La classe politique malienne se relève si bruyamment de la longue suspension d’activités infligée par les autorités de transition qu’elle suscite des interrogations quant à ses chances de maturation. Diversement appréciée en son temps par ses différentes composantes, cette mesure inédite a été levée en mettant en lumière la minceur des incompatibilités entre deux fronts précédemment inconciliables : celui des contestataires affirmés de la légalité de la démarche, puis la tendance dont la position sur le sujet est demeurée nuancée par une loyauté de principe au pouvoir. Les animateurs classiques de la scène politique malienne, toutes tendances confondues, s’accordaient néanmoins sur le rejet sans fioriture de la privation de liberté comme moyen répressif et donnant ainsi une raison d’espérer une prise de conscience d’un discrédit collectif imputable aux rivalités jusqu’ici insurmontables.
Somme toute, depuis la levée de la suspension et les enseignements y inhérents, un certain vent de réveil semble souffler dans le sens d’un regain d’ardeur et d’audace. Il s’y dégage notamment les relents d’une levée progressive et spontanée de la chape plomb, à mesure que les autorités perdent pied dans l’opinion et que s’effilochent leurs soutiens y compris dans les rangs d’une certaine «aile politique de la Transition» lasse et désabusée d’attentes non-comblées. Le parti Yelema en aura longtemps exploité la brèche par les enviables et courageuses incursions sporadiques de son leader dans un espace public longtemps déserté par ses potentiels adversaires. Et dont la plupart avaient peut-être le tort d’avoir vécu l’épisode de la suspension des activités par une psychose que cachaient mal leur retenue et l’omerta face à la portée de certaines politiques publiques : gestion de la crise énergétique, sortie de la CEDEAO et création de l’AES, passage des colonels au grade de général, retour à l’ordre constitutionnel, atteintes aux liberté, etc. Depuis quelques temps, toutefois, l’audace de les aborder n’est plus la chasse gardée du seul candidat Moussa Mara. Son «one man show» est notamment nuancé par le retour soudain dans l’arène d’autres animateurs traditionnels qui le lui disputent désormais avec tant d’âpreté. C’est le cas de Me Mountaga Tall du CNID, qui tentait naguère de refaire son retard, au détour de la relecture de la Charte des Partis et du rassemblement des formations politiques autour de leur communauté de destin et de leurs intérêts les plus partagés. Cette affirmation de leadership lui est ravie, depuis la semaine dernière, par le président de la Codem, Houssein Amion Guindo, qui vient de sonner un autre réveil en s’illustrant par un audacieux appel à la résistance contre «la dictature» et la persistance d’autorités de fait au détriment de l’ordre constitutionnel. La tendance à la reconquête de l’espace public s’opère aussi au moyen de rapprochements de circonstance entre entités politiques. En témoigne le communiqué conjoint qu’a inspiré au duo Yelema/M5-RFP Mali Koura la mesure impopulaire de taxation des prestations de téléphonie.
On est en définitive loin des faux espoirs d’inversion des rapports de force suscités par le Mali – Koura, mais quant à battre la cadence dans le sens d’un sauvetage désintéressé du fait partisan en péril depuis l’avènement de la Transition, il va falloir attendre un hypothétique renoncement aux considérations identitaires et calculs nombrilistes qui motivent la bataille d’occupation de l’espace public en cours. Or les adversités et rivalités qui en découlent sont justement le levier par lesquels le pouvoir de fait s’impose comme alternative plus rassurante qu’une classe politique sans repères convaincants aux yeux de l’opinion.
A. KEÏTA