US-RDA, UDPM, ADEMA – sous le règne de la partitocratie : «Les villas de la démocratie sont plus luxueuses que les villas de la sécheresse»

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Le régime de la Ière République, issu de la Constitution du 22 septembre 1960, consistait en une partitocratie de fait en ce qu’il a conféré, loin du texte constitutionnel, le monopole de l’action partisane à l’Union soudanaise RDA. La Constitution qui fonde la IIème République, soumise à référendum le 2 juin et promulguée le 1er juillet 1974, engendre un régime de partitocratie de droit avec la légitimation de l’UDPM. Parti dominant sous les deux premières législatures de la IIIème République, l’Adema a hérité de l’ex-UDPM les méthodes de gestion des affaires publiques. Même sous ATT, au temps du consensus politique et de l’unanimisme parlementaire, les mêmes pratiques continuent qui assurent la prospérité des responsables dirigeants appelés aux affaires. Aujourd’hui, à l’heure du multipartisme, plus que jamais les villas de la démocratie sont plus luxueuses que les villas de la sécheresse.

L’analyse juridique qualifierait les trois régimes constitutionnels que le Mali a successivement connus de parlementaire en 1960, présidentiel en 1974 et mixte en 1992. Le rôle fondamental joué sous la l ère et la 2ème République par le parti unique autoriserait cependant à évoquer la partitocratie pour caractériser les deux premiers régimes.

D’un usage strictement limité au domaine politique, le terme de «partitocratie» désigne le régime politique qui accorde, dans l’interaction institutionnelle, au parti unique la primauté sur les organes classiques de l’Etat, notamment le Parlement et le Gouvernement. Selon que la prééminence du parti procède des dispositions constitutionnelles ou de la pratique politique, la partitocratie est qualifiée de droit ou de fait. Au cours de son histoire, la République du Mali a connu les deux formes de partitocratie qui ont engendré ou reflété des phénomènes socio‑politiques dont certains ont survécu à la disparition de ce mode de gouvernance.

La Ière République et la partitocratie de fait :

Le régime de la Ière République, issu de la Constitution du 22 septembre 1960, consistait en une partitocratie de fait en ce qu’il a conféré, loin du texte constitutionnel, le monopole de l’action partisane à l’Union Soudanaise RDA. En effet, l’acte fondateur de la République du Mali dispose en son article 3 : «Les partis et groupements politiques concourent normalement à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement dans le respect des principes démocratiques, des intérêts, des lois et règlements de l’Etat».

Il suit de ces dispositions constitutionnelles que la Ière République avait de droit adopté le multipartisme intégral et reconnu aux partis politiques un rôle de participation aux affaires publiques dans le respect de la souveraineté de l’Etat.

La Constitution du Mali indépendant ne réserve donc à aucune formation politique considérée un rôle particulier. Les missions qu’elle assigne aux partis et groupements politiques ont été dans les faits assumées exclusivement par le parti de l’indépendance qui, à l’époque, a fourni le personnel dirigeant de l’Etat et s’est arrogé tous les leviers du pays.

La pratique politique a donc marqué la négation du multipartisme et le contrôle de l’appareil d’Etat par le parti unique de fait. Les institutions politiques et administratives ne fonctionnaient que sous le prisme oblitérant de la ligne directrice de l’US-RDA. Toute velléité d’expression contraire était regardée comme dirigée contre la Révolution ou attentatoire à l’unité nationale.

La gestion des affaires publiques était par surcroît caractérisée par la domination des barons du parti et l’ostracisme qui frappait leurs adversaires. Ces réalités recevront au surplus une consécration constitutionnelle en 1974.

La 2ème République  et la partitocratie  de droit :

La Constitution qui fonde la 2ème République, soumise à référendum le 02 juin et promulguée le 1er juillet 1974, engendre un régime de partitocratie de droit. A la suite de l’article 1 qui place le parti en tête de la liste des Institutions de la République, l’article 5 de la Constitution de 1974 prescrit sans équivoque : «Le parti est unique. Il est l’expression de l’unité nationale, l’autorité suprême du pays. Il définit la politique de l’Etat et concourt à l’expression du suffrage universel, conformément aux dispositions réglementaires».

