Scrutin présidentiel : Un arrêté scandaleux sur l’utilisation des cartes NINA

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Ces derniers temps, il circule sous le manteau, un projet d’Arrêté portant sur les modalités d’application de l’article 210 de la loi électorale relatif aux conditions d’utilisation de la carte NINA en cas de non disponibilité des cartes d’électeurs pour raison de force majeure. Un Arrêté totalement scandaleux, concocté par le ministre chargé de l’Administration territoriales qui défie tous les principes de l’Etat de droit. Rien que par son intitulé kilométrique généralement révélateur d’inconfort juridique, on peut déjà mesurer à sa juste valeur l’instinct de bricolage qui caractérise ce projet d’Arrêté. Jugez-en vous-mêmes : « Arrêté fixant les modalités de constatation des événements donnant lieu à la déclaration de cas de force majeure pour l’utilisation de la carte NINA en lieu et place de la carte d’électeur » ! En fait, la longueur kilométrique de l’Arrêté est proportionnelle à l’énormité des irrégularités qui la minent. L’Arrêté traduit une fois de plus la grande misère juridique qui sème la désolation au cœur de la République et de ses institutions.

Ce que dit l’Arrêté

L’Arrêté s’attache d’abord à égrener en son article 2 quelques formes de force majeure comme « les catastrophes, les calamités naturelles ou les événements exceptionnels ». En vérité, cet égrenage incapable de réaliser que les catastrophes et les calamités naturelles ne sont avant tout que des événements exceptionnels, est totalement superfétatoire. En tant que principe général du droit, la force majeure d’origine prétorienne s’applique même en l’absence de texte. Elle se définit moins par ces formes que par ses caractéristiques intrinsèques d’origine jurisprudentielle qui se ramènent à son extériorité, à son imprévisibilité et à son irrésistibilité. L’autre anachronisme de l’Arrêté résulte de son inclination à vouloir agir dans l’urgence tout en érigeant sur ce chemin des obstacles institutionnels et procéduraux superflus. En d‘autres termes, l’Arrêté se hâte lentement, voire très lentement au mépris du bon sens. Par définition, l’occurrence de la force majeure créé naturellement une situation d’urgence nécessitant logiquement une réaction rapide. Or l’article 3 de l’Arrêté institue « une commission présidée le cas échéant par le Préfet, le Gouverneur du District de Bamako, l’Ambassadeur ou le consul ». L’Arrêté en rajoute à cette lourdeur inutile et inappropriée en précisant que cette commission est « composée du président du démembrement de la Commission électorale nationale indépendante concernée et des représentants des partis politiques présents dans la circonscription administrative ou la juridiction de l’ambassade ». On notera au passage que l’Arrêté s’est royalement assis sur les candidatures indépendantes qui ne se réclament d’aucun parti politique et qui sont superbement méprisées dans son attelage institutionnel grotesque. Toujours est-il que l’opérationnalisation d’une telle commission demandera nécessairement du temps dont ne peut s’accommoder une procédure d’urgence, qui plus est en matière électorale où c’est l’exercice d’un droit constitutionnel qui est en cause. Par ailleurs, toujours au niveau de son article 3, l’Arrêté omet en cours de chemin le Gouverneur du District de Bamako, l’Ambassadeur et le Consul en ne retenant plus que le seul « représentant de l’Etat dans le cercle » (Préfet) qui est chargé de « dresser le rapport de constatation des évènements donnant lieu à déclaration de cas de force majeure », rapport « assorti de conclusions et éventuellement de recommandations et signé par ses membres ». Enfin, de manière habile mais totalement illégale, l’Arrêté a purement et simplement substitué au ministre chargé de l’Administration territoriale légalement compétent, la Cour constitutionnelle qui, au bout du compte, endosse la responsabilité de la justification de la non disponibilité des cartes d’électeurs pour raison de force majeure. Ce rocambolesque délégation déguisée de compétence, est opéré en deux temps par l’Arrêté. D’une part, comme prévu en son article 3, le rapport de la commission de constatation « est transmis sans délai au ministre chargé de l’Administration territoriale qui saisit la Cour constitutionnelle pour la déclaration du cas de force majeure ». D’autre part, l’article 4 dispose : « Après la déclaration par la Cour constitutionnelle du cas de force majeure, le ministre chargé de l’Administration territoriale précise par décision les communes ou les centres de vote concernés ainsi que le nombre d’électeurs concernés autorisés à voter par la carte NINA ». Et le tour est joué ! C’est un véritable tour de passe-passe du ministre chargé de l’Administration territoriale qui s’est défaussé de sa responsabilité légale au profit de la Cour constitutionnelle. Personne ne pourrait plus s’en prendre au ministre ainsi bien planqué derrière la Cour constitutionnelle qui va devoir endosser le « sale boulot »!

