Quel est le comble de la puissance ? C’est d’arriver à s’en étonner soi-même devant les autres. Et c’est ce qui est arrivé le week-end dernier à l’IS lors de sa réunion niveau Afrique, tenu à Bamako et accueilli par le Rpm associé à l’Adema – les deux partis qui forment l’Is au niveau malien. Lors de cette réunion du comité Afrique, les « camarades » ont fait étalage de leur super puissance et de leur domination sur le monde. A commencer par le président dudit comité Emmanuel Goulu qui a rappelé que Is c’est plus de 150 partis au monde et plus de 100 partis au pouvoir dans le monde- le dernier étant le parti progressiste du Nigeria, parti que le président Obama a aidé à gagner les élections en appuyant Boko Haram. Les orateurs reviendront sur le dressage des contours de cette superpuissance lors de la partie solennelle de lancement.
Mais ce que les camarades n’ont pas dit est que ce sont les idées de gauche qui dominent absolument sur terre. Si bien que les gens ne savent même plus qu’il s’agit des idées d’un clan. Combien savent que le 8 mars est une fête de gauche ? Le genre, la lutte contre la peine de mort, la défense des homosexuelles, le changement climatique, la défense des droits des minorités (d’où le soutien au Mnla contre le Mali), la lutte contre l’excision, les Ong, la presse (80 à 90% à gauche selon les pays), la Fondation Frederick Ebert, le Corps de la paix…la liste est longue des idées, des structures et des terrains de combat ou la gauche est derrière. Donc Is. Même l’Onu est tenue par la gauche- cela à commencer avec l’Unesco du temps de Amadou Matar M’bow.
L’Is est donc comme dieu ou l’électricité : on ne les voit pas mais ils sont derrière tout. Tous ces objets dont les hommes se servent à longueur de journée sans aucune pensée à l’électricité – sauf quand Edm déconne. Nous touchons là justement le problème : il nous arrive de nous rappeler de la société d’électricité en cas de coupure de courant ou elle devient Energie du Mal et chaque mois nous sommes obligés devant ses guichets. Mais l’Is n’a pas lui ce privilège d’être reconnu des hommes et il veut justement mettre fin à cette ‘‘absence’’ malgré son omniprésence.
Le coq marchand ambulant de couteau…
La question est justement ici : les dirigeant d’Is ont-ils bien réfléchi avant de prendre cette décision de se rendre visible et de mettre par voie de conséquence des regroupements chargés de faire du lobbying à ciel ouvert et sur le terrain où les hommes, les femmes et les entités de sous-main d’Is font déjà le travail ? Si les dieux descendaient de derrière les rideaux des cieux pour se mélanger aux hommes, cela ne comportera-t-il pas des inconvénients pour eux ? Certes ils vont gagner la visibilité, les honneurs et les gains qui vont avec, mais les roses sont toujours placées dans un nid d’épines. Ces questions-là, l’Is ne les envisage pas : il est poussé par on ne sait quelle puissance devant laquelle il ne peut résister. La même force qui a emmené un coq à se faire marchand de couteau ambulant.
L’Is va au-devant de beaucoup de problèmes. Parmi lesquels il ne faut pas minimiser le risque d’étalage de la division sur la place publique. ‘’Le Matin’’ a profité des deux jours de travaux de la réunion pour discuter et échanger avec des participants qui ont toutefois requis l’anonymat. Aucun nom ne sera donc jamais cité mais les propos et les états d’âme seront bien étalés. Et ce sont ses échanges croisés avec d’autres données qui ont permis d’identifier ces risques d’étalage de la division sur la place publique et surtout de leur donner un visage. Quelques aspects sont donnés ici à titre indicatif sur la problématique.
Avant toute chose, c’est quoi être de gauche ? Quelles sont les valeurs de gauche ? Et qui est de gauche ? Les idéologies ne sont-elles pas mortes ? Le président Goulou lui-même a avoué qu’il avait rencontré beaucoup de « camarades » qui lui avaient dit que les idéologies étaient mortes. Alors si parmi les gauchistes eux-mêmes certains pensent que le socialisme n’existe plus où va-t-on ? Et même parmi ceux qui croient toujours à l’existence de l’idéologie, comment se définit-on ? Socialiste ou social-démocrate ? François Hollande a surpris et créé l’émoi en disant l’année dernière : « tout le monde sait que je suis social-démocrate». Non, c’est faux, tous ne savaient pas ! Les Tony Blaire jubilent aujourd’hui qui étaient incendiés hier par les Hollande qui les traitaient de traitres socio-démocrates. Idem pour les Obama et les travaillistes australiens. On ne parle même pas des pays scandinaves qui avaient opté pour la social-démocratie depuis toujours.
