Plus aucun doute ne soit permis, le référendum sur les reformes institutionnelles voulu par le président Amadou Toumani Touré aura bel et bien lieu avant les élections générales, qui se tiendront également à termes échus. En effet, le 11 juin 2011, lors de la traditionnelle conférence de presse qu’il tient à chaque commémoration du 8 juin, date de son investiture à la Magistrature suprême de l’Etat, ATT a tenu à couper court aux spéculations qui avaient cours sur la tenue de la consultation référendaire.
Avant de faire adopter en Conseil des Ministres, quelques jours plus tard le projet de loi y afférent. Ceux qui, à cors et à cris, réclamaient l’abandon du référendum au profit de l’organisation des élections présidentielles sous prétexte qu’il était impossible d’organiser en sus des élections générales, une consultation référendaire dans les délais constitutionnels, en sont donc pour leurs frais. Cette équivoque levée, il importe de s’interroger tant sur le contenu des reformes proposées par le Chef de l’Etat que sur leur pertinence.
Le contenu des reformes
Le candidat Amadou Toumani Touré avait présenté, au cours de l’élection présidentielle de 2007, les reformes politiques et institutionnelles comme l’un des chantiers majeurs de son second quinquennat. Cet axe stratégique d’action avait été tout naturellement énoncé dans le Projet de Développement Economique et Social (PDES) qui avait été soumis aux électeurs et massivement approuvé par eux à l’issue du scrutin. Pour concrétiser cet engagement, un Comité d’experts dénommé Comité d’Appui aux Reformes Institutionnelles (CARI) a été créé sur décision du Chef de l’Etat. Ce comité, après avoir procédé à une analyse minutieuse du fonctionnement des institutions issues de la Constitution du 25 février 1992, a soumis au Chef de l’Etat un ensemble de propositions de réformes, qui formeront, après examen en Conseil des Ministres le corpus du projet de loi de révision constitutionnelle.
Le paquet de mesures de reformes proposé par ce comité se caractérise par son exhaustivité. Il touche dans la forme quasiment l’ensemble des titres de la constitution actuelle et au fond, modifie profondément l’organisation des pouvoirs publics tels que repartis entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
On y trouve notamment des mesures,novatrices tels que celles permettant de légiférer par voie de mesures spéciales en faveur des femmes pour leur accès aux mandats électoraux et aux fonctions électives) ; celles relatives la création d’un Sénat et d’une Cour des Comptes, à une plus grande ouverture de la saisine de la cour constitutionnelle pour une meilleure protection des droits fondamentaux des citoyens (exception d’inconstitutionnalité, droit de saisine de la Cour Constitutionnelle, pour consultation, accordé au Médiateur de la République) ; d’amélioration et de correction (Organe de régulation des médias, situation de vacance de la fonction présidentielle, délai d’organisation de nouvelles élections, déclaration écrite des biens du Président de la République et des membres du gouvernement reçue par la Cour des Comptes à la fin de leur mandat et de leurs fonctions, et publication dans le Journal officiel avec les commentaires du Président de ladite Cour) ; de redéfinition du rôle des hautes juridictions (compétence de la Cour constitutionnelle à l’égard du contentieux électoral, création d’une nouvelle Cour des Comptes) ; de clarification juridique (statut pénal du chef de l’Etat) ; de mise en cohérence rendues nécessaires par la création d’une seconde chambre parlementaire (alignement des procédures du Sénat sur celle de l’Assemblée Nationale en matière de vote des lois) ; de simplification et de diversification de la procédure de révision constitutionnelle (réunion en congrès du Parlement pour le vote du projet de loi de révision) ; de réaménagement et de rationalisation de la procédure législative (fixation de l’ordre du jour des assemblées, encadrement du droit d’initiative parlementaire et des amendements d’origine parlementaire).
La pertinence des solutions envisagées
Inspirées par le souci de trouver des solutions efficaces aux difficultés et insuffisances apparues au fil des ans après l’adoption de la Constitution actuelle, les modifications proposées par le CARI vont globalement dans le bon sens et permettront d’atteindre les objectifs de démocratisation, de rationalisation et de modernisation assignés à la réforme. Cependant, la pertinence de certaines d’entre elles parait, à l’analyse, fort discutable. Il s’agit, entre autres, des suivantes.
Le transfert au Président de la République de la compétence de définir la politique de la Nation
Le texte actuel de la Constitue attribue au Gouvernement, de fait au Premier Ministre, la compétence de déterminer et de conduire la politique de la Nation. Il est proposé, dans le cadre du projet de révision constitutionnelle, de transférer la compétence de déterminer cette politique au Président de la République, le Gouvernement conservant celle de la conduire.
