Gestion administrative et financière de N-Sukala-Sa : Près de 9 milliards de FCFA d’irrégularités décelées par le BVG

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Dans le cadre de ses prérogatives de contrôle des services publics et parapublic, le Bureau du Vérificateur général a effectué une mission de vérification financière de la gestion du Nouveau complexe sucrier du Kala supérieur (N-Sukala-SA). A l’issue de la vérification, plusieurs irrégularités administratives et financières ont été constatées. Ainsi, le montant total des irrégularités financières est estimé à près de 9 milliards de nos francs.

S’agissant de la pertinence de la mission, le rapport indique que le Nouveau complexe sucrier du Kala supérieur (N-Sukala-SA) est une société d’économie mixte constituée par l’Etat malien et China Light Industrial Corporation for Foreign Economic and Technical Cooperation (CLETC) avec un capital social de 22 milliards de F CFA, pour un coût de réalisation évalué à 80 milliards de FCFA. Ainsi, elle a pour objet social la culture de la canne à sucre, la production et la commercialisation du sucre, de l’alcool et de la mélasse.

Implantée dans le village de Sissako (Commune de Bewani), depuis 2012, la société N-Sukala-SA est venue renforcer le parc industriel du Mali par sa capacité de production annuelle qui est de 104 000 tonnes de sucre et 9 600 000 litres d’alcool. La production de sucre et d’alcool attendue de N-Sukala-SA dépasse largement la consommation domestique du Mali et le surplus de production est destiné à l’exportation.

Disposant d’une superficie cultivable de 20 000 ha de canne à sucre, le plan prévisionnel d’exploitation prévoyait la création de 740 emplois permanents et 10 500 emplois saisonniers. Le financement est assuré par des emprunts d’un montant de 74,8 milliards de FCFA contracté par l’Etat du Mali auprès de la Chine et rétrocédé à N-Sukala-SA. Les budgets annuels totaux de N-Sukala-SA s’élèvent à 88 989 131 783 FCFA pour les exercices 2016, 2017, 2018 et à 28 514 462 869 FCFA pour l’exercice 2019.

Des pertes depuis 2012

De 2016 à 2018, les charges d’exploitation ont atteint le montant de 83 762 274 990 F CFA avec des résultats d’exploitation structurellement déficitaires. Aussi, il est à souligner que N-Sukala-SA ploie sous le poids de la dette dont le montant s’élève à la somme de 84 318 534 257 FCFA à la date du 31 août 2018.  Son chiffre d’affaires est de 17 238 538 843 F CFA en 2016, 17 470 922 219 F CFA en 2017, 14 276 965 587 F CFA en 2018. Depuis la mise en exploitation industrielle et commerciale en 2012, N-Sukala-SA n’enregistre que des pertes sur le résultat d’exploitation et n’arrive pas à honorer tous ses engagements contractuels.

En raison de tout ce qui précède, le Vérificateur général a initié la vérification financière de la société.

En ce qui concerne les constatations et recommandations issues de la vérification, le rapport précise qu’elles sont relatives aux irrégularités administratives et financières.

Quant aux irrégularités administratives, elles relèvent des dysfonctionnements du contrôle interne, notamment le non-tenue régulière de la caisse de N-Sukala-SA par le chef comptable ; l’absence d’un compte spécial devant recevoir les fonds des emprunts qui ne permet pas à l’État malien de faire un suivi régulier des opérations ; le non-respect des dispositions de la réglementation du travail au Mali ; le non-respect de l’organigramme ; l’absence d’autorisation préalable du conseil d’administration pour la conclusion des conventions réglementées ; l’absence d’inventaire régulier de stocks de sucre ; le non-respect des conditions et des règles de stockage de sucre ; la non-tenue des dossiers d’immobilisations ;le non-respect du principe de la double signature par le directeur général et le directeur financier.

Par ailleurs, le rapport indique que le conseil d’administration ne s’acquitte pas régulièrement de ses obligations de surveillance de la gestion de N-Sukala-SA conformément à l’article 664 de l’Acte uniforme révisé de l’Ohada du 30 janvier 2014 relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE dispose : “Si, du fait de pertes constatées dans les états financiers de synthèse, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, le conseil d’administration ou l’administrateur général, selon le cas, est tenu, dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, de convoquer l’assemblée générale extraordinaire à l’effet de décider si la dissolution anticipée de la société a lieu”.

35 100 553 490 F CFA de déficits cumulés au 31 décembre 2018

Le même Acte Uniforme de l’Ohada précise également en son article 665 : “Si la dissolution n’est pas prononcée, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de réduire son capital, d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’ont pu être imputées sur les réserves si, dans ce délai, les capitaux propres n’ont pas été reconstitués à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social”.

