C’est dans un contexte de retour à l’ordre constitutionnel que les Maliens célèbrent cette année le 23e anniversaire de la Révolution de mars 1991. Une insurrection populaire qui avait favorisé la chute du régime du Parti unique par un coup d’Etat le 26 mars 1991. Après une interruption, entre 2012-2013, la démocratie malienne est sans doute remise sur les rails. Mais, elle n’est pas totalement à l’abri d’autres soubresauts à cause de la fragilité des institutions.
26 Mars 1991-26 Mars 2014 ! Les Maliens célèbrent le 23e anniversaire de leur révolution. Certes, 23e anniversaire, mais pas 23 ans de démocratie puisque le processus a connu un coup de canif le 22 mars 2012. Profitant d’une fin de règne chaotique, sur fonds de rébellion, une mutinerie a permis à des opportunistes de prendre le contrôle de Bamako. Oui de la capitale et du «sud», parce qu’ils ne contrôlaient en réalité d’une infime partie du pays. Le reste étant tombé entre les mains des Jihadistes et des Rebelles touaregs dès le lendemain de ce coup d’arrêt d’un processus mal en point, mais pourtant indispensable à la survie de la République.
Cette année, c’est dans un contexte de retour à l’ordre constitutionnel que nous célébrons le 23e anniversaire du sacrifice des Martyrs de la démocratie. Comme le disait Gertrude von Le Fort (1876-1971), «les révolutions ne sont jamais amenées seulement par la mauvaise administration et les erreurs d’un régime. Celles-ci ne font que déclencher celle-là (Révolution), dont la véritable essence réside dans le déchaînement de la terreur panique d’une époque touchant à son terme». Cela n’a jamais été si vrai que dans le contexte malien entre 1989 et 1991.
Et les souvenirs de cette insurrection populaire, qui avait favorisé la chute du régime du parti unique par un coup d’Etat le 26 mars 1991, et de la répression sauvage qui avait suivi hantent encore les âmes, interpellent toujours nos consciences. Des consciences que peu d’entre-nous ont tranquilles à cause de la mauvaise gestion politique qui a été fait de ce sacrifice.
A regarder de près, la démocratie malienne n’a accouché que de tares qui, progressivement, ont menacé la République dans ses fondations les plus profondes. Corruption, délinquance financière, gabegie, unanimisme politique… sont devenus aussi propres à la démocratie qu’à la dictature du parti unique tant combattue.
Un multipartisme de fait
D’ailleurs, on peut même oser dire qu’au Mali, le multipartisme réel n’a duré que le temps des deux mandats du président Alpha Oumar Konaré. En effet, nous voyons pas de différence fondamentale entre la gestion consensuelle du pouvoir et l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) qui, aux abois, prônaient «la démocratie au sein du parti». Pendant dix ans (2002-2012), il n’y a eu qu’un seul parti aux commandes du Mali : le Mouvement citoyen ! Toutes les chapelles s’étaient fondues dans ce mouvement pour ne pas se retrouver sur la touche du paysage politique et se voir écarter aussi du partage du gâteau.
La facilité déconcertante avec laquelle les mutins ont réussi à renverser les institutions de la République prouve que le fruit était pourri à l’époque. C’est surtout la preuve de l’échec lamentable des acteurs de la démocratie. A commencer par cette classe politique malienne qui n’a jamais su incarner l’espoir qui a poussé les Martyrs au sacrifice suprême en affrontant les forces armées et de sécurité à main nue. Mais, c’est aussi notre échec à tous, y compris la société civile, la presse… profondément affaiblies par les rivalités internes et surtout par les conflits d’intérêts.
Il n’y a pas de démocratie sans une société civile influente, donc forte, sans un 4e pouvoir conscient de son rôle et de sa neutralité dans le jeu politique. Au Mali, l’arrêt forcé du processus a été favorisé par la faillite du système de gouvernance à tous les niveaux. Le manque de vertu, de rigueur, d’intime conviction… a sclérosé le processus de démocratisation. Les institutions, à l’image du pays, se sont retrouvées bloquées presque dans l’indifférence générale.
Et l’autorité de l’Etat ne s’était jamais effritée dans l’histoire du Mali. Et pourtant, selon Saint-John Perse (1887-1975), «la démocratie, plus qu’aucun autre régime, exige l’exercice de l’autorité». Elle ne saurait donc jamais être synonyme de l’anarchie, de laisser-aller, du «Bè bi i ba-bolo» (littéralement, le sort de chacun est entre la main de sa mère. Ce qui renvoie à la notion de baraka dans nos traditions et dans la religion musulmane). Un aveu d’impuissance d’un régime pourtant élu dès le premier tour.
A vouloir contenter tout le monde, ATT a perdu le contrôle de son régime. Cela était d’autant facile que, par complexe, il s’était entouré de béni oui oui plus préoccupés par leurs intérêts que la stabilité et l’équilibre d’un régime. Ce qui fait que, ironie du sort, le sauveur du pays en mars 1991 a été aussi celui qui l’a plongé dans le chaos avant d’abdiquer devant des bannis de l’armée malienne.
Des institutions en manque de légitimité
Après deux anniversaires dans le vide institutionnel, nous célébrons ce 26 Mars sur fond de reprise du processus démocratique. Est-ce à dire pour autant que le pire est derrière-nous ? Ce serait utopique voire suicidaire de nourrir une telle conviction.
Cela supposerait qu’on ait des institutions plus solides, donc crédibles et légitimes. Ce qui est loin d’être acquis. A commencer par celle qui incarne la représentation du peuple. Qu’elle est aujourd’hui la légitimité de l’actuelle Assemblée nationale à représenter le peuple après la gestion révoltante qui a été faite des litiges dans de nombreuses circonscriptions, notamment Gao et Goundam ?
Comment comprendre que tous les différents aient été tranchés en faveur du parti au pouvoir ? En tant que démocrate et républicain, nous nous sérions gardés de commenter une décision de justice. Mais, pourrions-nous nous taire longtemps en laissant tout le temps des apprentis sorciers, qui n’ont aucune conviction morale ou politique, priver les électeurs de la représentation légitime du peuple.
Quelles peuvent être la crédibilité et la légitimité d’institutions élues tant qu’on ne peut pas miser sur la neutralité de l’appareil judiciaire pour trancher les litiges et départager les plaignants ? Qu’elle est la moralité de celui qui vole le verdict des urnes aux seules fins d’intérêt personnel ? Peut-on légitimement miser sur un tel «élu» pour défendre les intérêts légitimes des Maliens ? Pas du tout ! Ce détournement du vote fait de notre Parlement une éternelle caisse de résonance au service d’un régime.
De telles institutions ne peuvent jamais servir de tremplin à la consolidation de cette démocratie pour laquelle nos Martyrs ont payé le prix fort. Ayons donc toujours à l’esprit que, «oser luter, c’est oser vaincre» ! La lutte pour l’enracinement de la démocratie continue.
Alphaly