Donc, entre socio-démocrates d’hier et d’aujourd’hui – la rancœur des injures passées est là- d’un côté et de l’autre, ceux convertis à la social-démocratie et aussi la gauche dite de la gauche, il y a une mer de conflits à boire. Sans oublier les communistes que les socialistes n’arrivent pas à tuer complètement. Nous avons aussi les écologistes et les partis comme la Sqdi au Mali qui ne considèrent pas les autres comme des gauchistes dignes d’être considérés comme tels. Et la gauche libertaire et aussi celle anarchique ont encore beaucoup de braises sous la cendre. Un Laurent Riquier qui anime des émissions télé bien suivies et qui vient de s’embrasser (sur la bouche comme entre un homme et une femme) sur les plateaux de télé est puissant. Des gens comme lui, on en ramasse à la pelle dans tous les pays de l’ouest. Ils diront « merde » à Luis Ayala (Secrétaire général de l’Is).
Bref, si les ténors et les soldats de l’Is descendent sur le terrain pour se mélanger aux parlementaires, aux grandes institutions, des centres de décision et de tout cela, alors le bordel n’est pas loin.
De l’origine de l’insécurité en bande sahélo-saharienne
Le thème de la réunion évoquée tournait autour de l’insécurité dans la bande sahélo-saharienne, le terrorisme et le développement. Pourquoi le développement ? Parce que certains camarades restent bloqués sur l’analyste marxiste pur et dure selon laquelle c’est la pauvreté et les injustices sociales qui provoquent les violences. C’est sur ce postulat que les Nations unies et l’occident ont soutenu IBK pour le faire gagner : que par frustration – car rien n’a été fait chez eux – que les Touareg ont pris les armes. Le gouvernement du Mali reste sur cette longueur d’onde. Or un autre courant, qui commence à avoir le dessus semble-t-il, estime que c’est une nouvelle forme d’islam venue de l’orient qui est à l’origine de l’insécurité en zone sahélo-saharienne. La situation actuelle du Mali –notamment le blocage sur l’Accord à parapher- est tributaire de cette évolution idéologique au sein de l’Is. Pareil pour l’Irak-Syrie plus loin.
Jusque-là, la gauche soutenait les « Sunnites ». Mais cela devient lourd et difficile avec les têtes coupées par Daesh et les dépassements de limites par Boko Haram. Certains commencent à dire qu’il faut cesser de soutenir les salafistes.
Un dernier point concerne le nerf de la guerre : l’argent. La gauche est basée sur la détestation de l’argent, de ceux qui ont l’argent et les élites. Donc depuis 30-35 ans qu’elle est toute puissante sur terre, elle a fait adopter des politiques qui ont eu pour résultats d’appauvrir l’occident et de plonger les pays du Tiers monde encore dans la pauvreté. Du coup, l’argent se fait rare et le budget de l’Is est aujourd’hui amputé de près de 60%. L’argent se raréfie – les bailleurs sont tous lourdement endettés et ils sont en guerre un peu partout- et l’élection du Secrétaire général actuel de l’Is, Luis Ayala, en pâtit très gravement. Dans les bureaux du Siège à Londres, il est quasiment seul à faire le boulot. En plus, une bonne partie des partis membres ont contesté son élection et sont partis. Ils ne paient plus leurs cotisations. Les partis Is au pouvoir ne cotisent pas et ne viennent pas aux réunions. (Saleh Keb zabo, Tchad : « les plus pauvres sont à jour, les partis au pouvoir refusent de cotiser »).
Même à Bamako ici, ce sont les partis en opposition qui sont venus en masse. Le Nigeria n’est pas venu. Et les autres partis de gauche du Mali n’ont absolument pas été conviés pour venir assister à la réunion niveau Afrique. Des ressentiments ne sont sans doute pas à exclure.
Donc, dans ces conditions, mieux vaut rester à l’ombre et continuer à faire croire que tout va très bien dans le meilleur des mondes. Le « blocou » (bluff), ça prend toujours. Alors, si l’Is s’obstine à sortir de l’ombre (cela a un coût financier) pour faire du lobbying à tout vent, il va étaler ses divisions et ses faiblesses à tous. Il faut savoir que 90% ou plus des partis politiques au Mali sont à gauche. Or seuls le Rpm et l’Adema sont admis à l’Is. Les autres vont-ils accepter que la Ruche et le Tisserand sortent au grand jour, au Mali et ailleurs, pour s’arroger le monopole exclusif de la gauche ? Et à défendre les idées qu’ils ne partagent pas ?
Amadou Tall