Soumaila Cissé, président sortant de la commission de l’UEMOA : “Pourquoi je veux être président du Mali”

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Mr Soumaila CISSE
Mr Soumaila CISSE, Président de l’URD

LE PAYS (BF) – Soumaïla Cissé est un technicien doublé d’un homme politique. Ancien directeur de la société cotonnière nationale de son pays, plusieurs fois ministre sous Alpha Omar Konaré et ATT. L’homme vient d’achever son second mandat de quatre ans à la tête de la Commission de l’UEMOA. Ce n’est pas pour autant qu’il a renoncé à ses ambitions politiques. Bien au contraire, la Commission de l’UEMOA les a plutôt mûries. Il est officiellement candidat pour succéder à ATT. Mais l’homme n’est pas peu fier de son bilan. L’interaction est en marche, à chacun d’y ajouter sa pierre, selon lui. Dans cet entretien, il revient sur les grands chantiers de son mandat et explique pourquoi il lorgne le palais de Koulouba.

 

“Le Pays” : Dans quelques jours, vous allez passer le témoin à quelqu’un d’autre. Que retenez-vous de fort, des deux mandats passés à la tête de la Commission ?

Soumaïla Cissé, président de la Commission de l’UEMOA : Je voudrais tout d’abord vous remercier de l’opportunité que vous m’offrez de pouvoir m’adresser à vos lecteurs. Vous êtes un journal très sérieux et je sais que vous célébrez également votre vingtième anniversaire . Vingt ans que vous officiez et faites le bonheur des Burkinabè. C’est donc un honneur que vous me faites en m’invitant dans les colonnes de votre journal. J’ai passé huit ans à la tête de la Commission, c’était pour moi une expérience enrichissante. Je dois retenir de cela un travail passionnant, de défi et surtout de prise de conscience très aiguë de l’intérêt et de la nécessité d’aller vers l’intégration. Je sors de ces huit années convaincu que l’intégration est d’une pertinence avérée. D’abord, il est difficile de dire que l’on retient quelque chose de spécifique mais je peux tout de même dire que j’ai eu une équipe dynamique. Une équipe qui se donnait corps et âme, qui partageait nos ambitions. Inutile de dire que c’est au quotidien car sans une équipe compétente, l’on ne peut rien réussir.

Ensuite, je peux me féliciter du soutien des différents chefs d’Etat. Là aussi, sans leur soutien, l’on ne peut pas aller loin. Il faut également se féliciter de la reconnaissance de notre travail, non seulement dans les Etats, mais aussi par nos partenaires au développement. Je crois que ceux-ci aussi nous encouragent, c’est un motif de satisfaction. Il faut surtout enfin se féliciter de l’adhésion des populations à nos programmes. Que les populations sentent l’UEMOA à leurs côtés, qu’elles se rendent compte que notre organisation n’est pas faite que de cadres et de réunions, de directives et de règlements, mais que c’est une organisation qui comprend aussi les problèmes des populations et qui essaie de les résoudre. Ce sont là des motifs réels de fierté. Si au total, l’on peut se féliciter que l’UEMOA soit reconnue partout comme l’une des organisations qui propulsent le progrès dans le sens de l’Union africaine, c’est un motif de fierté.

Quels peuvent être les motifs d’insatisfaction ?

A ce niveau, il faut d’abord reconnaître que l’intégration est tout un processus. Il y a certaines choses que l’on peut faire immédiatement ou dans le temps, mais pour d’autres, l’on enclenche le chantier, mais il faut reconnaître que c’est sur la durée que l’on peut avoir les résultats. Parfois, c’est beaucoup plus difficile ou beaucoup plus fin et cela fait appel à la volonté et aux mentalités des populations. Le motif d’insatisfaction, c’est surtout les difficultés que nous rencontrons encore au niveau de la libre circulation. Il y a encore des tracasseries sur les routes, des arrêts intempestifs, des prélèvements indus, et je crois que de ce côté-là, nous avons encore des efforts à faire. Je suis conscient que c’est un chantier difficile, un chantier sur lequel nous avons besoin de beaucoup plus d’adhésion des populations et des usagers. Aussi, nous devons d’abord nous aider en mettant les systèmes en place pour aider à l’application des décisions par des barrages bien précis, à la formation des agents et surtout à une meilleure sensibilisation des uns et des autres pour que ce chantier voie effectivement le jour.

Nous avons un seul poste juxtaposé qui est celui de Cinkansé, à la frontière Togo-Burkina. Nous avons investi des milliards de francs CFA et nous n’arrivons pas à le faire fonctionner comme il se doit. Pourtant, si le premier ne fonctionne pas normalement, il sera difficile de passer à la vitesse supérieure. Les deux chefs d’Etat se sont engagés autour de cette question et je pense qu’ils arriveront à résoudre le problème. C’est vrai que cela dure, mais c’est encore l’administration. Tout le monde n’a pas encore la même saine compréhension de l’objectif du poste. Ce qu’il faut savoir, c’est que quelqu’un quittant Lomé ne doit s’arrêter qu’à Cinkansé et quand il quitte Cinkansé, il ne s’arrêtera qu’à Ouagadougou. Or, il y a plus de dix postes de barrages entre Cinkansé et Ouagadougou. Voilà la réalité.

Il faut sensibiliser encore plus les agents des douanes, la gendarmerie et la police pour que cela se fasse comme on le souhaite. C’est un travail qui est en cours, beaucoup de réunions ont été faites. Les opérateurs, les transporteurs et les propriétaires de camions se sont investis. Il y a un début extrêmement timide mais, honnêtement, ce n’est pas encore terminé. A côté de ce chantier de la libre circulation, il y a aussi le libre établissement. Sur ce plan également, il y a encore des efforts à faire parce que les gens ne se tolèrent pas exactement comme nous le souhaitons. Notre souhait est qu’en réalité, chaque pays soit le prolongement de l’autre.

