« C’est une révision pour rien à l’exception de la volonté de créer d’un monarque, un “mansa”, un “faama” comme jadis au Mandé, comme jadis au pays de Ségou ». Ces mots sont du président du Parena, Tiébilé Dramé. Devant la presse, le samedi dernier, le leader du parti du bélier blanc n’aura fait aucun cadeau au président Ibrahim Boubacar Keïta et son gouvernement qui essayent de bricoler la Constitution de 1992. Un passage en force qui, selon M. Dramé, procède du mépris et de l’arrogance et qui heurte la conscience démocratique.
En outre, le Parena souligne que cette révision est initiée au moment où les 2/3 du territoire sont en proie à une insécurité rampante. Au moins 500 personnes sont mortes dans notre pays entre le 1er janvier et le 8 juin 2017. Dans ces conditions, «vouloir organiser un scrutin référendaire relève de la cécité et du manque de sagesse ». Quoi qu’il advienne, le Parena est convaincu que cette tentative ne règle aucune des équations relatives à la restauration de la stabilité, de la sécurité et de l’intégrité du territoire national. Pire, ce projet de loi codifie toutes les dérives autoritaires et autocratiques constatées ces dernières années.
Voici l’intégralité de sa déclaration.
En ce mois béni du Ramadan, mois de solidarité et de compassion, ayons une pensée pieuse pour les milliers de Maliens, pour nos frères africains et les ressortissants d’Asie et d’Europe morts de 2012 à nos jours,
Ayons une pensée pour les populations civiles qui paient encore un lourd tribut à la crise, une pensée pour nos FAMAS, leurs camarades africains et étrangers qui ont donné leur vie pour la liberté du Mali.
Une pensée pour les otages enlevés au Mali: Sophie de Gao, Soeur Gloria de Karangasso, Amadou Ndioum, agent de l’INPS enlevé dans la région de Mopti et la demi-douzaine de jeunes FAMAS enlevés à Nampala en 2016 et tombés dans l’oubli.
Notre pays traverse une des périodes les difficiles de sa longue histoire : chaque semaine le sang coule au Mali, chaque semaine de jeunes militaires maliens ou leurs compagnons des forces internationales tombent au nord et au centre du pays. Dans ces régions, les communautés qui vivaient en harmonie s’en prennent les unes aux autres. Jamais le Mali n’a été autant divisé. Jamais l’ethnie et la tribu n’ont été autant mises de l’avant comme elles le sont aujourd’hui au nord et au centre. Jamais la mauvaise gouvernance n’a fait autant de ravages. C’est l’existence même de l’État malien qui est menacée.
C’est dans un tel contexte que le président de la République a initié la révision de la constitution adoptée en janvier 1992 par le peuple souverain du Mali.
1- NON AU BRICOLAGE DE LA CONSTITUTION DE 1992
La constitution que le président, le gouvernement et la majorité des députés veulent réviser est le fruit d’un consensus républicain élaboré par toutes les forces vives du Mali pendant la conférence nationale souveraine organisée au lendemain de l’insurrection populaire victorieuse de mars 1991.
La constitution, c’est la loi fondamentale du pays, elle fixe les règles du jeu politique et institutionnel.
Si elle n’est ni le Saint Coran ni la Sainte Bible, elle ne doit pas, elle ne peut pas être révisée sans dialogue politique, sans concertation avec l’opposition et les forces vives du pays.
Le président et son gouvernement tentent en ce moment un passage en force qui procède du mépris et de l’arrogance et qui heurte la conscience démocratique.
Cette tentative de révision constitutionnelle divise le pays au moment où il a besoin d’être rassemblé pour faire face aux nombreux défis qui menacent l’existence de notre Nation.
En outre, cette révision est initiée au moment où les 2/3 du territoire sont en proie à une insécurité rampante. Au moins 500 personnes sont mortes dans notre pays entre le 1er janvier et le 8 juin 2017.
Plus de 500 écoles sont restées fermées au nord et au centre. Des dizaines milliers d’élèves sont restés à la maison à la merci des démons de la rue et des djihadistes. Des centaines d’enseignants craignant pour leur sécurité ont abandonné leurs classes et leurs élèves.
Au moins 70 sous-préfets ont été contraints de fuir leurs postes.
