Ce n’est désormais plus qu’un secret de polichinelle : l’Urd s’enfonce, petit à petit mais inexorablement, dans une crise dont les protagonistes sont, paradoxalement, ses deux principaux piliers, à savoir : Soumaïla Cissé, mentor du parti, président de la Commission de l’Uemoa et Oumar Ibrahima Touré, 2ème vice-président du parti et surtout ministre de la Santé. D’un côté comme de l’autre, les couteaux sont déjà aiguisés. Que se cache-t-il alors derrière ces larges sourires éclatants ?
Il ne s’agit point d’une tragédie grecque. Ni du duel qui opposât, en 1837, le russe Aleksandr Sergueïevitch Pouchkine à son compatriote Dantès au cours duquel le premier fut tué. Là, il s’agit bien d’une tragédie malienne où le vainqueur et le vaincu auront pratiquement le même sort : la descente aux enfers du parti dont ils sont tous membres fondateurs.
Car, au moment où les très nombreux curieux viendront observer pour aller rendre compte, il se trouvera que le parti – dont l’un et l’autre se disputent le leadership – a déjà entamé sa traversée du désert, sa longue agonie. Comme on le voit donc : ni Soumaïla Cissé ni Oumar Touré n’ont aucun intérêt dans un duel fratricide.
Dont le grand perdant n’est autre que la masse des militants et sympathisants du parti de la poignée de main. Ceux-ci ne sont ni ministres, ni présidents d’institution sous-régionale. Raison pour laquelle, la majorité des militants de l’Urd – même s’ils continuent de se perdre en conjectures – ne perdent pourtant pas espoir dans une éventuelle et véritable réconciliation entre Soumaïla Cissé et Oumar Touré.
Surtout qu’au cours de la conférence nationale de l’Urd des 24 et 25 avril 2010, les délégués sont restés sur leur faim concernant ce sujet quasi tabou. Alors qu’ils avaient tous espéré que l’abcès allait être crevé au cours de ces assises nationales qui avaient regroupé, deux jours durant, les membres de la direction nationale du parti et les responsables au niveau des sections de l’intérieur et de l’extérieur du Mali.
Certains délégués, singulièrement ceux des régions Nord, à l’instar de Harber Sabane et Beïdy Chaibani Baby, respectivement secrétaire général de la section Urd de Tombouctou et secrétaire général adjoint de la section de Goundam, avaient pris leur courage à deux mains pour étaler sur la table la sempiternelle question de l’unité et de la cohésion au sein du parti de la poignée de main. Le premier s’était inquiété, du haut de la tribune de la Conférence et de sa belle voix d’ancien chef d’escale d’Air Mali, des "supputations par rapport à l’unité et la cohésion au sein du parti". Quant au second, il a suggéré que le "Bureau exécutif national de l’Urd fasse asseoir les deux camarades afin qu’ils se parlent, se donnent la main".
La vérité est que persiste une véritable querelle de leadership, au cœur de laquelle s’affrontent, certes sans tambour ni trompette, l’enfant de Niafunké, Soumaïla Cissé, mentor de l’Urd, président de la Commission de l’Uemoa, et l’enfant terrible de Goundam, Oumar Ibrahima Touré, 2ème vice-président du parti mais surtout tout puissant ministre de la Santé qui, pour paraphraser un de ses proches, gère quand même 13% du budget national.
Le spectre de la division continue de planer
Après l’interpellation des délégués du Nord, il n’y a eu personne pour répondre à leurs soucis voire tendre une oreille attentive à leurs préoccupations. Qui, au demeurant, étaient ancrées dans l’esprit de tous et étaient au cœur de tous les débats dans les coulisses dans ce centre de conférence des grands jours, paré aux couleurs de l’Urd. Comme on le voit, même si tout le monde en parlait, personne ne voulait l’évoquer en public.
Sauf peut-être Mamadou Diawara, le secrétaire général adjoint du parti, qui a souhaité que Soumaïla Cissé "ne soit mêlé à aucune mésentente avec Oumar. Ce parti a été créé autour de Soumaïla Cissé. Tous les détracteurs seront traqués. On n’a pas besoin de perturbateurs. Que les uns et les autres se ressaisissent". Et, plus récemment, le président du parti, Younoussi Touré, avait laissé entendre, le 5 juin 2010, que c’est Soumaïla Cissé "le Fondateur de l’Urd ". Tout le monde avait, alors, compris à qui était destiné ce message. Dans ces conditions, quelles solutions apporter à un mal qu’on peut, certes, cacher au grand public mais pas à la grande masse des premiers responsables du parti ?
Comment inviter des gens à des funérailles et faire en sorte que personne ne voit le cadavre, a fortiori daigner s’incliner et prier sur lui. L’Urd est, certes, vivante mais elle peine toujours à retrouver son unité et sa cohésion.
Voilà la plaie qui ronge, tel un cancer, le parti de la poignée de main : on rit toute la journée ensemble alors que chacun a, par devers soi, un couteau bien aiguisé et prêt à être dégainé, dès que l’occasion se présentera, et à être planté dans le dos de son …camarade.
Quel drôle de comportement au sein de cette formation politique dont le logo est, quand même, la main dans la main. Si Oumar Ibrahima Touré, d’un calme olympien, se réfugie dans un silence de cimetière, pourquoi ne pas le secouer et l’interroger sur ce qu’il reproche réellement à Soumaïla Cissé et à l’entourage de celui-ci.
De son côté, si Soumaïla Cissé, joue au patriarche indéboulonnable, pourquoi ne pas le sortir de sa tour d’ivoire et lui demander de regarder tout autour de lui et de s’interroger sur sa part d’erreurs dans la gestion de "son" parti. Parce que c’est vrai, la case Urd est en train de brûler, pendant que les pompiers, censés éteindre ce feu de la division, se prélassent, tels des pachas, sur des dunes de sable blanc.
Comme si le feu qui couve n’est que mirage. Quel drôle d’atmosphère dans un parti qui ambitionne, pourtant, de faire élire son candidat à Koulouba, en 2012 ! Divisé qu’il est entre partisans de Soumaïla Cissé et ceux de Oumar Touré.
Pour le moment, c’est le fossé qui sépare ces deux poids lourds qui va grandissant. Et cela au grand dam des militants lambda. Même si, l’un comme l’autre protagoniste essaie maintenant de sauver les meubles. En affichant un large sourire, alors que la réalité est tout autre. Une stratégie qui sera, très certainement, entretenue encore. Avant la rupture du pont en liane qui maintient – et pour combien de temps ? – les relations entre ces deux hommes. Le choc entre les deux baobabs de l’Urd semble désormais inévitable. Reste à savoir qui, le premier, va dégainer et trancher la tête de l’autre, pour s’approprier le parti de la poignée de main.
Mamadou FOFANA
Chroniqueur politique