En plus de la libre circulation, il y a aussi le commerce. Les derniers chiffres de 2009 montrent que le commerce intrarégional est très faible. Qu’est-ce qui fait que l’intégration à ce niveau traîne ?

Il faut dire à ce niveau qu’il y a un progrès. Au début, à la création de l’UEMOA, on était à peu près à 7%. Si aujourd’hui l’on peut se prévaloir de 20%, c’est énorme. On a quand même multiplié par trois. Il nous faut aller encore plus loin parce que je pense que nous ne transformons pas encore assez de produits dans notre sous-région. Souvent, nos économies ont parfois des concurrents et les choses que nous importons ne sont pas fabriquées dans notre région. Ce qui explique que la plupart du temps, on se retarde. Il y a aussi quelques petits blocages artificiels, ce qui fait que les règles de concurrence peuvent être mises à mal. Mais de façon certaine, c’est parce que nous ne transformons pas assez dans nos pays et ne fabriquons pas suffisamment de produits dont les pays peuvent avoir besoin les uns dans les autres.

Les deux pays qui fabriquent le plus de produits manufacturés sont le Sénégal et la Côte d’Ivoire et vous connaissez les difficultés que rencontre la Côte d’Ivoire ces derniers temps. C’est un cas qui a contribué à ralentir un peu ce processus d’intégration. Au-delà de tout cela, il faut dire qu’il y a un progrès réel qui a été fait parce que la zone de l’UEMOA est l’une des régions où le commerce intrarégional se porte bien. Nous avons presque supprimé la TTC (Taxe sur les transferts communautaires) ; ce qui permet de rendre les produits originaires, le nombre des entreprises agréées dépasse 500. Il y a énormément de produits qui passent d’un pays à l’autre et sont considérés comme des produits originaires, sans compter les produits du cru et d’artisanat qui sont considérés comme des produits originaires. La levée des barrières et la mise en place du Tarif extérieur commun (TEC) ont apporté un plus, à telle enseigne qu’aujourd’hui, les gens acceptent, ce qui n’était pas du tout évident en 1994 et en 1995. C’est un progrès réel, quelque chose de positif.

Sont-ce les administrations qui ne suivent pas le rythme de l’intégration et qui bloquent la politique de convergence de l’Union ? Y a-t-il des Etats plus intégrateurs que d’autres ?

Ce n’est pas que les administrations ne suivent pas, mais il y a un principe de subsidiarité. Il y a ce que les individus doivent faire et ce que l’Union devra elle aussi faire. Nous essayons d’édicter des règles générales et de les faire appliquer. Il est évident que les Etats ne vont pas tous au même pas. Au niveau de la convergence, nous essayons d’avoir des économies qui vont dans le même sens. Du fait que nous ayons la même monnaie, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir des politiques extrêmement divergentes. Ceci dit, les critères que nous-mêmes avons mis en place ont été éprouvés par les bouleversements qui ont eu lieu dans le monde ces derniers temps.

Avec la dette par exemple, nous avons mis en place des critères, et entre-temps beaucoup de pays ont eu leurs dettes annulées. Il est donc évident qu’il faut revoir les choses. Quant au déficit budgétaire, nous l’avons mis à un certain niveau mais aujourd’hui quand on voit la crise mondiale, la question se pose. Etait-ce le bon niveau ? Est-ce qu’il ne faut pas dégager un peu plus de ressources pour l’investissement afin de faire face à la situation. Nous aussi, vu qu’on a du mal à amener tout le monde au même niveau, nous avons redéfini les critères afin que nous ayons une sorte de masse critique de pays avec un PIB suffisant. Toute chose qui nous permettrait d’aller vers la convergence. Certes, le chemin est long et nous continuons à travailler. Nous travaillons beaucoup avec le Fonds monétaire international (FMI) pour que les directives de finances publiques aillent dans un même sens.

C’est ainsi que la marche vers une convergence réelle peut s’enclencher. Nous ne sommes pas seuls. Il y a notre Union mais il y a aussi nos voisins de la CEDEAO, la crise financière mondiale, toute chose qui montre que nos économies sont extrêmement difficiles à maintenir. Mais, in fine, nous avons des économies qui restent dans la norme parce que nous avons une monnaie assez bien tenue, un taux d’inflation qui reste globalement d’une année sur douze et sur une longue période en dessous des 3%. Nous avons eu des pointes comme 2008 avec la crise alimentaire internationale. Voilà comment se profilent les choses et nous avons un système de surveillance commune de nos différents programmes d’un pays à l’autre. Tout cela aide chaque pays à être sous l’œil des autres pour essayer d’aller dans le bon sens de la construction.

Vous avez parlé tantôt des politiques sectorielles ; quelle est la position de l’Union sur l’énergie ?

L’énergie, c’est un peu comme le sang dans le corps et elle est ce qu’il faut dans une économie. S’il n’y a pas d’énergie, le tailleur ne peut pas dépasser le niveau de la machine à pédale, le soudeur ne peut pas aller plus loin, les usines ne peuvent pas tenir normalement et les services non plus. On arrive à conclure que c’est quelque chose qui est essentiel pour l’ensemble des pays. Nous en sommes conscients et depuis 2006-2007, les chefs d’Etat nous ont instruit de trouver une solution à cela. Une importante étude a été faite, ce qui nous a permis de voir les potentialités dans chaque pays, les atouts des uns et des autres afin de proposer une solution. Le déficit est global dans pratiquement tous les pays. Le seul pays qui avait un excédent, c’était la Côte d’Ivoire mais ces derniers temps, ce pays aussi en souffre. Il n’en a pas car cela dépend du niveau des lacs, des retenues et bien d’autres éléments.