 

Un Arrêté qui modifie l’article 210 de la loi électorale

L’Arrêté a tout simplement tordu le cou à l’article 210 de la loi électorale en faisant porter illégalement par la Cour constitutionnelle, la responsabilité de la constatation de la force majeure. Dans une République qui n’est pas bananière, il est inconcevable qu’un texte de nature règlementaire comme un simple Arrêté ministériel, puisse modifier une loi. Il est encore inadmissible qu’un simple Arrêté puisse attribuer une compétence nouvelle à une institution comme la Cour constitutionnelle. C’est du jamais vu ! C’est toute la limite du prétentieux Arrêté ministériel qui tente non seulement de modifier par voie règlementaire les dispositions de l’article 210 de la loi électorale, mais aussi qui a le culot de fixer une compétence nouvelle à la Cour constitutionnelle. L’article 210 de la loi électorale est d’une clarté indiscutable. La volonté du législateur de conférer au ministre chargé de l’Administration territoriale la responsabilité pleine et entière d’évaluer lui-même la force majeure d’indisponibilité des cartes d’électeurs et de décider de l’utilisation subséquente des cartes NINA ne se prête à aucune interprétation. De la lettre de l’article 210 et de son esprit, il ne résulte un quelconque jeu de rôle dans sa mise en œuvre qui verrait le ministre se charger de réunir les éléments nécessaires à l’établissement des preuves de la force majeure qu’il transmettrait ensuite à la Cour constitutionnelle qui procède à la déclaration de cette force majeure. Au contraire, l’article 210 responsabilise totalement le ministre sur toute la ligne de constatation de la force majeure et de décision de recours à la carte NINA dans les centres de vote concernés. C’est le législateur qui a délibérément voulu qu’il en soit ainsi sans aucune interférence de la Cour constitutionnelle à ce niveau. Si le ministre réalise aujourd’hui qu’il n’est pas en capacité d’assumer pleinement la responsabilité qui, de manière expresse, lui incombe en vertu de l’article 210, il ne peut s’en prendre qu’à sa loi électorale mal ficelée par les députés godillots de sa majorité parlementaire. Il n’a qu’à s’en prendre en particulier à ses commissions parlementaires spécialisées dans des auditions folkloriques d’experts dont elles ne tiennent aucun compte des avis éclairés. En tout état de cause, ce n’est pas un petit Arrêté ministériel qui peut suppléer aux carences d’une loi mal ficelée.

 

Une tentative d’instrumentalisation de la Cour constitutionnelle ?

En règle générale, aucune intervention de la Cour constitutionnelle dans le processus électoral matériel n’est possible, si elle n’est pas expressément prévue par la loi ou la Constitution. Toutes les fois que le législateur l’a jugé nécessaire et au-delà de ses attributions contentieuses classiques, la Cour constitutionnelle a toujours été explicitement citée lorsqu’il s’est agi de la faire intervenir dans le cadre des opérations matérielles d’organisation des élections. Nul ne saurait contester le fait que la loi électorale est toujours explicite chaque fois qu’elle entend requérir la caution de la Cour constitutionnelle par rapport à telle ou telle opération matérielle d’organisation. C’est le cas par exemple à l’article 68 qui exige l’avis préalable de la Cour constitutionnelle avant l’adoption du décret relatif au modèle de déclaration de candidature à la présidentielle et aux législatives. On ne peut dans ces conditions comprendre comment le ministre s’est débrouillé pour associer illégalement la Cour constitutionnelle à l’exercice d’une compétence qui lui revient de droit à lui tout seul. Il faut savoir que l’article 210 n’est pas la seule disposition de la loi électorale à opiner sur la force majeure. Bien d’autres dispositions évoquent les cas de force majeure dans la mise en œuvre desquels il n’a nullement été question d’une quelconque intervention de la Cour constitutionnelle. C’est ainsi par exemple que l’article 88 prévoit qu’en cas de force majeure, les heures d’ouverture et de clôture du scrutin peuvent être fixées par le Préfet, le Gouverneur, l’Ambassadeur ou le Consul. Au même article, il est prévu que si par suite d’un cas de force majeure, les enveloppes réglementaires des bulletins multiples font défaut, le président du bureau est tenu de les remplacer par d’autres enveloppes d’un type uniforme. L’article 88 va jusqu’à prévoir qu’en cas de force majeure empêchant le déroulement du scrutin, le vote pourra être reporté de vingt-quatre (24) heures par arrêté du ministre chargé de l’Administration territoriale sur proposition du Préfet, du Gouverneur du District, de l’Ambassadeur ou du Consul. On retrouve également à l’article 154 de la loi électorale l’hypothèse de la force majeure donnant droit au remboursement de la caution présidentielle de 25.000.000 FCFA à un candidat qui renoncerait à participer à l’élection. On constate que dans aucune de ces hypothèses de force majeure, le législateur n’implique à quelque niveau que ce soit la Cour constitutionnelle. Contrairement à la CENI chargée de la supervision et du suivi général des opérations électorale, les attributions de la Cour constitutionnelle en matière de contrôle de la régularité des élections ne se présument pas, surtout lorsque celles-ci interfèrent sur les opérations matérielles d’organisation. Dans le silence le plus absolu de la loi, le Ministre n’a pas à s’arroger des prérogatives de distribution d’attribution en se cachant derrière la Cour constitutionnelle à laquelle il se permet de déléguer une partie substantielle de sa mission légale. Le Secrétariat Général du Gouvernement(SGG) commettrait une véritable bévue en laissant passer cet illégal Arrêté qui ne participe que d’un exercice d’instrumentalisation de la Cour constitutionnelle. Toute la question est de savoir si la Cour va y obtempérer au cas où le SGG se plieraient à des désidératas politiciens en entérinant l’illégal Arrêté. Il reste évident en tout état de cause qu’en se prêtant à ce jeu, la Cour constitutionnelle porterait un coup fatal au si peu de crédit qui lui reste.

Dr Brahima FOMBA Université des Sciences Juridiques  et Politiques de Bamako(USJP)

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