Lentement, mais sûrement l’impitoyable projet de démolition de la démocratie est en marche au Mali. Après la dissolution de certains partis politiques et d’associations, l’opinion a été surprise de voir, via les médias, un décret, le numéro 2024- 0230/PT-RM du 10 avril 2024 portant suspension des activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations et cela jusqu’à nouvel ordre. Cette énième violation de la Constitution du 25 février 1992 et celle nouvellement adoptée le 22 juillet 2023 et surtout de la charte des partis politiques doit interpeller tout démocrate, bref toute bonne conscience sur la menace qui pèse sur la démocratie malienne. Le combat pour la sauvegarde des acquis démocratiques doit être mené par tout patriote, car pour le moment nous n’avons que la démocratie comme modèle de gestion. Comment peut-on prendre une telle décision, à quelques encablures de la tenue du dialogue inter maliens que le Président de la transition souhaite inclusif ? Les partis politiques vont-ils monter au créneau pour dénoncer de façon véhémente cette décision à la fois démocraticide et liberticide ? Quid de la société civile, la sentinelle vigilante de la démocratie ?
Bien que les condamnations ont fusé de toutes parts, qu’elles soient de la part des partis politiques ou en provenance de la société civile, mais les autorités de la transition sont restées droites dans leurs bottes et n’entendent pas céder d’un IOTA. Malgré la désapprobation d’une frange de l’opinion, en dépit des conséquences qu’une telle décision pourrait avoir sur l’unité nationale et la cohésion sociale, les autorités de la transition n’entendent pas reculer. Elles ont même commencé une campagne de promotion et d’explication de la controversée décision afin de faire adhérer une frange importante de l’opinion à leur désidérata. Dans cette vaste campagne propagando-médiatique, les autorités de la transition ont intimé l’ordre à la Haute Autorité de la Communication, HAC de museler à son tour la presse pour qu’elle censure toutes activités politiques. Comme une réponse du berger à la bergère, la presse qu’elle soit écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans son ensemble à rejeté la déclaration liberticide de la HAC. Elle désavoue même la HAC qui, au lieu de se contenter de son rôle de régulateur, se fourvoie dans une inféodation aux autorités de la transition pour bâillonner la presse. C’est le lieu de féliciter le Président de la Maison de la Presse, MP, Bandiougou Danté pour son courage et la responsabilité historique qu’il a prise pour dénoncer cette décision liberticide. Il urge de revenir sur cette décision liberticide et démocraticide afin de préserver la stabilité sociopolitique.
Comment peut-on prendre une telle décision, à quelques encablures de la tenue du dialogue inter maliens que le Président de la transition souhaite inclusif ?
C’est cette lancinante et incompréhensible question qui est non seulement sur toutes les lèvres, mais aussi qui taraude les esprits de tous les démocrates et les adeptes de l’unité, de la paix et du vivre ensemble. La décision de suspendre les activités des partis politiques et des associations à caractère politique jure avec le discours de rassemblement et d’inclusivité prôné par le Président de la transition. Il ne fait plus l’ombre d’aucun doute que le dialogue dit inter maliens sera un grand monologue entre laudateurs, zélateurs, opportunistes et aveugles soutiens de la transition. Il est fort à parier que l’une des grandes recommandations de ce dialogue inter maliens sera la prolongation de la transition.
Qu’il soit dit en passant, l’ire des autorités de la transition envers les partis politiques est sans nul doute due à la posture d’hostilité à toute velléité de s’éterniser au pouvoir, prise par les partis politiques. La classe politique, pour avoir demandé le respect du délai souverainement fixé par le Président de la transition à travers un décret qu’il a signé, s’est attirée la foudre des autorités qui n’entendent pas céder le pouvoir aux civils. Le dialogue qui est en perspective semble être mort-né et ses recommandations ne survivront pas au-delà de la transition. C’est pourquoi cette décision de suspendre les activités des partis politiques ne surprend guère, en dépit de son inopportunité voire même sa dangerosité pour la cohésion sociale.
Les partis politiques vont-ils monter au créneau pour dénoncer de façon véhémente cette décision à la fois démocraticide et liberticide ?
Pour l’une des rares fois les partis qui, hier soutenaient aveuglement tous les régimes, ont décidé de prendre leur destin en mains en s’érigeant en sentinelle pour défendre sans ambages la démocratie. L’ADEMA, puis que c’est de lui qu’il s’agit, a décidé de prendre le leadership du combat pour la sauvegarde de la démocratie. Le parti d’Alpha Oumar Konaré est la tête de proue de la fronde contre la démolition des acquis démocratiques. Il est suivi par une centaine de partis dont les plus significatifs sont le RPM, le PARENA, la CODEM, les FARE, l’ASMA, et surtout le puissant Mouvement politique la CMAS de l’Imam Mahmoud Dicko pour ne citer que ces quelques formations. Discrédités, vilipendés, piétinés dans la boue par les tenants du pouvoir en complicité avec certains leaders politiques, les partis politiques qui ont souci de l’avenir de la démocratie ont pris leur destin en mains pour affronter le régime militaire en place au Mali. Ils ont condamné sans détour le décret suspendant les activités des partis politiques et ont demandé son abrogation immédiate. Ils n’entendent pas s’arrêter en si bon chemin, en plus de la demande d’abrogation du liberticide décret, les partis politiques dans leur écrasante majorité ont également décidé de ne pas participer au dialogue et comptent attaquer la décision auprès des juridictions nationales et internationales. Comme pour dire que c’est une nouvelle page de la lutte contre la pensée unique et pour la démocratie qui vient de s’ouvrir au Mali. Nul ne pourrait prédire l’issue de ce combat tant les positions se radicalisent et la crainte d’un affrontement est plausible. Il revient aux hautes autorités de la transition de jouer à l’apaisement et surtout de rassembler les maliens.
Quid de la société civile, la sentinelle vigilante de la démocratie ?
Dans toutes les démocraties vivaces entre l’opposition et la majorité, il y a toujours eu une troisième voie qui est celle de la société civile. Cette dernière doit logiquement être à équidistance de toutes les deux parties et elle doit être la sentinelle vigilante à cheval sur les principes. Son crédo doit être la défense des intérêts du peuple. Malheureusement la société civile malienne répond à tout sauf ces critères. Elle est à la fois soumise au principe du jour et n’est là qu’à applaudir les décisions prises par ce dernier. Si elle jouait réellement son rôle comme il nous a été donné de constater au Sénégal, la société civile serait sollicitée aujourd’hui pour trancher cet imbroglio politico-militaire opposant la classe politique à la junte militaire au pouvoir. En principe indépendante et neutre, la société civile doit être, pour une démocratie, le dernier recours, l’équilibriste et la force de proposition.
Youssouf Sissoko