Afin de s’assurer du respect des dispositions susvisées, l’équipe de vérification a analysé les déficits relevés sur les exercices de la période sous revue et a ensuite rapproché leurs montants à la moitié du capital social souscrit. Ainsi, la mission a constaté que le conseil d’administration n’a pas procédé à la convocation de l’assemblée générale extraordinaire pour décider soit de la dissolution de N-Sukala-SA soit de la reconstitution à concurrence des pertes constatées.

En effet, le capital social de N-Sukala-SA étant de 22 000 000 000 FCFA, les déficits cumulés au 31 décembre 2018 sont de 35 100 553 490 FCFA sans le capital social non appelé de 585 000 000 F CFA. Ces déficits ont ramené les capitaux propres à 13 685 553 490 FCFA, montant inférieur à la moitié du capital social qui est de 11 000 000 000 FCFA.

L’inapplication des mesures susvisées par le conseil d’administration suite aux déficits constatés dans les états financiers de synthèse, est de nature à compromettre la continuité d’exploitation de N-Sukala-SA. Elle entraîne également la détérioration du capital social qui constitue le gage général des créanciers.

Veiller au respect du plafond des fonds détenus dans la caisse

Au chapitre des recommandations, il ressort que le directeur général de N-Sukala-SA doit  justifier les transactions effectuées sur le compte spécial ayant reçu le fonds au nom de N-Sukala-SA ; établir des contrats de travail écrits pour les employés à temps partiel et les faire viser par l’inspecteur du travail ; rédiger les contrats de travail des travailleurs expatriés en langue française et les soumettre au visa du directeur national du travail ; pourvoir les postes vacants de l’organigramme ; soumettre les conventions réglementées à l’autorisation préalable du conseil d’administration ; tenir les fiches d’inventaire et produire régulièrement les rapports d’inventaire des stocks ; respecter les normes requises en matière de stockage du sucre ; faire un suivi régulier des immobilisations ; mettre en place une couverture des risques de change ; respecter le principe de la double signature conformément au manuel de procédures ; mettre en place un système intégré de calcul des coûts de production.

S’agissant du chef comptable, il doit veiller au respect du plafond des fonds détenus dans la caisse ; veiller à l’enregistrement chronologique des opérations ; procéder régulièrement aux arrêtés de caisse. Aussi, il est recommandé au président du conseil d’administration de procéder à la convocation de l’assemblée générale extraordinaire à l’effet de prendre des mesures appropriées par rapport à la situation financière de N-Sukala-SA.

Un marché d’intrants agricoles de 947 500 000 F CFA attribué par entente directe

Par rapport aux irrégularités financières, le rapport de vérification mentionne que le montant total des irrégularités financières s’élève à 8 916 878 455 FCFA.

Il ressort également que le chef comptable de N-Sukala-SA a enregistré des dépenses non soutenues par des pièces justificatives notamment les achats des pièces de rechange d’un montant de 38 162 492 F CFA ; le directeur général de N-Sukala-SA n’a pas payé les frais de gestion et les commissions d’engagement dus à l’État pour un montant total de 4 637 808 000 FCFA ; le directeur financier et comptable a irrégulièrement comptabilisé des charges d’amortissement pour un montant de 1 225 455 414 FCFA ; la directrice financière et comptable de N-Sukala-SA a irrégulièrement constitué des provisions pour dépréciation de stock de sucre avarié de 3617,965 tonnes, d’une valeur de 2 157 935 224 FCFA dont l’existence physique n’a été prouvée ni par l’effectivité, ni par les documents d’entrée et de sortie de stocks des magasins de sucre ; la directrice financière et comptable de N-Sukala-SA a effectué des achats fictifs de logiciels notamment un logiciel de gestion des ressources humaines d’une capacité de dix mille employés suivant le chèque BDM-SA n°4922660 d’un montant de 23 950 318 FCFA alors que ledit logiciel n’a pas été livré.

En outre, la mission a relevé que N-Sukala-SA a effectué un achat fictif des droits d’utilisation des applications (DUA) Export Compta et Immo. Sage Saari i7. En effet, le droit d’utilisation de ce logiciel est inclus dans le coût d’achat du logiciel. Et le montant indûment payé par N-Sukala-SA est de 5 852 435 FCFA. Ainsi, le montant total de ces irrégularités s’élève à 29 802 753 FCFA.

Les vérificateurs ont également constaté que le directeur général de N-Sukala-SA a effectué des achats de carburant non justifiés pour un montant de 326 774 008 F CFA ; la directrice financière et comptable de N-Sukala-SA a effectué des paiements irréguliers pour un montant total de 500 940 564 F CFA alors que ce dernier ne s’est pas acquitté de l’obligation contractuelle de remboursement des frais d’acquisition des coupeuses moissonneuses d’un montant de 120 000 000 F CFA ; le directeur général de N-Sukala-SA a irrégulièrement attribué un marché d’intrants agricoles par entente directe à un fournisseur pour un montant de 947 500 000 F CFA.