Ces dispositions constitutionnelles établissent une suprématie tant organique que fonctionnelle du parti unique, dénommée par ses Statuts et Règlement intérieur «Union Démocratique du Peuple Malien» (UDPM).

En qualité d’autorité suprême du pays, le parti n’a pas d’égal sur l’échiquier politique. Les organes classiques de l’Etat, assumant les fonctions législative et exécutive (Assemblée Nationale, Président de la République, Gouvernement), sont l’émanation du parti, auquel ils sont de surcroît subordonnés.

En effet, tous les mandats électifs sont détenus par les membres du parti unique qui (seul) «concourt à l’expression du suffrage universel» et donc pourvoit aux sièges de députés.

En outre, la Direction Nationale du parti désigne le candidat à la présidence de la République (article 22) et de l’Assemblée Nationale (article 45). Le pouvoir exécutif appartient au Président de la République, Chef de l’Etat, Chef suprême des Armées, Chef de l’Administration, qui est chargé de conduire la politique de l’Etat.

En clair, le parti fixe les grandes lignes de la politique de la nation, converties en lois par l’Assemblée Nationale, elles‑mêmes mises en ceuvre par le Président de la République àtravers le Gouvernement qu’il nomme.

Ce dispositif juridico‑politique, plutôt inspiré de l’expérience soviéto‑socialiste, a secrété des pratiques socio‑politiques insusceptibles de se rattacher à notre culture, qui interdit l’exclusion, attribue la palme aux «bosseurs». Ces pratiques ont eu pour effet d’éloigner les leaders politiques des masses populaires dont les préoccupations sont reléguées au second rang. Doit­-on alors s’étonner du niveau particulièrement bas du taux de participation aux différents scrutins, de l’érection de l’abstentionnisme électoral en tradition politique ?

Les phénomènes socio‑politiques à effets néfastes

De cette prééminence du parti sont nées alors ces pratiques antidémocratiques, sans cesse exacerbées, qui résistent à l’épreuve du multipartisme intégral. On peut évoquer notamment:

‑ L’érection des militants en écran entre le Chef et le peuple (le parti unique n’était pas en réalité, contrairement aux proclamations officielles, «le parti du peuple tout entier» ; seule la minorité militante avait accès au Prince) ;

‑ La subordination de l’Etat au Parti et donc de l’Administration aux Dignitaires du régime ;

‑ La disparition de l’esprit d’initiative et du sens de responsabilité des agents de l’administration ;

‑ La représentation du parti dans toutes les sphères de la vie publique conception, exécution, suivi, contrôle, production, commercialisation, etc. ;

‑ L’inversion de l’ordre des valeurs entre les cadres bardés de titres académiques de premier ordre et les agents de niveau inférieur, militants actifs dans les instances et organes du parti, et crédités notamment de «courage politique» ;

‑ La politisation à outrance des emplois administratifs supérieurs, bien au‑delà de ceux légalement réservés à la discrétion du Gouvernement ;

‑ La redéfinition des critères de la moralité, essentiellement rattachés au militantisme ;

‑ Le développement des réseaux de clientèle ou de patronage ;

‑ La survenance de la fracture sociale : un fossé sépare matériellement et psychologiquement les Maliens des Maliens et demi.

Ces pratiques ont la vie dure. Nonobstant les dispositions pertinentes de la Constitution du 25 février 1992 qui met sur les fonds baptismaux la 3ème République, on note avec amertume et désenchantement des survivances de la partitocratie.

Certes, le texte constitutionnel l’a bannie à jamais en énonçant que les dispositions relatives au multipartisme ne peuvent faire l’objet de révision ; elles sont en d’autres termes intangibles au même titre que celles portant sur la forme républicaine de l’Etat. Mais nombreux sont sur le paysage politique et administratif malien les phénomènes socio‑politiques qui se rattachent à la vision linéaire de la gestion publique.