La première chose était donc cette étude pour différencier les choses. Nous nous sommes dit qu’il y a aujourd’hui une urgence, qu’il faut produire plus pour avoir les prix les plus bas. Ensuite, qu’il faut penser à une économie propre, une économie moins polluante. Les actions ont donc été découpées en plusieurs phases, plus précisément trois. Les trois phases devront nous conduire jusqu’en 2030, tout en nous disant que dans ce temps-là, quelque chose doit être fait. Mais dans un premier temps, nous avons pensé aux interconnexions. Actuellement, la Côte d’Ivoire est interconnectée au Ghana et au Togo, le Nigeria passe par le Niger, le Togo et le Bénin sont interconnectés, le Burkina et la Côte d’Ivoire également, le Mali est interconnecté au Sénégal et à la Mauritanie et l’interconnexion entre la Côte d’Ivoire et le Mali est en cours. C’est déjà un partage des ressources.

Nous avons aussi mis en place le fonds de développement de l’énergie avec un budget de 500 milliards de F CFA. Sur les 500, 250 milliards sont déjà obtenus à partir de nos budgets à nous. Un peu de la BCEAO, un peu de l’UEMOA et un peu de la BOAD qui est d’ailleurs chargée de gérer ce fonds. A partir des 250 milliards, des programmes ont été mis en place au sein des Etats pour leur permettre d’investir. En moyenne, il y avait 20 milliards par Etat : la Guinée Bissau avec 15 milliards, le Sénégal 35 milliards, la Côte d’Ivoire 25 milliards et pour les autres c’est 20 milliards de F CFA. Ce sont des fonds qui vont leur permettre d’investir dans les centrales, d’améliorer des installations et d’investir dans le transport de l’énergie. A côté de cela, il y a un programme d’économie d’énergie qui a permis de commander près de huit millions de lampes de basse consommation pour permettre de baisser le profil de la consommation. Nous allons par la suite chercher les 250 autres milliards auprès de nos partenaires. Pour vraiment investir de façon vigoureuse en direction de la crise, il faut d’abord arrêter la crise.

Dans un second temps, nous allons mettre en place un fonds d’investissement pour l’énergie. Ce fonds est beaucoup plus important et nous allons faire appel à des fonds d’investissement internationaux pour nous engager résolument dans l’énergie, qu’elle soit solaire ou hydroélectrique, dans le but d’avoir une énergie beaucoup plus abondante et qui permette de baisser le coût de l’énergie. L’objectif pour nous est d’arriver à 30 F CFA le kWh. En somme, pour faire face à cette situation, nous avons deux solutions et l’une d’elles a commencé à être exécutée avec des ressources bien identifiées et en travaillant avec les sociétés d’énergie des différents pays.

Dans ce fonds, il est question de mutualisation. Comment cela va-t-il fonctionner concrètement ?

Nous avons confié à la BOAD la mise en place de ce fonds et cela nécessite d’abord l’accord de tout le monde, de voir l’investissement disponible et de voir ceux qui veulent vraiment investir dans l’énergie. Ce ne sont pas des cadeaux mais plutôt des gens qui vous diront qu’ils ont tant de milliards, qu’ils sont d’accord pour investir dans l’énergie et vous poseront leurs conditions pour ce faire. A partir de là, les sociétés d’énergie des Etats vont puiser dans ce fonds uniquement orienté sur l’énergie. Ce sera soit pour augmenter le productible, soit pour baisser le prix de la consommation, soit pour moderniser les différentes centrales ou sources de production. Nous sommes à ce niveau dans la phase de constitution du fonds d’investissement et nous définissons les contours pour que cela puisse marcher et le plus rapidement possible.

Il y a quelque trois ou quatre ans, l’Union a fait un virage en décidant d’investir auprès des populations, notamment dans l’agriculture villageoise. Cela était-il vraiment nécessaire ?

Je crois que ce n’était pas un virage de notre part. L’objectif de l’Union est de lutter contre la pauvreté mais dans différentes phases. Il fallait d’abord, comme pour un malade, essayer de le stabiliser. Cette stabilisation passe par l’agriculture et c’est ce que nous avons fait dans un premier temps. Définir au cours des dix premières années les règles, les politiques de convergence, la question de l’inflation, les règles de commerce par le tarif extérieur commun, le tarif préférentiel communautaire afin que les échanges entre nos pays soient les meilleurs possibles. C’est une des règles de vie en commun pour que nous puissions devenir et constituer ensemble un espace beaucoup plus large pour faire face au reste du monde ; un ensemble qui peut proposer, définir des règles et des conditions d’attrait des sources d’investissement.

Ce que nous avons fait, même si ce n’est pas entièrement fini, il est évident que les populations attendent énormément de nous. Pour ce faire, nous ne sommes pas allés par hasard, par tâtonnement. Nous avons d’abord institué le Programme économique régional (PER) dont la table ronde a eu lieu à Dakar, en novembre 2006. Cette table ronde nous a permis de définir les actions à même de faire avancer notre Union. L’on se dit par exemple que telle route est indispensable. Mais il se trouve qu’on ne s’occupe pas des priorités d’un pays ou de l’autre. Si nous prenons le cas de la route Bamako-Ouagadougou-Téma, avec la crise ivoirienne, il est évident qu’il fallait trouver un accès beaucoup plus convivial au port. Pour cette route donc et pour l’intérêt régional, nous avons mis le paquet pour le faire. Nous avons décrit ainsi l’ensemble de ce dont les populations avaient besoin.

Cela a pris quelques milliards d’euros et concernait les routes, l’aménagement des bas-fonds, l’éducation, la santé, les problèmes environnementaux et de gouvernance, etc. Ensuite, nous avons commencé à dérouler le programme d’hydraulique villageoise. Ces programmes, une fois déroulées, devront s’adresser directement aux populations. Quand vous faites un aménagement hydro-agricole, le paysan voit que vous avez aménagé chez lui. Quand vous faites un forage dans un village, les populations et les femmes voient que leurs corvées se sont atténuées. Lorsque vous réduisez les problèmes d’érosion routière, vous sauvez des villages et des terres également. A partir de là et ce depuis 2004-2005, nous avons engagé des actions dans ce sens surtout dès la mise en place du programme économique régional (PER), et nous avons eu des partenaires qui ont accepté de nous accompagner dans ce sens. Aujourd’hui, nous sommes en train de préparer un deuxième programme qui tiendra compte des nouveaux défis. Le problème de l’énergie n’était pas abordé dans le premier programme, mais nous allons le prendre en compte.