Pour justifier cette mesure de renforcement et de concentration des pouvoirs du Président, le rapport publié par le CARI tire prétexte de ce que dans la pratique constitutionnelle, c’est au Président que revient en réalité ce pouvoir. Selon le rapport, la modification proposée consisterait donc simplement à prendre acte de cette réalité en la formalisant dans le texte de la Constitution. Cet argument n’emporte pas la conviction pour au moins deux raisons. D’abord, en conférant cette nouvelle attribution au Chef de l’Etat, l’on contribue à approfondir le déséquilibre existant entre le Président de la République et le Premier Ministre au sein de l’exécutif bicéphale qu’institue l’actuelle constitution de notre pays.
En effet, comparativement au Premier Ministre, le Président de la République y dispose déjà de très grands pouvoirs, et notamment de pouvoirs qu’il exerce sans aucun contreseing : droits de dissolution de l’Assemblée Nationale, de recourir au référendum, de saisine de la Cour Constitutionnelle, de recourir aux pouvoirs exceptionnels et de légiférer par ordonnances etc.
Mais plus profondément, on peut se demander si cette modification n’entraînera pas un véritable changement de régime. L’on sait, en effet, que bien que qualifié de régime semi-présidentiel, le régime institué par la Constitution du 25 février 2002 demeure fondamentalement un régime présidentiel, avec la présence des deux éléments caractéristiques de ce régime que sont le droit de dissolution et la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement par le Parlement.
Le régime parlementaire tire son essence de cet équilibre institutionnel entre le parlement et le Gouvernement précisément conçu pour protéger le Chef de l’Etat des vicissitudes et des mises en cause qu’entraînerait nécessaire la compétence de déterminer et de conduire la politique de la nation. C’est bien parce que le Gouvernement détermine la politique de la Nation que sa responsabilité politique peut être mise en jeu (par le moyen de la motion de censure ou par un vote négatif lorsque le Gouvernement décide d’engager sa responsabilité sur son programme lorsque cette politique se heurte à une opposition résolue de l’Assemblée).
Transférer la compétence de définir la politique de la Nation sans que parallèlement le Président de la République puisse voir sa responsabilité mise en cause, c’est engager le pays vers le présidentialisme, ce qui est différent du régime présidentiel, et fragiliser un peu plus le Premier Ministre.
Mais, la critique majeure que suscite la modification précitée est ailleurs. En effet, elle fait bon marché du potentiel de conflit institutionnel inhérent à l’éventualité d’une cohabitation, c’est-à-dire d’une discordance entre la majorité parlementaire et la majorité présidentielle. Or cette hypothèse reste possible dès l’instant que le Président de la République et les députés sont élus à l’issue de scrutins différents. Le transfert au Président de la République du pouvoir de déterminer la politique de la Nation peut aboutir à une véritable crise institutionnelle si d’aventure un Premier Ministre issu d’une majorité politique différente venait aux affaires. Ce dernier entendra évidemment appliquer le programme sur lequel le parti dont il est issu a obtenu la majorité ; si le Président s’y oppose, le potentiel de conflit s’en trouvera nécessairement décuplé.
Il serait sage de maintenir la constitution actuelle telle quelle en ce qui concerne l’aménagement des pouvoirs entre le Président de la République et le Gouvernement, d’autant que la modification proposée n’introduit par ailleurs aucun mécanisme efficient de règlement des conflits dont elle est porteuse.
Le nouveau droit de révocation du Premier Ministre accordé au Président de la République
La constitution actuelle n’offre pas formellement au Président de la République le pouvoir de mettre fin aux fonctions du Premier Ministre. Il s’agit là d’une solution intelligente, retenue pour que, une fois le Premier Ministre nommé, il ait la latitude et le confort politique requis pour agir aussi longtemps qu’il a la confiance de la majorité parlementaire.
Donner la possibilité au Chef de l’Etat de révoquer ad nutum le Premier Ministre, en sus du pouvoir de nomination qu’il conserve à l’égard du chef du Gouvernement, accroitrait davantage les pouvoirs d’un seul pôle de l’exécutif et consacrerait purement et simplement le présidentialisme. Ce qui n’est guère souhaitable dans un pays tel que le Mali, qui a connu de longues années de pouvoir autocratique, et qui n’expérimente la démocratie pluraliste que depuis une vingtaine d’années.
Au total, il serait dangereux que le pays s’engage dans la voie tracée par ces deux mesures (transfert du pouvoir de détermination de la politique de la Nation au Président de la République, et pouvoir de révocation du Premier Ministre), qui contribuent à discréditer un projet de révision innovant dans son ensemble, en un moment où rien ne garantit que le Président de la République sera élu après ATT, aura le même sens du consensus et du dialogue que celui- ci.
Avec l’actuel chef de l’Etat, on peut raisonnablement penser que ces modifications n’auraient pas débouché sur une dérive autoritaire. Rien ne permet de penser que son successeur, que personne ne connaît encore, fera preuve de la même hauteur de vue et des mêmes qualités d’homme d’Etat.
Birama FALL