La société civile malienne n’a pas que des admirateurs. Ses détracteurs lui adressent deux reproches principaux : elle nourrit des ambitions politiques et reste superbement ignorée par la Constitution, qui ne fait cas d’elle dans aucun de ses articles. Mais le renouveau démocratique a également créé les conditions de lutte contre toute velléité de retour à l’autocratie. Sentant la menace d’un tel retour, la société civile se constitua, se mit en marche et fit feu de tout bois, pour maintenir et tenir les valeurs, ce que la classe politique ne pouvait pas faire.
Ces années sans boussole sont à considérer comme l’âge d’or de la société civile malienne. Pourquoi n’entend-on plus et ne voit-on plus cette société civile à la vaillance exemplaire ? Les héros sont-ils fatigués ? Il va falloir répondre à ces questions, en essayant de dire tout simplement ce qu’est idéalement et de façon inaltérable la société civile et telle qu’elle sera toujours en elle-même, malgré les impuretés qui peuvent venir l’entacher du fait de la pratique imparfaite des hommes et des femmes qui la constituent et qui passent. On répondra à la question en partant de deux objections courantes, qui ne résultent pas nécessairement de ce que l’on vient d’appeler pratique imparfaite mais de préjugés un peu faciles, de jugements pro-domo. Les réponses à ces deux objections permettront de faire un tour d’horizon de la question de la société civile au Mali. Si oui, il y a lieu de parler de « Grandeur et misère de la société civile du Mali», en faisant toutefois attention à ne pas s’arrêter à « misère », puisque, aussi bien, le soleil qui se lève se couche et se lève encore. C’est donc toujours à grandeur qu’il faut revenir. Grandeur d’une existence non consignée, comme telle, dans la Constitution.
Car il faut répondre d’abord à la seconde objection. Les politiciens malveillants, qui supportent mal les critiques de la société civile, jettent souvent au visage de ses membres la non-constitutionalité de l’instance dont ils se réclament. Et ils ne croient pas si bien dire. En effet, le pire des services que l’on puisse rendre à la société civile, c’est de vouloir la définir, au sens de la contenir, de l’enfermer dans un article. On peut toujours s’y essayer, on n’y arrivera pas ou très difficilement et toujours de façon incomplète. Parce que la société civile est, elle aussi, « une force qui va ». L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation. De la nécessité du combat pour la liberté, pour les libertés et pour la libre expression. Car c’est bien de cela qu’il s’agit fondamentalement. Et c’est en cela que la société civile n’est pas seulement nommée de façon éparse et diffuse dans la Constitution, mais que c’est l’ensemble de la Constitution démocratique qui la nomme en filigrane et constamment. Non pas elle, mais la société toute entière, dont elle se veut l’expression dans tous ses compartiments, et dont elle exprime l’aspiration profonde à la liberté, à la démocratie.
Modibo Traoré