La question de la sécurité alimentaire n’y était pas suffisamment abordée, la crise de 2008 nous l’a révélée et nous allons la prendre en compte également. Les changements climatiques ont atteint un niveau aujourd’hui qu’on ne peut plus négliger. La crise financière internationale nous interpelle sur le développement. Ce sont des aspects que nous allons prendre en compte dans le deuxième programme. Ce n’est donc pas un virage mais une continuité car si la première phase n’avait pas réussi, la seconde n’aurait pas pu être entamée. Nous allons donc continuer à aider les Etats là où ils ne peuvent pas aller. Je prends l’exemple de la zone côtière du Togo, du Bénin et même du Sénégal sur certaines parties. Quand vous faites un forage avec les partenaires classiques et que vous atteignez 80 ou 100m de profondeur, ils s’arrêtent parce que c’est déjà trop profond pour eux.

Nous avons fait des forages jusqu’à 250m au Togo et au Bénin, c’était extraordinaire. L’eau a jailli à plus de 8m au-dessus du sol. C’est dire qu’il y a de l’eau mais qu’il faut oser aller plus loin, ce qui n’est pas évident. Nous pouvons le faire mais les partenaires classiques ne peuvent pas. Au Sénégal, il y a des zones où vous êtes obligés d’aller à plus de 300m pour avoir de l’eau. Vous constatez donc que nous apportons quelque chose de plus que les Etats n’auraient pas pu faire et je me réjouis d’ailleurs que l’UEMOA se soit engagée dans les programmes sectoriels.

Sur le plan de l’agriculture, des organisations paysannes estiment que la CEDEAO est plus protectrice que l’UEMOA et préfèrent s’aligner sur la politique agricole de la CEDEAO. Qu’en est-il exactement ?

Il s’agit ici surtout du volet de la protection. La CEDEAO se bat pour qu’il y ait ce qu’on appelle la cinquième bande qui est un niveau de qualité plus élevé pour empêcher un certain nombre de produits de rentrer. C’est essentiellement les problèmes liés aux engrais. Le Nigeria produit beaucoup d’engrais. Alors pourquoi importer de l’engrais pendant que l’on peut en trouver dans la zone ? Mais le problème de l’agriculture doit être vu sur plusieurs phases à la lumière de beaucoup de données. D’abord, protéger. L’on peut toujours protéger l’agriculture à condition qu’il y ait de la production à l’intérieur. Le grand problème que nous avons, c’est qu’il y a un déficit de production. Aujourd’hui, le Sénégal importe plus de 500 000 tonnes de riz, la Côte d’Ivoire 700 000 tonnes, le Mali qui est considéré comme un grand producteur de riz en importe.

Cela signifie que nous avons un déficit. Que faut-il faire ? Faut-il protéger en empêchant le riz de rentrer pour le vendre plus cher et que les populations en souffrent ? Ou faut-il investir pour produire plus ? Nous avons choisi d’investir pour produire plus, car le prix ne va baisser que si nous produisons plus. Ce n’est pas en jouant sur les taxes par rapport aux produits importés que l’agriculture va automatiquement se développer mais c’est dans l’investissement. Quand on investit sur une plaine et que l’on finit les travaux, il faut encore attendre que l’hivernage arrive, que l’on sème et que l’on récolte. Entre-temps il faut bien manger, il faut bien boire. Je ne les oppose pas vraiment. Je crois que chaque politique a sa période où il faut le mieux l’appliquer. Nous avons une politique agricole de l’Union.

Sur cette politique, nous avons essayé d’abord de définir les priorités. Nous avons identifié cinq filières qui, à notre avis, doivent être prioritaires. Ce sont les filières riz, maïs, aviculture, bétail-viande-lait, et coton. Cela ne signifie pas que l’igname n’est pas importante, que les patates ne sont pas importantes, mais nous avons pensé qu’avec ces cinq filières bien gérées, nous devrions pouvoir mieux nous en sortir. Nous avons donc décidé d’investir dans ces filières et c’est ce que nous faisons depuis un certain temps. Nous investissons beaucoup sur les plaines aménagées et actuellement nous sommes en train d’aménager 1 000 ha dans chacun des pays et dans une zone comme l’office de la vallée du Niger au Mali, nous avons investi encore plus parce que les conditions y sont favorables. Il y a quelques jours, j’ai signé avec le Burkina un important projet d’aménagement pour 1 000 ha à hauteur de 3 700 000 000 de F CFA.

Cela nous paraît extrêmement important. Il faut aussi jouer sur la réglementation. Nous sommes en train de travailler sur une bourse régionale pour les céréales. Ce qui est visé, c’est que, si l’on produit plus à Tenkodogo, qu’on le sache. Aussi, s’il y a des excédents là-bas, que les populations qui sont à Ouahigouya, à Gaoua, à Ziguinchor ou à Koutiala puissent y accéder tout simplement. A ce niveau, c’est l’information et il faut que cette information soit disponible. Avec les sécheresses et les inondations que nous connaissons, nous avons des zones qui produisent bien et d’autres pas très bien ou qui sont complètement sinistrées. Il faut donc aider à faire circuler les céréales. Les Etats font aussi des protections les uns contre les autres et il faut se battre contre cela ; car c’est complètement ridicule par exemple de croire que l’on peut empêcher les céréales de quitter le Mali pour venir au Burkina ou de quitter le Burkina pour aller au Niger. Les commerçants peuvent ne pas passer par la route nationale pour ce faire.

