA au titre des exercices 2018, 2019 et 2020. Au regard de ce qui précède, le Vérificateur Général a initié la vérification financière de la gestion de la DFM du Ministère du Développement Rural afin de s’assurer de la régularité et de la sincérité des opérations de dépenses. Les travaux de vérification ont porté sur l’exécution des dépenses de fonctionnement et d’investissement, les procédures de distribution des intrants subventionnés de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Au chapitre des constatations et recommandations, le rapport indique que celles-ci sont relatives aux irrégularités administratives et financières. Ainsi, les irrégularités administratives relèvent de dysfonctionnements du contrôle interne notamment le manque de suivi de la DFM du Ministère du Développement Rural rapport au respect des calendriers de livraison de l’engrais subventionné, le manque d’exigence des fournisseurs sur la mise en état de fonctionnement des équipements agricoles, l’attribution des contrats de livraison d’intrants à des fournisseur qui n’ont pas acheminé des intrants dans les localités bénéficiaires, le paiement irrégulier des dépenses dépassant le seuil autorisé…
S’assurer du respect du calendrier des livraisons de l’engrais
En termes de recommandations, les Vérificateurs ont recommandé au Directeur des Finances et du Matériel du Ministère du Développement Rural de s’assurer du respect du calendrier des livraisons de l’engrais subventionné dans les zones bénéficiaires, d’exiger des fournisseurs la mise en état de fonctionnement des équipements agricoles conformément au contrat, de procéder à la création du Centre Rural de Prestation de services agricoles avant toute construction, de s’assurer que les fournisseurs d’aliments bétails acheminent les intrants dans les localités des bénéficiaires.
Quant au Régisseur d’avances du Ministère de l’Elevage et de la Pêche, il doit veiller au respect du seuil autorisé de paiement conformément à l’arrêté fixant les modalités de création et de fonctionnement des régies d’avances.
En ce qui concerne les irrégularités financières qui s’élèvent à 2 329 496 637 FCFA, les Vérificateurs ont constaté que le Ministre du Développement Rural et le Directeur des Finances et du Matériel dudit ministère ne respectent pas les procédures d’attribution et de distribution des intrants agricoles subventionnés parce que la distribution des subventions agricoles à des fournisseurs n’ayant pas respecté des critères de sélection précisés dans les manifestations d’intérêt. En effet les sociétés Profeba, Planète distribution, Sogefert, Songoye, Gdcm ont fourni des bilans ne portant pas la mention “Bilans ou extraits de bilans conformes aux déclarations souscrites au service des impôts” dans leurs offres et malgré cette insuffisance lesdits fournisseurs ont été sélectionnés pour la distribution des engrais subventionnés.
Absence d’offres financières pour certaines sociétés
Par ailleurs l’équipe de vérification a constaté l’absence d’offres financières pour les sociétés Agrotropic, Madcom et Somadeco. De même, malgré le rejet de leurs offres par la commission d’évaluation et de jugement des offres, elles ont été autorisées à fournir les engrais subventionnés par Décision n°2019-00000136/MA-SG du 12 juin 2019 du Ministre de l’Agriculture fixant la liste des fournisseurs d’engrais définitivement retenus pour la distribution de l’engrais subventionné. Elle a aussi constaté qu’un fournisseur, sans avoir passé par les procédures de sélection de la DFM, a été ajouté à la liste définitive des fournisseurs retenus pour la distribution des engrais subventionnés. Il s’agit de la société Salah Touré qui ne figure pas sur la liste des sociétés retenues par la commission d’évaluation des offres.
La mission de vérificateurs a constaté que le DFM du MDR a payé des travaux de construction non exécutés dont le montant s’élève à 10 675 000 FCFA. Ainsi, le montant total des irrégularités s’élève à 145 505 277 FCFA. Aussi, le DFM a transféré des équipements non fonctionnels dans les différentes chambres d’agriculture pour un montant de 923 465 780 FCFA.
Transfert d’équipements agricoles non fonctionnels
Il ressort du rapport que, lors du passage de l’équipe de vérification dans les différentes localités, les représentants des chambres locales ont pu recouvrer et reverser 12 265 520 FCFA. Le DFM du Ministère de l’Agriculture a transféré des équipements agricoles non fonctionnels à la Commission de Gestion et de Suivi du Programme de Subvention des Equipements. En effet, au cours de la visite d’effectivité, il a été observé que lesdits équipements sont exposés dans les cours du Laboratoire Central Vétérinaire de Sotuba et de la DFM sans aucune protection contre les intempéries. Ainsi la Commission de Gestion et de Suivi du Programme de Subvention des Equipements n’a pu assurer d’une part le suivi de leur utilisation et d’autre part le suivi de la formation des bénéficiaires. L’équipe de vérification a également constaté l’existence de 182 botteleuses réceptionnées non utilisables et ne correspondant pas aux besoins exprimés par des producteurs. Le coût des botteleuses acquises et réceptionnées mais non fonctionnelles s’élève à 653 208 920 FCFA.
La mission a également constaté que le DFM du Ministère de l’Agriculture a procédé à des remboursements indus à des fournisseurs sur la base des listes validées dans le système E-voucher pour des quantités d’engrais non livrés. Et le montant des remboursements indus s’élève à 1 091 565 FCFA.
Non-application des pénalités
Selon le rapport de vérification, le DFM du Ministère de l’Elevage et de la Pêche n’a pas appliqué des pénalités de retard sur des marchés lorsque requis dont le montant s’élève respectivement à 9 589 033 FCFA pour le marché n°2983/DRMP/2018 et 8 962 544 pour le marché n°2984/DRMP/2018 du 24 septembre 2018 soit un montant total de 18 551 577 FCFA.
