Si au Mali, les attentions se focalisent sur l’arrivée d’Ebola, l’achat de l’avion présidentiel et les contrats d’armements, au Burkina Faso, c’est la chute spectaculaire du président Blaise Compaoré qui est sur toutes les lèvres. Et pourtant, il avait été bien mis en garde par le président américain, Barack Obama, lors du Sommet Etats-Unis/Afrique tenu les 4, 5, et 6 août 2014 à Washington. En effet, si le Forum des affaires, l’AGOA, la coopération, Ebola…avaient été abordés, c’est la question de la bonne gouvernance qui avait le plus retenu l’attention, notamment avec la mise en garde du président Obama aux dirigeants africains à ne pas réviser la Constitution. Ce qui, du coup, a fait grincer des dents certains présidents qui «se sentent morveux», notamment Blaise Compaoré.
«Lorsque des dirigeants s’éternisent au pouvoir, ils empêchent du sang nouveau de s’exprimer ; ils empêchent le renouvellement et le risque, c’est qu’à la longue, les gens œuvrent plus pour durer que pour le bien de leur peuple». Ces propos du président américain vibrent encore dans les têtes de certains présidents africains ayant ou pas pris part au Sommet Afrique/Etats-Unis. Comme la réponse du berger à la bergère, le chef de l’Etat burkinabè, dans une interview, lançait : «Barack Obama nous parle de l’histoire de l’Amérique. Nous, nous avons notre histoire du Burkina. L’histoire de chaque pays africain, c’est différent. Il n’y a pas d’institutions fortes, s’il n’y a pas, bien sûr, d’hommes forts. L’Amérique a dû traverser des épreuves. Je vois la ségrégation raciale, je vois l’esclavage… Pour la suppression de ces pratiques, il a fallu des hommes forts. Il n’y a pas, aussi, d’institutions fortes, s’il n’y a pas une construction dans la durée. Je crois qu’on peut écouter, çà et là, les expériences d’Amérique, d’Europe, d’Afrique ou d’Asie… Mais rien ne vaut l’expérience de chaque peuple. Il n’y a pas d’expérience unique à partager pour le monde. Parce qu’il y a des pays où bien sûr ces transitions qu’on souhaite sont allées très vite – tous les cinq ans, tous les dix ans – mais il y a certainement plus de pagaille. Donc, je pense que ce dont les peuples ont besoin aussi, c’est de la stabilité». Cette seule réponse du président burkinabè prouvait, s’il en était besoin, que les présidents africains qui veulent s’éterniser au pouvoir dans leurs pays respectifs ne gobent pas que Barack Obama jette des pierres dans leurs jardins.
En tout cas, au Burkina Faso, le président Blaise Compaoré en a appris à ses dépens. Pour rappel, il est arrivé au pouvoir en 1987 par un putsch et il a ensuite effectué deux septennats (1991 et 1998) à la tête du pays, avant de se faire élire de nouveau en 2005 suite à un amendement modifiant la durée du mandat présidentiel ramenée à 5 ans. Réélu en 2010, il ne peut briguer un troisième mandat aux termes de la Constitution. Pour lui permettre de se représenter au scrutin présidentiel de 2015, son parti, le Conseil national du Congrès pour la démocratie et le progrès (Cdp), a proposé d’organiser en avril un référendum relatif à la modification de l’article 37 de la Constitution qui limite à deux quinquennats le nombre de mandats présidentiels. L’opposition crie alors au «coup d’Etat constitutionnel» et demande au chef de l’Etat de ne pas participer à la prochaine élection. Soutenue par une partie de la société civile, l’opposition a organisé une grande manifestation dans la capitale le 31 mai et a continué de se mobiliser contre le référendum. Le Cdp, parti de Blaise Compaoré, a organisé pour sa part une contre-manifestation en guise de démonstration de force des pro-modifications (partisans de la modification) de la Constitution. Finalement, c’est la rue qui a fini par chasser Blaise du pouvoir.
Un avertissement pour certains présidents
Pour mémoire d’homme, au cours de la dernière décennie plusieurs chefs d’Etat africains ont modifié la Constitution pour rester au pouvoir au-delà de la durée inscrite dans la Loi fondamentale de leur pays. D’autres dont les mandats arrivent à terme au cours des prochaines années sont tentés de faire de même. Ils s’appellent Boni Yayi, Pierre Nkurunziza, Denis Sassou Nguesso, Joseph Kabila, Paul Kagamé et Faure Gnassingbé. Présidents respectivement du Bénin, du Burundi, du Congo-Brazzaville, de la RDC, du Rwanda et du Togo. Ils ont en commun d’être en fin de leur second mandat. On leur prête l’intention de rempiler, car ils ne peuvent briguer un nouveau mandat sans amender leurs Constitutions. Leur entourage les pousse à aller de l’avant, alors que la société civile est dans la rue pour les en empêcher.
Commençons d’abord par le Bénin. La Constitution béninoise promulguée le 11 décembre 1990 fixe le mandat du président de la République à 5 ans, renouvelable une fois. Le mandat du président Boni Yayi, élu une première fois en 2006 puis réélu en 2011, arrive à échéance en 2016. En 2013, l’Exécutif béninois a soumis au parlement un projet de révision constitutionnelle qui ne devrait toucher ni la limitation en nombre des mandats ni la limite d’âge des candidats à l’élection du président. La Commission des lois du Parlement béninois a rejeté le projet de réforme cher au président Boni Yayi. L’opposition béninoise est descendue dans la rue pour mettre fin à ces velléités de réforme constitutionnelle qu’elle estime être une manœuvre de la part du chef de l’Etat pour se positionner pour la prochaine élection présidentielle.