L’agriculture est vraiment importante et nous devrons la prendre à bras-le-corps. En 2008, après la crise alimentaire, nous avions décidé que chaque pays ait 15% de son budget qui soient consacrés à l’agriculture. Tous nos partenaires sont convaincus de nos jours que l’agriculture a été trop négligée. Il faut revenir aux fondamentaux car pour qu’un pays ou un groupe de pays comme le nôtre se développe, il faut qu’il se nourrisse au lieu d’être dépendant d’ailleurs. Parce qu’avant d’avancer les avantages comparatifs, on voit que le riz importé du Vietnam est moins cher que le riz produit à Bagré. Alors, il vaut mieux acheter le riz du Vietnam. Pourtant, dès que le Vietnam a un problème, il ferme ses magasins et le riz ne sort plus. Il n’y a donc pas beaucoup de dissensions. Les gens croient que nous ne protégeons pas assez nos productions, chose que nous allons revoir avec l’ensemble de la CEDEAO.

Nous prendrons les dispositions les plus opportunes pour faire face à la situation. Il ne faut pas oublier que nous sommes aussi dans une organisation internationale comme l’OMC, mais le vrai problème qui émerge est que nous devons produire plus et dès cet instant-là, la protection sera encore plus facile. Quand vous êtes en déficit de production, vous ne pouvez pas empêcher les céréales de rentrer, sinon vous allez affamer tout simplement votre propre population et ce n’est absolument pas une bonne politique.

Concernant les APE, où en êtes-vous avec les négociations au moment où vous partez ?

A ce niveau, les choses traînent. Il y a eu des changements à la commission, il y a eu beaucoup de retards qui nous incombent en tant que sous-région Afrique de l’Ouest. La première chose est qu’il faut un tarif extérieur commun pour l’ensemble de la CEDEAO. Malheureusement, c’est un tarif qui n’existe pas encore. D’abord, il nous faut des listes négatives dans chacun des pays, mais certains pays sont encore en retard. Ensuite, à cela se sont ajoutées les différentes crises que nous avons connues. La crise alimentaire n’était pas là au début, cela a changé les données et la crise financière est, quant à elle, venue compliquer les choses. Nous sommes donc dans une phase de latence par rapport aux négociations au niveau des APE. Les travaux continuent et chaque pays avance en disant, voilà les produits que je veux protéger. Nous négocions avec l’Union européenne pour savoir le niveau de taxe qu’il faut baisser, mais surtout nous avons insisté pour qu’il y ait un programme APE pour le développement (PAPED). Nous avons donc pensé que c’était l’une des grandes divergences que nous avions avec l’Union européenne, que ce n’est pas qu’un programme de commerce mais un programme de développement. Si ce n’était qu’un programme de commerce, cela ne nous intéresserait pas du tout. Parce que sur les 15 pays de la CEDEAO, il n’y avait que trois qui étaient des pays à revenu intermédiaire, ce sont la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria. Tous les autres étaient des Pays moins avancés (PMA) et n’avaient donc pas besoin de faveurs particulières puisqu’ils étaient dans plusieurs accords, sauf des armes, des accords qui leur permettaient de négocier et de vendre leurs produits normalement.

C’est d’ailleurs pourquoi il y a eu des accords intérimaires avec le Ghana et la Côte d’Ivoire. Mais en réalité, nous sommes pour un accord global sinon la dynamique régionale sera cassée et l’on cassera par conséquent l’intégration et nous risquons d’avoir plusieurs tarifs extérieurs communs à l’intérieur de la même zone. Cela n’est ni jouable, ni faisable encore moins gérable. Pour être plus clair, disons que les négociations traînent, il y a encore quelques difficultés de part et d’autre, mais nous continuons les travaux et j’espère que tout va reprendre dans le bon sens.

Il y a eu des accords avec certains pays pris isolément dans la sous-région. Est-ce à dire que les pays ne sont pas solidaires ?

Disons qu’il faut chaque fois remettre la décision dans son contexte et se référer surtout au moment où elle a été prise. Sur à peu près un milliard d’euros pour le niveau des échanges des produits que nous exportons vers l’Europe, il y avait 700 000 000 pour la Côte d’Ivoire, 200 000 000 pour le Ghana. Vous voyez qu’il ne reste pas grand chose. Si l’on empêchait la Côte d’Ivoire d’avoir un accord à l’époque, ces 700 000 000 qui portaient essentiellement sur la banane lui resteraient dans les bras. Avec la concurrence de la banane de la Caraïbe, elle n’aurait pas pu vendre. Dans les navires qui font ce transport, il faut ajouter les oignons du Niger, les mangues du Mali et du Burkina qui profitent un peu de ce trafic-là parce que les pays ne peuvent pas les exporter tous seuls, car ils ne pourraient pas remplir les navires. Le risque était réel pour un pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana également dans une moindre mesure, d’avoir des pertes de recettes énormes, sans compter le nombre de paysans qui sont derrière et les familles que ces paysans prennent en charge.

On était confronté à une situation très difficile et les accords faisaient qu’il y avait une date butoir en fin 2007. Il fallait qu’au premier janvier 2008 on ait conclu sinon, l’on passait à une seconde phase. Je dirai Dieu merci parce que les hommes sont toujours intelligents pour trouver une solution palliative et on s’en est sorti par un accord qui est signé mais qui est un peu gelé parce que s’ils veulent obliger la Côte d’Ivoire à l’appliquer intégralement, ils vont être en porte-à-faux avec le reste des pays de l’UEMOA. Mais il faut reconnaître que nous avons donné un accord à la Côte d’Ivoire pour une dérogation afin qu’elle puisse parapher cet accord intérimaire surtout pour faire face à la situation. Entre- temps, beaucoup d’interlocuteurs ont changé, la situation mondiale a changé et les choses ne sont pas exactement comme elles avaient été prévues. Ce qui fait que l’on peut renégocier tout cela dans le calme, tout en restant solidaire bien sûr.

Comment le dialogue se mène-t-il entre les deux communautés, la CEDEAO et l’UEMOA ?

