Transhumance et corruption électorale : L’utilitarisme à l’œuvre

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La corruption politique est au sens de la théorie des conventions, une sorte d’infestation du centre ou de la coordination par des mécanismes à la fois économiques et sociaux. Elle concerne le sommet de la hiérarchie qui confond souvent les ressources publiques avec des fonds personnels et en use pour acheter des consciences et des votes. Pour cause, la corruption dans la sphère politique se manifeste le plus souvent par deux signes visibles : la transhumance politique et la corruption électorale.

La première traduit les échelles de mobilité unilinéaire des hommes politiques au gré de leurs intérêts dans le champ public et la seconde fait son lit dans ce que l’on peut qualifier des « labours électoraux du terroir ». La mobilité politique, y compris interpartisane, favorise le développement de la corruption dont la rente est nécessaire pour s’attacher un électorat dans la construction de sa notabilité propre par l’homme politique.

Dans le terroir, l’homme politique, en quête de légitimité pour postuler au pouvoir local ou national par extrapolation, doit faire état de ses relations sociales et politiques, mais aussi et surtout d’une capacité financière et d’une force de nuisance et de débauchage destinée à démobiliser le camp adverse. Sport national dans le Mali démocratique, la transhumance politique est le fait pour un homme politique de changer d’appartenance politique au gré d’intérêts souvent financiers et prestigieux.

Ainsi, au Mali, plusieurs députés ont eu à changer de parti après leur élection, afin de se rapprocher de la « marmite » du pouvoir.

Acheter ses adversaires ou insuffler de l’argent chez lui pour fragiliser son camp est une tactique basique utilisée par les pouvoirs en place dont les ressources semblent illimitées justement du fait de ce confusionnisme avec les fonds publics. Même les chefs d’entreprises qui n’ont pas d’obédience politique se sentent obligés de prendre part au jeu.

La petite corruption, généralisée et banalisée, affecte donc tous les citoyens à un moment ou à un autre de leurs rapports avec l’État ou ses services, mais aussi dans leurs rapports avec les administrations privées. Elle met en jeu les demandeurs de services publics avec les fonctionnaires situés au plus bas niveau de l’échelle bureaucratique.

«Pour ne pas que les feuilles s’envolent, il faut y déposer un caillou».

«Pour ne pas que les feuilles d’un dossier s’envolent, il faut y déposer un caillou», dit le proverbe. Les principes de la physique confirment bien cette métaphore qui du reste demeure vérifiée dans la vie pratique du citoyen malien, les cailloux étant censés logiquement avoir plus de poids qu’une feuille de papier et donc exercer sur cette dernière la pression nécessaire pour qu’elle puisse résister au déplacement d’une masse d’air relative, le vent.

Le recours à ce principe physique illustre en réalité la pratique d’une petite corruption devenue banalisée et qui est entrée quasiment dans les mœurs, celle des « cailloux sur dossiers » : elle consiste pour tout service que l’on demande, dans une administration publique surtout, mais aussi privée de plus en plus, à rétribuer d’avance le fonctionnaire ou celui qui reçoit le dossier afin de le stimuler à vite et à bien faire un travail pour lequel son employeur le rémunère déjà.

Le risque qu’encourt le requérant qui ne le fait pas est de voir son dossier purement et simplement « perdu », «envolé», ou dans le meilleur des cas voir son traitement «retardé», à ses dépens. Dans une administration publique, on considère les fonctionnaires comme étant inamovibles jusqu’à la retraite, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent plus perdre leur emploi. Certains travailleurs du secteur public pensent donc que leur salaire devient un devoir pour l’État et un droit pour eux, qu’ils aient travaillé ou pas.

Comme le contrôle n’existe pas ou ne s’applique que très peu pour diverses raisons, le salaire n’est plus une motivation suffisante pour le travailleur surtout qu’il est jugé insuffisant. Aussi, il ne reste que les bakchichs pour le motiver. Ceci ne signifie pas que toutes les administrations sont corrompues ou que tous les fonctionnaires ou autres dispensateurs de services publics recourent systématiquement à ces « cailloux » sur les dossiers ; mais il s’agit de comprendre que la pratique devenue banale s’est érigée en système dans nombre d’administrations publiques, ou même privées, et facilite la médiation avec les requérants, créant de facto des disparités entre ceux qui peuvent déposer les cailloux et ceux qui ne le peuvent pas, ceux qui savent qu’il faut le faire et ceux qui ignorent les circuits de dépôts.

Paul N’GUESSAN

 

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