Dans ces conditions, vouloir organiser un scrutin référendaire relève de la cécité et du manque de sagesse.
Ensuite, cette tentative ne règle aucune des équations relatives à la restauration de la stabilité, de la sécurité et de l’intégrité du territoire national.
C’est une révision pour rien à l’exception de la volonté de créer d’un monarque, un “mansa”, un “faama” comme jadis au Mandé, comme jadis au pays de Ségou.
En effet, avec le renforcement inouï et sans précédent et la concentration de tous les pouvoirs dans les mains du président de la République, ce projet codifie la personnalisation du pouvoir, il codifie toutes les dérives autoritaires et autocratiques constatées ces dernières années.
En cela, le projet jure avec l’esprit et les idéaux de mars 1991.
Enfin, ce qui est en cours, n’est pas une révision, c’est un bricolage de la constitution de 1992. La dernière preuve de bricolage est apportée par l’Avis émis par la cour constitutionnelle le 6 juin.
Les neufs juges de la cour constitutionnelle ont relevé, entre autres, que dans leur précipitation, les bricoleurs ont omis une disposition essentielle du serment que le président élu doit prononcer: LA DÉFENSE DE L’INDÉPENDANCE DE LA PATRIE ET DE L’INTÉGRITÉ DU TERRITOIRE NATIONAL.
Quelle est la portée d’une telle omission? Simple oubli? L’histoire le dira.
Dans tous les cas, nos bricoleurs sont obligés de retourner devant le parlement car malgré leur toute puissance, ils n’ont aucun droit de procéder à des “tugutugu-bari-bari ” (des retouches) sur la loi fondamentale.
Le PARENA invite le président de la République à retirer ce projet.
Le président a amplement démontré ces dernières années qu’il est tout sauf un homme de dialogue.
On se souvient que c’est seulement après la débâcle militaire et politique, l’humiliation de la Nation en mai 2014 à Kidal qu’il s’est rendu à Canossa-en-Alger, soit neuf mois après sa prise de fonction. Avec les résultats que l’on sait.
On voit comment il opère son passage en force en tentant de détruire le dernier vestige du consensus national et républicain de mars 1991 sans engager de dialogue avec la classe politique avant la saisine du parlement.
Le PARENA lance un vibrant appel à toutes celles et à ceux qui sont opposés au bricolage en cours de notre constitution à se rassembler dans une large convergence, une large coalition, un large front pour exiger le retrait de ce projet diviseur et dangereux pour la cohésion nationale.
Les projets routiers “prioritaires” du président
Le président de la République a initié des projets routiers visant à désenclaver plusieurs localités du pays. L’intention est louable car les populations et l’activité économique souffrent, en toutes saisons, du mauvais état des voies de communication. Toutefois cette opération de désenclavement a été l’occasion de montages financiers douteux et scabreux avec comme résultat une énorme évaporation financière au détriment du contribuable malien.
Cinq projets de route et un pont (celui de Kamankolé à Kayes) constituent les PPP (projets prioritaires du président) qui sont gérés par une coordinatrice des projets prioritaires sous l’autorité du Directeur national des routes (DNR)
Les PPP ont deux caractéristiques principales :
- ils sont financés par le budget national;
- les marchés ont été attribués à la suite de “consultations restreintes” qui ont ouvert la voie à d’énormes surfacturations et à des détournements de deniers publics.
Interrogés, plusieurs spécialistes travaillant dans le secteur des routes ont répondu que le coût maximum du kilomètre de bitume au Mali ne saurait excéder 250 millions de francs CFA quelle que soient la qualité et l’épaisseur du goudron. Or le kilomètre de goudron pour la seule route qui va relier le Bankoni à Nonsombougou coûtera au contribuable malien plus de 495 millions de francs CFA.
Les projets prioritaires et leurs coûts
− Deuxième pont de Kayes : long de 532,65 mètres, avec une largeur 26 mètres. Le coût des travaux est 36 milliards 588 millions FCFA. En outre, 16,7 kms de voies d’accès seront réalisés à environ 19 milliards de francs CFA
− Route Bankoni-Nonsombougou : 56 kilomètres à 27 milliards 730 millions de francs CFA;
− Route Kangaba-Frontière guinéenne : 52 kilomètres à 19 milliards 437 millions francs CFA ;
− Route Kayes-Sadiola : 90 Kilomètres à 42 milliards 478 millions de francs CFA;
− Route Yanfolila-Kalana : 52 kms à 18 milliards 829 millions francs CFA;
− Route Baraouéli-Tamani : 30, 6 kilomètres à 7 milliards 223 millions.