Il y a énormément de choses que nous faisons ensemble. Si nous prenons le cas des négociations sur les APE, nous sommes deux. Le président de la Commission de la CEDEAO et moi-même. Nous négocions ensemble. Nous sommes assis côte à côte et nous nous consultons. Sur les politiques également, il y a des politiques qui sont extrêmement communes. C’est le cas du transport, de l’énergie, des télécoms et du commerce. Nous partageons les choses. S’il y a une harmonisation ou une coordination tel le cas de l’axe Bamako-Ouagadougou-Accra, nous le faisons. Nous faisons venir le ministre ghanéen comme s’il faisait partie de l’UEMOA, et c’est la même chose pour la Guinée dans certains domaines. Dans d’autres domaines aussi sur le corridor, le long de la côte, c’est la CEDEAO par exemple qui coordonne. Tout se passe très bien. Aussi, finançons-nous actuellement avec la CEDEAO, l’énergie en Guinée Bissau en attendant qu’elle règle certains de ses problèmes. Nous arrivons donc à travailler en bonne intelligence. Ensuite, nous avons un secrétariat conjoint qui se réunit au moins deux fois par an et qui coordonne pour éviter que l’on se marche sur les pieds.

Nous avons des financements qui sont communs comme dans certains programmes de l’Union européenne et nous les gérons de commun accord. Globalement, nous sommes convenus que là où ils sont meilleurs, nous faisons comme eux et là où nous sommes meilleurs, ils font comme nous. C’est cela qui nous fait avancer et je pense qu’il y a beaucoup de choses qu’ils ont prises chez nous, que ce soit la Commission dans le cadre de son organisation ou que ce soit les différentes politiques régionales. Mais ils sont beaucoup plus en avance dans les aspects politiques, sécuritaires et de paix et nous essayons là aussi de les copier. Finalement, nous nous complétons assez bien en essayant, de notre côté, d’aller vers une union beaucoup plus large. C’est pour cela que nous avons ouvert, au niveau du traité, la possibilité pour les Etats de s’associer.

La Guinée est associée à nous par exemple sur la politique du tourisme et le tarif extérieur commun que nous avons est à peu près le même que celui du Ghana. Les Etats peuvent donc s’associer à nos différentes politiques pour essayer qu’on se rapproche les uns des autres. Eventuellement, pour la monnaie, l’on pourra contacter d’autres pour voir s’ils peuvent adhérer à nos politiques. J’ai eu l’occasion d’aller moi-même en Guinée pour cela mais bien avant tous ces changements. Je pense que quand tout va se calmer, l’UEMOA entamera une offensive vers la Guinée pour voir si elle est intéressée à participer à notre aventure monétaire.

L’Union cherche à coopter la Guinée pour le F CFA. La question de la monnaie est-elle donc un serpent de mer ?

Ce n’est pas un serpent de mer, mais seulement c’est difficile. Nous avons la chance déjà, nous sommes 8 sur 15. Nous avons une monnaie qui est prouvée depuis de longues années, nous avons la même banque centrale et une longue expérience de gestion de cette monnaie. Le premier schéma c’était une deuxième monnaie. Des dates avaient été fixées mais malheureusement, elles n’ont pas été tenues. Il faut un minimum de convergence pour passer à la même monnaie. Pourtant, les économies des pays sont très loin les unes des autres, ce qui cause beaucoup de problèmes. Plusieurs dates ont été fixées et la prochaine est fixée pour 2013. Comme la Guinée Bissau est venue à la zone UEMOA et que d’autres peuvent encore venir, nous allons dans le même sens. L’objectif final est de parvenir à une seule et unique monnaie. Qu’on le fasse avec deux monnaies concurrentes ou qu’on fasse progresser le plus loin possible celle qui existe déjà, l’objectif est d’y arriver et tous les deux chemins sont des raccourcis.

L’UEMOA semble s’accrocher au Franc CFA et la CEDEAO veut autre chose. Quelle est votre position sur ce débat ?

Je pense que c’est un faux débat. D’abord parce que nous sommes de la CEDEAO aussi. Car tous les huit pays de l’UEMOA sont de la CEDEAO et sur le plan numérique nous sommes majoritaires. Ensuite, dans la pratique, le franc CFA sert de devise. Que vous soyez au Ghana, au Nigeria ou dans d’autres pays, les gens s’arrachent le franc CFA parce qu’il est convertible, garanti et permet d’accéder au marché international. Il faut faire très attention parce que nous sommes dans des pays qui ont besoin d’importer un certain nombre de choses pour la vie quotidienne des populations. Pour parler de notre propre monnaie, elle est garantie par nos avoirs à nous, notre or et les devises que nous récoltons. Les réserves que nous avons sont nos réserves propres, elles n’appartiennent pas à quelqu’un d’autre. Nous avons revu les accords avec la France et aujourd’hui, la seule exigence pour assurer la garantie avec l’euro, c’est d’avoir 50% des réserves dans le Trésor français. Les 50 autres, nous les gérons comme nous le voulons pour assurer la sérénité de nos populations.

Dans le monde entier, les monnaies sont interdépendantes et une monnaie n’a de valeur que si les autres ont confiance en elle. Si les gens n’ont pas confiance en votre monnaie, ce n’est que du papier dans vos mains. Aujourd’hui, si vous allez dans certains pays de la CEDEAO, tout le monde est millionnaire parce que tout simplement, la monnaie n’a pas la valeur qu’on souhaite et beaucoup seraient plus contents d’être riches dans le CFA que dans les monnaies qu’ils possèdent. Nous avons une monnaie qui est solide et il ne faut pas s’en défaire. Ceux qui gèrent la monnaie sont des cadres de l’UEMOA. Quand vous allez à Dakar, ce sont eux qui gèrent la monnaie et qui assurent la sécurité de nos populations. Après la dévaluation, nous étions contents de revenir à quelque chose de beaucoup plus stable.

