La situation sécuritaire dans le pays demeure préoccupante. Malgré les efforts des Forces de défense et de sécurité. Organiser des scrutins dans ces conditions n’est pas sans difficulté. Relever le défi est une obligation car l’avenir du pays en dépend
Entre mars 2012 et août 2020, le Mali a connu deux interruptions de l’ordre constitutionnel. D’une certaine manière, l’on pourrait admettre que les conséquences de la dégradation de la situation sécuritaire et des ratés découlant de l’organisation des élections expliquent, peu ou prou, les raisons de la déliquescence de l’État ayant entraîné la chute des deux derniers régimes démocratiques.
Sans doute, au nombre des poutres qui vont soutenir l’édifice Mali Koura figurent la sécurisation du pays et l’organisation des élections crédibles et transparentes. Il n’est donc point fortuit que le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire et l’organisation des élections générales soient les premier et troisième axes du Plan d’action du gouvernement (PAG).
En fin juin 2022, le gouvernement présentait le chronogramme de la Transition devant s’achever en février 2024 par l’organisation de l’élection présidentielle. Par-delà plusieurs autres facteurs, la tenue de scrutins crédibles et transparents reste fortement tributaire d’un contexte sécuritaire favorable. Concilier les impératifs liés au respect des délais de la Transition et les réalités du terrain, notamment la variable sécuritaire est le défi auquel font face les autorités.
L’organisation d’élections transparentes est un indicateur fort de la réussite de la Transition. Il reste que prétendre relever ce défi sans l’adhésion des forces politiques serait une gageure. Il n’est donc point surprenant que chef de l’Etat, le colonel Assimi Goïta ait, à cet égard, constamment prôner le rassemblement et l’inclusivité.
La reprise des travaux du Cadre de concertation entre le ministère de l’Administration territoriale et la classe politique entre sans doute dans cette dynamique. Qui plus est, l’accueil favorable réservé à la nouvelle loi électorale par nombre de responsables politiques est également un point positif à prendre en compte. La plupart des acteurs politiques sont d’autant plus confiants que ce texte prend en charge une de leurs revendications qu’est la création de l’Autorité indépendante de gestion des élections (Aige).
CONSENSUS- La réalité est que l’Armée est sur une pente ascendante. Dividendes tangibles de la stratégie de diversification des partenaires et d’établissement d’alliances stratégiques en matière de défense et de sécurité, les récentes acquisitions des équipements militaires ont en effet considérablement contribué à accroitre les capacités opérationnelles de notre outil de défense.
La posture offensive adoptée par nos hommes a permis de neutraliser des centaines de terroristes et détruire leurs sanctuaires. Présent à la Conférence pour la sécurité internationale à Moscou, le ministre de la Défense et des Anciens Combattants saluait l’espoir né suite à cette pacification progressive, malgré quelques actions d’éclat des terroristes. Ainsi, a relevé le colonel Sadio Camara, près de 100.000 réfugiés et déplacés internes sont retournés dans leurs villages.
Ces acquis obtenus sur les plans politique et sécuritaire offrent-ils des garanties suffisantes pour la tenue des élections transparentes et moins contestées ? Acteurs politiques et universitaires se prononcent, ci-dessous, sur ce sujet d’intérêt national.
Si la tendance de l’amélioration progressive de la situation sécuritaire était maintenue, nul doute que les prochains scrutins auront lieu à date et dans des conditions acceptables. Cette situation est saluée par la quasi-totalité des dirigeants politiques de notre pays. Toutefois, concèdent-ils, parvenir à assurer une sécurité optimale sur l’entièreté du territoire relève presque de l’impossible.
Face à de possibles facteurs impondérables, il apparait indispensable de construire un consensus entre les acteurs concernés autour de l’essentiel. “Je pense qu’il faut un consensus pour pouvoir organiser les élections même si toutes les conditions ne sont pas là. Et accepter les résultats avec ce qu’on connait par rapport à la situation globale du pays”, préconise Ibrahima N’Diaye, 2è vice-président de l’Union pour la République et la Démocratie (URD), une formation politique qui est membre du M5-RFP. Ce serait plus grave, pense-t-il, de lier l’organisation de ces élections à une situation dont on n’a pas la maitrise.