Ces montants sont beaucoup plus élevés que les enveloppes inscrites au budget d’État 2017 au titre des infrastructures routières. Jugez-en:
− Le pont de Kayes: 48 milliards FCFA au lieu des 55,5 conclus avec les entreprises;
− Bankoni-Nonsombougou : 17 milliards contre 27, 7 concédés à l’entreprise;
− Kangaba-Fr Guinéenne : 13,5 contre 19,5 milliards négociés avec l’entreprise;
− Yanfolila-Kalana : 13 milliards d’inscription budgétaire contre 18,8 convenus avec l’entreprise ;
− Baraouéli-Tamani : 5 milliards inscrits au budget contre 7,2 conclus avec l’entreprise chargée des travaux.
Les dépassements se passent de commentaires : 29, 5 milliards de francs CFA !
Opacité des procédures de passation
La passation des marchés des PPP s’est faite sur fond d’entente entre les donneurs d’ordre et les bénéficiaires pour alimenter une caisse noire destinée à financer les prochaines campagnes électorales.
On a procédé à des “consultations restreintes” qui n’étaient, en fait, que des grés à gré déguisés. Selon plusieurs sources, il a été imposé aux entreprises des ristournes d’au moins 15% des montants des marchés.
Ainsi les entreprises se sont engagées à “cotiser” des sommes colossales: entre 1 et 5 milliards de francs CFA.
Plusieurs exemples d’infrastructures confortent les soupçons de surfacturations.
Le 2eme pont de Kayes avec 532m de long et 26m de large coutera 36 milliards de FCFA au contribuable. Le pont le plus long jamais construit au Mali est celui de Sotuba ; il est long de 1616m sur 24m et a couté 30 milliards ; 6 milliard de moins que le pont de Kayes qui fait moins du tiers de sa longueur. Par ailleurs, les voies d’accès au pont de Kayes battent tous les records de coût. Le kilomètre de voie d’accès sera facturé à plus d’1 milliard de FCFA.
La corruption coûte cher au peuple malien ; pour preuve, les projets routiers financés par les partenaires financiers du Mali – et soumis à une passation de marché régulière – coûtent nettement moins chers. Par exemple, la route Zantiébougou-Kolondiéba-Frontière Côte d’Ivoire lancé en Novembre 2016 par le président IBK coutera 70 milliards pour 145 Km de routes et voies bitumées, 100 Km de pistes rurales, un poste de contrôle avec scanner, l’installation des pèses-essieu, la réalisation ou réhabilitation d’écoles et centres de santé, aux abords du corridor, et la construction d’un marché à bétail à la frontière Mali-Côte d’ivoire.
Les tableaux ci-dessous démontrent l’ampleur de l’évaporation financière et des excès quand on sait que le Kilomètre de bitume même en “enrobée” (couche épaisse) ne peut dépasser 250 millions au Mali.
Conclusion
Le PARENA, comme tous les Maliens, est favorable à la construction de ponts et au bitumage des routes pour réduire les souffrances du peuple en facilitant la circulation des personnes et des biens. Mais les conditions dans lesquelles les présents projets présidentiels sont réalisés relèvent tout simplement de l’indécence. Des populations parmi les plus pauvres au monde sont dépouillées de façon éhontée de leurs maigres ressources publiques.
Le PARENA invite le chef de l’État à ne pas couvrir de son autorité ces dilapidations grossières des deniers publics. Ces marchés doivent être revus et les travaux payés à leur juste coût. Il est possible de réaliser ces routes à moindre coût sans saignée des faibles ressources du Mali.
En ce mois béni du Ramadan, mois de partage et de solidarité, le PARENA invite le Gouvernement à avoir de la compassion pour le peuple malien en mettant fin aux surfacturations grossières qui sont constitutives de crime contre le peuple.
Il exhorte l’Assemblée Nationale à diligenter une enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur les conditions de financement des PPP.
Enfin, il exige la démission immédiate de tous les responsables impliqués dans le montage des dossiers et la passation des marchés des PPP.