L’on aurait pu décrocher. Je suis d’un pays où l’on avait notre monnaie avec la tête du chef de l’Etat dessus, nous la fabriquions nous-mêmes, mais avec quel niveau d’inflation ? Quel niveau de salaires ? Pourquoi sommes-nous revenus au franc CFA ? Justement, il fallait stabiliser notre monnaie. Mais beaucoup de gens oublient que le Mali n’est revenu au franc CFA qu’en 1984. Alors, sans l’UEMOA, beaucoup de pays auraient été dans des situations extrêmement difficiles. Il ne faut pas en avoir particulièrement honte. L’important est que ce soit bien géré, que les fondamentaux économiques soient respectés et que les populations puissent vaquer à leurs affaires dans de très bonnes conditions sans avoir cette hypothèque. Avant, pour sortir du Mali et aller commercer, importer du sucre ou de la farine, il fallait beaucoup de papiers. Nous avons dépassé cela et il ne faut pas revenir en arrière.

Quel est aujourd’hui le partenaire stratégique de l’UEMOA, en termes de soutien à l’intégration ?

Je pense que le premier partenaire, c’est nous-mêmes. On construit notre communauté pour nous-mêmes d’abord. Nous sommes financés par nos Etats à travers le prélèvement communautaire de solidarité (PCS). Notre budget est autonome à 60% et l’essentiel des activités de la Commission est financé par nous-mêmes. Sinon, parmi nos partenaires, il y a l’Union européenne, la France, la BAD et la BOAD et dans une moindre mesure des pays comme la Hollande, etc. Certains financent des projets, d’autres nous appuient dans le fonctionnement. Mais l’intégration est basée d’abord sur notre propre force. Tout produit qui rentre sur le territoire communautaire est taxé à 1%.

Justement, dans le cadre des négociations sur les APE, l’Union européenne souhaite voir tomber cette taxe qu’elle considère comme une taxe douanière ?

Nous leur avons dit que cela n’était pas négociable. Nous avons dit que le PCS ne sera pas supprimé et nous n’allons pas prendre le risque d’être dépendants de l’extérieur. Si notre fonctionnement doit dépendre du partenaire avec lequel on négocie, on n’a plus d’autonomie, ni de souveraineté. Il y a deux ou trois choses comme cela que nous avons refusées dans la négociation. Il y a la clause de la nation la plus favorisée. On est prêt à vous accorder ce qu’on accorderait à d’autres pays si ces pays-là nous accordent des avantages sur lesquels nous pouvons nous aligner. Cela visait les pays comme la Chine ou l’Inde. Il y a également la clause de non-exécution qui veut que si un seul pays ne respecte pas l’accord, on sanctionne tout le monde. Nous avons dit là aussi non. Le PCS n’est pas discutable, c’est la base de notre vie en communauté.

L’Union européenne est–elle le principal bailleur de la Commission ?

Nous avons un long compagnonnage avec l’UE. Ce fut le premier partenaire lors de la mise en place de nos institutions. Mais aujourd’hui, il y a des partenaires tels que la BAD, la BOAD, la France qui montent.

L’Union européenne finance le Programme Qualité qui, soit dit en passant, prépare nos économies aux APE. Etes-vous satisfait de sa mise en œuvre ?

C’est un programme que nous déroulons depuis 2002 avec l’appui technique de l’ONUDI. Il consiste à dire que si demain nous voulons faire la concurrence avec les produits européens, il faut que nous ayons des entreprises qui ont une certaine qualité de produits. On ne peut plus vendre n’importe quoi sur n’importe quel marché. Il faut se soumettre aux standards internationaux. La mise en œuvre de ce programme a permis à un certain nombre d’entreprises de se mettre aux normes et de pouvoir exporter librement sur le marché international. A côté de ce programme Qualité, il y a le programme de mise à niveau des entreprises (PRMN). Tout cela a permis à certaines entreprises de reconquérir des marchés qu’elles avaient perdus. Une entreprise du Bénin était dans ce cas. Aujourd’hui, elle réexporte vers l’Union européenne sans problème. Ce sont des aspects de développement. On ne peut commercer avec l’autre que si nous aussi pouvons lui vendre nos produits. Un produit comme la mangue, si une seule de la cargaison porte une puce, c’est tout le lot qui est déclassé. Il faut donc faire face à tout cela : les aspects sanitaires, le calibrage, la traçabilité ,etc

L’après-UEMOA pour vous, c’est la candidature à la présidence du Mali ; c’est un challenge qui ne vous fait pas peur ?

Non, j’ai eu à m’engager dans la course en 2002. 8 ans après, je pense avoir mûri. J’ai beaucoup appris à l’international, au contact des populations autour du Mali et auprès des différents chefs d’Etat. Pour gérer un pays, il y a trois choses importantes : le connaître de l’intérieur d’abord et connaître le quotidien des populations. J’ai fait cette expérience en tant que responsable de la société cotonnière du Mali. J’ai donc côtoyé les paysans au quotidien. La deuxième chose, c’est de gérer les affaires de l’Etat. J’ai été ministre des finances pendant 7 ans, ministre de l’équipement, de l’aménagement du territoire, de l’environnement et de l’urbanisme. J’ai eu la chance d’être secrétaire général de la présidence et je pense connaître les rouages du fonctionnement d’un Etat. La troisième chose est de savoir gérer l’international, c’est-à-dire connaître les problèmes de mon pays puis des pays voisins, voir avec les partenaires comment ils appréhendent nos pays et la région. Ces trois éléments me mûrissent et m’aident à envisager cette campagne pour la présidence.

Huit ans, loin de sa base, l’effet d’éloignement n’est-il pas un handicap à votre candidature ?