Le DFM du Ministère de l’Elevage et de la Pêche a payé pour des produits et équipements piscicoles non conformes dont le montant s’élève à 26 950 000 FCFA. En plus il a payé pour des cages flottantes incomplètes dont le montant s’élève à 13 500 000 FCFA.
Le Directeur des Finances et du Matériel du Ministère de l’Elevage et de la Pêche a payé pour des travaux non exécutés dont le montant total des irrégularités s’élève à 29 738 700 FCFA. La mission estime que le Directeur des Finances et Matériel du Ministère de l’Agriculture n’a pas fourni la preuve du reversement, au Trésor public, des produits issus de la vente des véhicules mis à la reforme. Les vérificateurs ont constaté entre autres que le Régisseur d’avances du Ministère de l’Agriculture a payé des indemnités de déplacement et de mission indues, le Régisseur d’avances du Ministère de l’Elevage et de la Pêche a payé pour des dépenses irrégulières, les Gestionnaires des Centres Ruraux de Prestation de services agricoles n’ont pas remboursé des montants dus sur les échéances des équipements reçue, le Directeur des Finances et du Matériel a payé pour des quantités d’engrais subventionnés non livrés, le Président de l’Association des riziculteurs de la plaine aménagée de San-Ouest a majoré le prix de vente fixé pour les engrais minéraux subventionnés, la Commission de Gestion et de Suivi du Programme de Subvention des Equipements Agricoles n’a pas reversé des produits issus de la vente des équipements.
Les faits dénoncés transmis à la justice
Les faits dénoncés par le Vérificateur général et transmis au Président de la section des comptes de la Cour suprême et au Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la commune III du District de Bamako, chargé du Pôle économique et financier sont relatifs au non-respect des procédures d’attribution et de distribution des intrants agricoles subventionnés ; au paiement de travaux de construction non exécutés pour un montant 145 505 277 FCFA ; aux équipements agricoles non fonctionnels remis aux représentants locaux de l’APCAM pour un montant de 923 465 780 FCFA ; aux équipements agricoles non fonctionnels remis à la Commission de gestion et de suivi du Programme de Subvention des Equipements pour un montant de 653 208 920 CFA ; au paiement non conforme des quantités d’engrais livrés par le système E-Voucher pour un montant de 1 091 565 FCFA ; au paiement de marchés non exécutés conformément aux clauses contractuelles pour un montant de 100 669 038 FCFA ; à la non-application de pénalités de retard pour un montant de 18 551 577 FCFA ; au paiement des produits et équipements piscicoles non conformes pour un montant de 26 950 000 FCFA ; au paiement des cages flottantes incomplètes pour un montant de 13 500 000 FCFA ; au paiement des travaux de construction non conformes au devis estimatif et quantitatif pour un montant de 29 738 700 FCFA ; à l’absence de preuves de cession des véhicules reformés pour un montant de 700 000 FCFA ; au paiement d’indemnités de déplacement et de missions indues pour un montant de 125 000 FCFA ; au paiement de dépenses irrégulières pour un montant de 2 000 000 FCFA ; au non-reversement au Trésor public des produits issus de la vente des équipements pour un montant de 108 177 486 FCFA ; au non-reversement des montants dus sur les échéances des équipements reçus pour un montant de 7 632 960 FCFA ; au paiement des engrais subventionnés non livrés pour un montant de 14 888 750 FCFA ; à la majoration du prix de cession de l’engrais subventionné pour un montant de 28 054 500 FCFA ; au non reversement des produits issus de la vente des équipements pour un montant de 235 119 917 FCFA.
Faiblesses et dysfonctionnements du contrôle interne
Les faits dénoncés par le Vérificateur général au Président de la section des comptes de la Cour suprême et au Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Kayes, chargé du Pôle économique et financier sont relatifs au non-reversement par les représentants locaux de l’APCAM Kayes au Trésor public des produits issus de la vente d’équipements pour un montant de 20 117 167 FCFA.
En conclusion, les travaux de vérification ont permis de mettre en exergue des faiblesses et dysfonctionnements relevant du contrôle interne ainsi que des irrégularités à caractère financier.Ainsi, les irrégularités d’ordre administratif se caractérisent principalement par le non-respect des procédures d’attribution des subventions agricoles, des procédures de délivrance des autorisations d’achats, des conditions de livraison de l’engrais subventionné, ainsi que le non-respect des procédures de passation des marchés. Au regard des constats ci-dessus, la mission de vérification a formulé des recommandations qui feront l’objet de mission de suivi de mise en œuvre.
La vérification des opérations de passation, d’exécution et de règlement desdits marchés a mis en exergue des irrégularités dans leur exécution. En effet, ont été relevés tour à tour des travaux non exécutés, des travaux non conformes aux prescriptions techniques des cahiers de charges ou des devis quantitatifs fournis par les fournisseurs, des matériels et équipements non retrouvés sur les sites de livraison. Cependant, la mission a rencontré des limites dans sa vérification, notamment la non disponibilité des listes de bénéficiaires d’engrais pour le système E-voucher au niveau des Directions régionales et pour s’assurer de l’effectivité des distributions les paysans n’ont pas pu fournir tous les reçus des autorisations d’achats et disent ne pas se souvenir non plus de la quantité reçue. L’équipe de vérification pour des raisons de sécurité et d’inaccessibilité n’a pas pu se rendre sur tous les sites des réalisations de la DFM.
Pour atteindre les objectifs fixés par la politique agricole, il s’avère utile pour la DFM du ministère de l’Agriculture de faire un suivi rigoureux de ses activités sur le terrain pour une utilisation optimale des ressources financières. Synthèse de Boubacar PAÏTAO