En ce qui concerne le Burundi, selon la Constitution, le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Le mandat du président en exercice, le pasteur Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis dix ans, prend fin en 2015. En mars dernier, un projet de révision de l’article 302 de la Constitution qui empêche le président de briguer un troisième mandat a été rejeté par l’Assemblée nationale. Le Parlement a en outre rejeté un projet de réforme constitutionnelle qui menaçait de rompre le fragile partage du pouvoir entre hutu et tutsi, consacré par les accords de paix d’Arusha qui avaient mis fin à la guerre civile. Selon les derniers développements, le président Nkurunziza pourrait finalement briguer un nouveau mandat présidentiel en 2015, car, comme un expert indépendant l’a signalé, en 2005, il avait été élu par l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès et pas au suffrage universel direct comme l’exige la Constitution. Donc, techniquement, c’est en 2010 que le président Nkurunziza a entamé son premier mandat résultant d’une élection au suffrage universel direct. Rien ne l’empêche donc de solliciter un nouveau mandat à l’expiration de son actuel mandat en août 2015.
Au Congo-Brazzaville, trois articles de la Constitution en vigueur depuis 2002 empêchent le président Denis Sassou Nguesso, réélu en 2009, de se porter candidat à sa propre succession à la présidentielle de 2016. L’article 57 concerne la limitation du mandat présidentiel de 7 ans, renouvelable une fois. L’article 58 fixe à 70 ans la limitation d’âge pour les candidats à l’élection présidentielle. Le chef de l’Etat congolais aura 73 ans en 2016. Enfin, l’article 185 interdit de modifier les dispositions concernant la limitation d’âge et du nombre de mandats. Il faudra changer de régime pour faire sauter les trois verrous. Les signes annonciateurs d’un changement de grande envergure sont là. À Brazzaville, plusieurs voix se sont élevées en faveur d’une révision de la Constitution permettant au chef de l’Etat de rempiler.
En RDC, au pouvoir depuis l’assassinat de son père en 2001, le président Joseph Kabila s’est fait élire à la présidence de son pays en 2006 dans le cadre de la Constitution promulguée la même année. Il a été réélu en 2011. L’article 220 de la Constitution interdit de modifier la durée (quinquennat) et le nombre (deux mandats) des mandats présidentiels. Après avoir fait planer l’incertitude sur ses intentions pendant plusieurs mois, le président Kabila a fait déposer par son gouvernement un projet de révision constitutionnelle dont la nature des modifications voulues par le pouvoir n’a pas été précisée. L’opposition estime que le flou du projet cache la volonté du président de se maintenir au pouvoir après l’échéance de 2016. L’entourage du chef de l’Etat, dont le porte-parole, Lambert Mendé, a pour sa part qualifié les accusations de l’opposition de «procès d’intentions». Cela dit, la communauté internationale prend ces accusations très au sérieux. Lors de sa tournée en Afrique, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a exhorté le président Joseph Kabila de respecter la Constitution en quittant le pouvoir fin 2016, au terme de son second mandat.
Au Rwanda, selon la Constitution en vigueur depuis 2003, le président est élu pour un mandat de 7 ans, renouvelable une fois. Le président Paul Kagamé, élu pour la première fois en 2003, réélu en 2010, a atteint la limite constitutionnelle et ne peut se présenter à sa propre succession pour un troisième mandat en 2017, à moins de modifier la Constitution. Chaque fois que les journalistes lui ont demandé s’il envisageait de se présenter, il a laissé planer le doute en déclarant que le temps venu, les Rwandais feront leur choix. Pour les opposants au régime, cela signifie qu’il va se présenter pour un troisième mandat après avoir changé la Constitution par voie référendaire.
Enfin au Togo, en 2002, un amendement a abrogé l’article de la Constitution togolaise de 1992 limitant le nombre de mandats présidentiels pour permettre au chef de l’Etat de l’époque Gnassingbé Eyadéma de briguer un troisième mandat. Le président en exercice aujourd’hui, Faure Gnassingbé, dont le second mandat arrive à échéance en début 2015, pourrait théoriquement se porter candidat pour un troisième mandat. D’autant que l’Assemblée nationale togolaise vient de rejeter un projet de loi qui visait à réformer plusieurs aspects de la Constitution et à restaurer la limitation du nombre de mandats. L’opposition et la société civile réclament depuis des mois la limitation du nombre des mandats présidentiels.
Comme on le voit, les tripatouillages constitutionnels sont devenus en Afrique un mot de passe entre les présidents africains au pouvoir, parfois «mal élus», pour ne pas reprendre l’expression du célèbre artiste Tiken Jah Fakoly. Cela n’est pas du tout normal, et Tiken a raison, puisque de tels tripatouillages provoquent souvent des soulèvements populaires avec leurs corollaires de morts d’hommes, d’assassinats politiques, de réfugiés… En tout cas, le cas burkinabè en est une parfaite illustration.
Bruno E. LOMA