Le porte-parole du parti Yelema est convaincu que le type d’insécurité qui est là ne peut être définitivement combattue en quelques années. Hamidou Doumbia insiste sur le respect du chronogramme qui contient le retour de l’administration dans les zones d’insécurité. “Donc, c’est un engagement pris par les autorités de la Transition pour être dans le temps et pouvoir organiser les élections en toute sécurité”, rappelle le responsable politique.
La question du respect du chronogramme retient également l’attention du représentant du Cadre d’échanges des partis et regroupements politiques pour une Transition réussie. Un argument supplémentaire sur la possibilité de tenir ces élections dans les délais nourrit la conviction de Amadou Aya : l’organisation récente par le gouvernement du Recensement général de la population et de l’habitat sur une bonne partie du territoire.
“Donc, organiser des élections, c’est beaucoup plus simple que faire un recensement de la population et de l’habitat sur l’ensemble du territoire”, déduit-il. En appui à cet argumentaire, Amadou Aya martèle que la Commission de rédaction de la nouvelle Constitution vient de sillonner l’ensemble du pays pour organiser des fora. Il exhorte en revanche les autorités à diligenter la mise en place de l’Aige.
S’il admet que tenir les élections est absolument nécessaire, le président de la Coalition des forces patriotiques (Cofop) est d’avis qu’il faut plus d’espace sécurisé pour que les potentiels candidats puissent bien battre campagne.
“Depuis 2012, nous sommes dans cette situation de ni paix ni guerre où le pays est complètement envahi par des terroristes et des malfrats de tout poil. A partir de ce moment, le problème d’élections, ce n’est pas seulement aller mettre le bulletin dans l’urne”, tempère Abdoulaye Amadou Sy. Le souvenir du rapt de l’ancien chef de file de l’opposition, Soumaila Cissé, alors en campagne électorale, vient conforter l’attitude de prudence mise en avant par le dirigeant politique.
REDÉPLOIEMENT- Montée en puissance de l’Armée, construction du consensus et présence des représentants de l’Etat résument les opinions des universitaires dont la grille de lecture sur le sujet ne diffère pas radicalement de celle des politiques. Au-delà d’un climat de confiance entre les acteurs, le retour des représentants de l’Etat sur l’ensemble du territoire est en effet indispensable pour un processus électoral réussi. La nomination récente par les autorités dans différentes localités de plusieurs dizaines de représentants de l’Etat, dont 189 sous-préfets, conforte cette volonté politique.
Siriki Bagayoko, politiste et enseignant-chercheur à la Faculté des sciences administratives et politiques, admet que la situation sécuritaire dans notre pays demeure dans son ensemble tendue, l’Etat ne contrôlant pas encore totalement la situation. Au regard du chronogramme publié par les autorités, analyse-t-il, la tenue des élections est actuellement problématique.
Il faut ajouter à l’activité des terroristes, fera remarquer l’universitaire, la faible présence effective de l’administration partout sur le territoire. Ces deux importants facteurs risquent d’entraver la bonne tenue des élections, prévient-il. “L’Etat doit accélérer le déploiement de l’administration sur l’ensemble du territoire national. Aussi, il doit veiller à améliorer la situation sécuritaire avant les élections”, préconise Siriki Bagayoko.
Pour Pr Fousseyni Doumbia, enseignant-chercheur à la Faculté de droit public de Bamako, il n’existe pas d’élections parfaites en démocratie, surtout dans les États en perpétuelle construction démocratique et en crise comme la nôtre. Sur ce point, l’universitaire est quelque peu rejoint par le responsable politique et ancien ministre Ibrahima N’Diaye qui rappelle que même aux meilleurs moments de paix, d’accalmie, les taux de participation ont toujours été à des niveaux bas.
Le consensus, insiste l’enseignant-chercheur, doit prévaloir autour de la matérialisation de l’ensemble des phases de ce processus électoral, afin d’éviter que celui-ci n’aggrave les distorsions entre les différentes composantes de la nation et créer la violence.