Tous les acteurs de la crise sociopolitique, qui frappe le Mali depuis le 22 mars 2012, avaient reconnu ” la nécessité pour les fils ce pays de s’asseoir pour se parler ” (la formule est revenue dans plusieurs discours). Après en avoir esquissé quelques pas de ce forum, les autorités et les acteurs politiques constatent les blocages dans le processus de son organisation. Toute chose qui plaide, révèle-t-on, au renvoi pur et simple de l’organisation de ces assises dans les tiroirs des oubliettes.
En effet, après la tension consécutive au coup de force du 22 mars, suivi des menaces de mort liées à l’affaire dite des bérets rouges, le Mali avait frôlé, qu’à Dieu ne plaise, le pire. Même si au jour d’aujourd’hui, le pays n’est pas encore sorti de l’auberge, il est loisible de constater un quasi retour à la normale. Cela amène à réfléchir sérieusement à la question de l’opportunité même d’une concertation nationale par rapport à la sortie de crise. C’est-à-dire que les vertus pédagogiques tant vantées d’une telle assise suscitent des interrogations. En clair, si les blessures provoquées par le putsch du 22 mars étaient en voie de cicatrisation, l’on peut craindre qu’un forum permettant aux pro et anti-putsch de discuter des problèmes de la nation vienne les rouvrir.
D’abord, il faut souligner qu’une “conférence nationale “ (souveraine en 1991, après le renversement du Général Moussa Traoré) s’impose après un coup d’Etat lorsque le renversement du pouvoir en place n’est pas suivi d’un retour à l’ordre constitutionnel.
En outre, il faut avouer qu’un axe majeur de la convention nationale évoquée par le capitaine Amadou Haya Sanogo, fixée en début juillet puis reportée concernait la définition des organes et la feuille de route de la transition. Or, il est de notoriété aujourd’hui qu’une feuille de route a été élaborée par le Premier ministre Cheick Modibo Diarra. Elle se résume d’ailleurs à deux points focaux : libérer le nord du pays et organiser des élections crédibles dans un délai raisonnable.
Les principaux organes de la transition sont désormais connus : le président de la République par intérim, le Premier ministre, l’Assemblée nationale. Auxquels il faut ajouter les autres organes proposés par le président dans son message à la nation du 29 juillet 2012. Il s’agit du Haut Conseil d’Etat (HCE), du Conseil national de transition (CNT), de la commission nationale aux négociations (CNN).
Par ailleurs, les acteurs politiques qui se sont montrés impatients à propos de la tenue des concertations nationales étaient mus par un désir de désigner un nouveau président de la transition. La COPAM et surtout le MP-22 avaient, à plusieurs reprises, affirmé que Dioncounda Traoré ne devait pas assumer les hautes charges de l’Etat, son intérim de ” quarante jours au plus étant expiré “. Mais, depuis l’avis de la Cour constitutionnelle du 31 mai affirmant que «le président de la République par intérim reste en fonction jusqu’à l’élection d’un nouveau président de la République», ce grief des pro-putschistes devient désuet!
En outre, depuis la mise en place, le 20 août dernier, d’un gouvernement au sein duquel plusieurs bords politiques se retrouvent, le pays trouve dans cette équipe gouvernement un cadre de dialogue et d’échanges sur les grands problèmes de l’heure. Même si la COPAM n’est entrée au gouvernement (avec deux de ses cadres, du reste contestés par d’autres groupes de la COPAM) qu’après s’être fait promettre que la convention nationale se tiendra dans les trois semaines qui suivent, il faut reconnaître que des blocages subsistent dans la l’organisation de ce forum.
En effet, par une décision du 15 août déjà, le Premier ministre a créé un comité technique chargé de l’élaboration des termes de référence de la concertation nationale. Présidé par Dr Adama Traoré de la COPAM, ce comité a pour rapporteur le tout nouveau ministre de la promotion des langues nationales et de l’instruction civique, Bocar Moussa Diarra de l’Alliance IBK Mali 2012. Ce comité ne comporte aucun membre de la CSM, ni du FDR, ni de l’ADPS. Saisi lundi dernier par la primature pour désigner leur représentant devant siéger dans cette commission d’organisation du forum, le FDR a plutôt exigé la transmission des termes de références et éventuellement la liste des autres membres de la commission. Même son de cloche au niveau des autres regroupements qui ne semblent plus pressés pour aller à cette convention.
Certaines voix s’élèvent pour contester l’inopportunité de telles assises dans la mesure où elles apparaissent comme pouvant diviser plutôt que favoriser une réconciliation entre les esprits. De même, la fissure apparue dernièrement entre les responsables du camp pro-putsch pourrait s’exacerber au moment où Oumar Mariko, Younouss Hamèye Dicko, Rokia Sanogo et les autres estiment avoir été trahis par Hamadoun Amion Guindo et son allié Adama Traoré.
En définitive, certains observateurs proposent que les termes de référence de la concertation nationale soient redéfinis essentiellement autour de la problématique de la refondation de l’armée, avec en toile de fond le problème entre bérets rouges et bérets verts. A cela doit s’ajouter, en place de choix, les propositions faites par le président de la République par intérim dans son message à la nation. Pour d’autres acteurs politiques, ces questions ne nécessitent pas un forum quelconque.
L’Assemblée nationale doit jouer son rôle en examinant les propositions de création des organes tels que le HCE, le CNT et la CNN. Une mission ad hoc de médiation composée de religieux peut aider à réconcilier les frères d’armes maliens. Comme on le voit, à force de réflexions, de tâtonnements et de blocages, la tenue de la concertation nationale risque simplement d’être rangée dans les oubliettes. Pour ne pas perdre du temps à amuser la galérie et concentrer toutes les énergies sur la libération du nord qui, semble, du reste, sous de bons auspices. Que Dieu sauve le Mali !
Bruno D SEGBEDJI