Je suis au quotidien avec le Mali et les Maliens puisqu’ils font partie de l’UEMOA. A partir de Ouaga, je suis plus proche des trois quarts du Mali que de Bamako par l’ouest du Burkina. Dans les pays de l’UEMOA où je me rends régulièrement, il y a de fortes colonies du Mali. Contrairement à ce que l’on croit, les plus fortes colonies maliennes sont au sein de l’UEMOA qu’en France ou ailleurs. Donc, je ne me suis jamais senti coupé de mes compatriotes. J’appartiens à un parti politique qui est dynamique, qui a des députés, des ministres et qui est bien positionné sur l’échiquier national. Aujourd’hui, avec l’internet et les nouvelles technologies, on n’est jamais isolé.

La bataille semble très ouverte entre les prétendants et on dit que chacun cherche le soutien de ATT. Est-ce votre cas ?

Aucune bataille politique n’est facile et il ne faut jamais sous-estimer un adversaire. Les appuis que vous avez, d’autres les ont. Donc il faut faire très attention à ce niveau. Seule une conjonction de facteurs peuvent faire que vous soyez élu ou pas. Un président sortant est toujours un facteur extrêmement important pour les autres candidats. Personne n’a intérêt à se le mettre à dos. S’il a été président, c’est que des gens ont cru en lui, des gens qu’il peut faire voter ou pas. Quelque part, c’est un grand électeur. Donc ce soutien est à rechercher s’il le faut au palais de Koulouba.

Vous allez tenter de succéder à ATT, un président charismatique. Avant lui, il y a avait Alpha Omar Konaré. N’avez-vous pas peur ?

Je n’ai pas peur. Il n’y a pas lieu d’avoir peur. J’ai pris dix ans de galons. Je pense être prêt. Il faut savoir ce que l’on veut pour son pays. Je pense avoir les atouts pour le faire. J’ai eu la chance de connaître ces deux hommes et j’ai travaillé avec chacun d’eux. Je pense avoir appris beaucoup de choses avec eux. ATT , je le connais depuis ma tendre enfance, dans les années 1962. Je connais leur charisme et leur succès. C’est ce qui me pousse à m’engager et à vouloir faire autant sinon plus. Je m’inscris dans leur sillage. C’est un héritage commun qu’il faut faire fructifier dans la mesure où j’ai eu à servir dans leurs gouvernements respectifs. Evidemment, personne ne peut faire exactement comme l’autre. Il s’agit de bien faire ce que nous aurons à faire et de prolonger ainsi les actions qu’ils ont commencées.

Quand vous avez annoncé votre candidature, quelle a été la réaction de ATT ?

Je ne le lui ai pas demandé. Je l’ai juste informé de ma candidature par courtoisie. Il est donc au courant et je n’ai pas senti d’hostilité particulière.

Votre investiture à l’américaine annonce –t-elle une campagne dans le même sillage ?

On essaye de faire les choses à la dimension souhaitée. Nous avons annoncé cette investiture comme il faut, nous ne sommes pas allés chercher les gens pour venir assister. Les gens sont sortis très nombreux et nous allons essayer de garder cette mobilisation pour la suite. Nous allons faire une campagne de proximité pour que chaque sympathisant et militant se batte là où il est pour faire voter une, deux, trois personnes. C’est ainsi que nous allons y arriver. Nous allons être honnêtes avec les gens. Dire ce que nous allons faire et surtout le faire.

Vous êtes candidat déclaré au Mali et toujours président de la Commission ; qu’est-ce qui vous retient ?

C’est une situation que je n’aurais pas souhaitée. Depuis le 1er mars, j’aurais dû céder mon fauteuil. D’ailleurs toutes mes affaires sont déjà parties, ma famille est également partie. Quand on est responsable, on ne claque pas la porte pour des besoins personnels. Il y a quelques discussions avec les chefs d’Etat pour se mettre d’accord sur le nom du futur président de la Commission. Les commissaires sont nommés et installés mais il n’y a pas encore de décision finale quand à celui qui sera le futur président de la Commission. Il n’y a pas eu de décision finale pour le choix du président entre le candidat du Sénégal et celui du Niger. Je ne vous cache pas que demain, je vais au Togo pour rencontrer le président de la conférence des chefs d’Etat en espérant qu’il a eu une solution (NDLR : l’interview a eu lieu le 12 octobre 2011) Ce que je souhaite, c’est qu’il y ait un président qui continue de relever le défi pour la région. Et ce défi est important pour le Mali ainsi que pour moi demain. C’est à partir de ce moment que je pourrai me libérer. Mais les chefs d’Etat connaissent mon agenda politique et ils sont d’accord que je continue à le dérouler parce que ce n’est pas de ma faute si je suis encore en poste.

Avez-vous un droit de regard sur la nomination du prochain président de la Commission ?

Non , c’est une décision souveraine des chefs d’Etat. Ce sont eux qui choisissent les commissaires et décident de qui sera le président. Si on me demande mon avis, je le donnerai.

Vous allez bientôt quitter le Burkina, une pensée pour vos hôtes ?

Je voudrais dire que j’ai été très bien reçu et très bien accueilli au Burkina. Ce pays est mon pays tout simplement. Ce que beaucoup de personnes ne savent pas, c’est que j’ai de la famille ici. J’ai ma sœur qui est mariée ici et ses enfants y sont mariés également. J’ai donc des neveux et des petits-enfants Burkinabè. Ma famille se prolonge naturellement au Faso. C’est vous dire que je n’ai jamais été dépaysé ici. Ceci dit, j’ai trouvé un peuple accueillant et extrêmement travailleur. La Commission de l’UEMOA effectue son travail dans de très bonnes conditions. Pour la population, il faut s’en féliciter. Il faut la remercier ainsi que les autorités. Parce que la population a beau être accueillante, si les autorités vous sont hostiles, vous n’arriverez à rien. Ce qui n’a pas été le cas. Nous avons bénéficié d’un soutien au plus haut niveau. Celui du président du Faso lui-même et du gouvernement. Franchement, je tiens à vous dire que je ne me suis jamais senti à l’étranger ici. Je partirai avec un petit pincement au cœur.

Le Pays, Burkina Faso (via lefaso.net) – 19 octobre 2011

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