Faits dénoncés et transmis

 à la justice

La transmission et la dénonciation de faits par le Vérificateur général au président de la Section des comptes de la Cour suprême et au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la Commune III du district de Bamako, chargé du Pôle économique et financier sont relatives : aux achats de pièces de rechanges non soutenus par des pièces justificatives pour un montant de 38 162 492 F CFA ; aux frais de gestion non payés à l’emprunteur pour un montant de 3 091 872 000 F CFA ; à la commission d’engagement pour un montant de 1 545 936 000 F CFA ; aux charges d’amortissement non comptabilisées pour un montant de 1 225 455 414 FCFA ; à la provision pour dépréciation de stocks de sucre pour un montant de 2 157 935 224 FCFA ; aux achats fictifs de logiciels pour un montant de 29 802 753 F CFA, soit 23 950 318 pour le logiciel de paie et 5 852 435 FCFA pour le DUA ; aux achats de carburant non justifiés pour un montant de 326 774 008 FCFA ; aux paiements irréguliers d’un prestataire relatifs à la coupe mécanique pour un montant de 500 940 564 FCFA.

En conclusion, le rapport rappelle que la création de N-Sukala-SA est le fruit de la coopération sino-malienne qui remonte au 25 octobre 1960, soit un mois après l’accession du Mali à la souveraineté nationale. Elle a permis la réalisation d’investissements considérables dans divers secteurs d’activités économiques au Mali, mais la particularité de l’accord d’établissement de N-Sukala-SA est la création d’une unité industrielle chargée de la production du sucre au Mali avec la participation des deux Etats (le Mali et la Chine).

Cela constitue une marque de confiance et le signe d’une coopération bilatérale réussie. Ainsi, la bonne gestion de N-Sukala-SA constitue un gage de renforcement de cette coopération bilatérale entre le Mali et la Chine et pour le bonheur des deux parties dans une perspective de gagnant-gagnant.

Dans ce contexte, les audits et les vérifications permettent aux deux partenaires/actionnaires d’exercer périodiquement le contrôle sur les gestionnaires, d’apprécier la qualité de leur gestion et de prendre des décisions appropriées pour la bonne gouvernance de la société. La présente vérification entre dans ce cadre, elle a examiné la gestion de N-Sukala-SA sur la période allant de 2016 au 30 septembre 2019.

Absence d’autorisation préalable du CA pour la conclusion des conventions réglementées

Selon le rapport, les travaux de vérification ont permis de mettre en exergue, des faiblesses et dysfonctionnements relevant du contrôle interne ainsi que des irrégularités financières.

Les dysfonctionnements du contrôle interne ou irrégularités administratives comprennent, entre autres, le non-respect des règles de tenue de la caisse de N-Sukala-SA par le chef comptable, l’absence d’ouverture d’un compte spécial devant recevoir les fonds des prêts, le non-respect de la réglementation du travail au Mali, le non-respect de l’organigramme, l’absence d’autorisation préalable du conseil d’administration pour la conclusion des conventions réglementées, entre autres. Afin de corriger ces dysfonctionnements, la mission de vérification a formulé des recommandations adressées aux responsables de N-Sukala-SA.

Toutefois, le Bureau du Vérificateur général se réserve le droit de suivre la mise en œuvre de ces recommandations. S’agissant des irrégularités financières, elles découlent, d’une part des manquements aux engagements contractuels notamment le non-paiement des frais de gestion et de la commission d’engagement dus à l’emprunteur, l’Etat malien, des paiements d’intérêts indus lors du remboursement des emprunts et d’autre part de la constitution de provisions irrégulières, de la comptabilisation irrégulière des charges d’amortissement dans les comptes et des irrégularités dans l’exécution des commandes.

Face à ces nombreuses insuffisances de gestion, la mission a formulé des recommandations qui constituent de véritables outils d’aide à la décision pour le conseil d’administration de N-Sukala-SA. Ces recommandations permettent de mettre en place de nouvelles stratégies afin d’avoir plus de visibilité sur l’orientation stratégique de la société.

La participation de l’Etat dans le capital social de N-Sukala-SA à hauteur de 40 % et celle de Sino-Light Corporation, une société de droit chinois, à hauteur de 60 % marquent une réelle volonté politique du gouvernement du Mali dans le renforcement du partenariat public-privé, en matière de production de sucre.

Une forte implication du département de tutelle et des administrateurs représentant l’Etat dans la gouvernance de cette unité industrielle constitue une garantie de bonne gestion et de performance.

        Synthèse de Boubacar Païtao

 

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