L’ADEMA‑PASJ, parti dominant sous les deux premières législatures de la 3ème République, a réalisé très tôt les avantages attachés à son statut (un parti dominant fonctionne suivant les mêmes modalités pratiques qu’un parti unique). Elle a hérité de l’ex‑UDPM aussi bien des bras et cerveaux (convertis et notables) que les méthodes de gestion des affaires publiques.

Les forces politiques qui comptent sur la scène nationale (RPM, URD, Parena, CNID, Miria), dérivées ou non de l’exparti majoritaire, s’accommodent avec celui‑ci, à l’ère de l’unanimisme politique, de ces pratiques qui assurent la prospérité de leurs responsables dirigeants appelés aux affaires. Les états majors de partis résonnent comme des bureaux de placement politique et administratif de leurs membres.

Ces phénomènes tenaces, qui ne sauraient perdurer sans risque pour le processus démocratique, comprennent notamment :

– Le réflexe unanimitaire de ceux qui participent au pouvoir de décision ;

– L’allergie des formations politiques les plus significatives au statut d’opposant, quand bien même elles y seraient poussées par les circonstances ;

‑ L’hétérogénéité de la Majorité dont se réclament des partis et groupements politiques divergents (ARD‑Espoir 2002) ;

‑ La souscription au culte de la personnalité, consistant à exalter les vertus du Prince et à taire ses vices, pour tirer le meilleur parti de la confiance du chef ;

‑ L’ostracisme qui frappe les cadres et militants des partis d’opposition ou non engagés, quoique compétents, intègres, dévoués et enclins à honorer le service de l’Etat ;

‑ La propension très nette à l’exercice de représailles et à la prise de mesures de rétorsion contre ceux qui expriment une pensée différente de celle des tenants du pouvoir ;

‑ Le recours pour des cadres oubliés ou tombés en disgrâce à des méthodes peu orthodoxes de dénonciation des dérives et tares du pouvoir ;

‑ L’utilisation à des fins personnelles ou politiques de biens et fonds publics ;

‑ L’immunité juridictionnelle de fait des personnalités politiques ;

‑ Le développement du culte de la récompense du mérite politique, réduisant à néant les chances de promotion des cadres non colorés ;

‑ La reconnaissance du droit d’enrichissement aux seuls politiciens du sérail et à leurs complices opérateurs économiques, qui s’attribuent en exclusivité le brevet de l’intelligence.

Les phénomènes ci‑dessus cités à titre indicatif et non exhaustif portent les germes de la dénaturation même du régime politique de la 3è République que le Constituant a voulu mi­présidentiel, mi‑parlementaire, par référence à la Constitution de la 5ème République en France.

Il est impératif que les composantes des Majorités présidentielle et parlementaire et de l’opposition soient clairement identifiées pour qu’elles assument leur statut respectif et jouent le rôle qui est le leur dans les rapports entre les organes constitutionnels.

Curieusement donc, la période post‑révolutionnaire s’accommode de pratiques qui ont servi de fondements à l’action des «patriotes et démocrates sincères», dirigée en clandestinité ou ouvertement contre la partitocratie. Celle‑ci s’est irréversiblement éteinte mais ses débris se rallument sous le régime démocratique. A quoi sert donc que le personnel politique de direction de l’Etat soit régulièrement renouvelé alors que les méthodes et pratiques demeurent ?

Les Maliens constatent tacitement tous ces phénomènes et observent silencieusement que «les villas de la Démocratie» sont plus coquettes et de plus haut standing que «les villas de la Sécheresse».

Les masses populaires opposent, comme par le passé, à ces phénomènes leur apathie altière, qui n’est ni ignorance, ni indifférence. Mais il faut craindre qu’à la longue, les vices de la République ne s’étendent au pays pour entacher les rapports sociaux à grande échelle, notamment dans les familles, les entreprises et les congrégations religieuses, où sont prônées la morale et la raison.

Il y a antinomie entre démocratie et partitocratie. Nous devrions donc nous employer à la disparition de tous les symptômes de la artitocratie.

Mama Djénépo,

Administrateur civil, enseignant vacataire à la FSJE

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