Depuis le 27 février 1992, année de la naissance de la démocratie malienne, le Mali se trouve gouverné par la même constitution. Toutes les tentatives pour la réviser auraient échoué dans le temps pour une raison ou pour une autre. La dernière date de 2017 avec Ibrahim Boubacar Keita. Une tentative dénoncée par les partis d’opposition et par la société civile. Cette année encore, la question de cette révision constitutionnelle refait surface avec ses craintes et ses espoirs. Toutefois, cette énième tentative pourrait réussir si le régime en place arrive à prendre en compte les erreurs du passé, les fragilités de la société malienne et surtout d’organiser un processus réellement inclusif. Il convient quand-même de noter que l’avenir de IBK II reste tributaire à cette tentative.
Après l’échec de la première tentative de révision en 2017 suite au refus de la majorité de la population faisant croire à certains le murissement d’une révolution populaire qui allait tout basculer sur son passage pour ne laisser à sa place qu’un ordre nouveau, le régime d’IBK comme un entrepreneur ou un chercheur assidu semble ne pas être prêt à abandonner ce projet de révision constitutionnelle. Cette volonté, il l’a réitéré lors de plusieurs sorties médiatiques, notamment à l’occasion de son message de Nouvel An où il a tenu à inviter : « Comme vous en conviendrez, il est indispensable de procéder à une révision constitutionnelle proposant des justes aménagements, à partir de notre vécu, institutionnels, à partir de nos fragilités, à partir de nos silences, à partir de nos imprécisions. » Il poursuit en précisant : « J’ai du reste instruit au Premier ministre de conduire cette révision constitutionnelle et de mettre en place dans les jours à venir un comité d’experts qui sera chargé de proposer la révision de notre constitution et de conduire les réformes institutionnelles nécessaires au renforcement de notre démocratie. »
Le comité d’experts dont fait mention le chef de l’État dans son discours a déjà été mis en place et était face à la presse le mercredi 6 février 2019 afin de dévoiler son chronogramme et sa méthodologie de travail. Cette sortie médiatique a été pour eux l’occasion de réitérer le message du chef de l’État en ce qui concerne l’inclusivité en faisant de telle sorte que toutes les couches se sentent concernées par ce processus. Ces volontés prouvent l’attachement du chef de l’état ainsi que du comité déjà mis en place à ces réformes politiques et institutionnelles.
Dans cette nouvelle tentative, il revient au comité d’experts pour ne pas fragiliser davantage la société malienne de faire des erreurs ayant conduit à l’échec la tentative de 2017 des expériences consommées. On se rappelle ce qui a déclenché les manifestations populaires de 2017. Ces manifestations se faisaient autour de deux points à savoir : la désignation du président de la cour constitutionnelle qui devrait être nommé par le président de la République et la désignation de certains membres du sénat qui devrait être créée. L’opposition aussi bien que la société civile voyaient en ces points une tentative pour accroitre le pouvoir du président de la République ou encore pour tripatouiller les résultats de la présidentielle qui vient de se tenir les 29 juillet et 12 août 2018 en faveur du président IBK.
Dans un article sur Le Monde, journal français, titré « Mali : les enjeux d’une révision constitutionnelle qui suscite l’opposition », on peut lire : « C’est une révision pour rien à l’exception de la volonté de créer un monarque, a dénoncé le Parti pour la renaissance nationale (Parena) dans un communiqué du 10 juin. Ce projet codifie la personnalisation du pouvoir, il codifie toutes les dérives autoritaires et autocratiques constatées ces dernières années. »
À côté de ce premier aspect à prendre en compte, il convient également de se préparer à contrôler les erreurs commises par le régime lors de la première tentative de 2017. Si les enfants gâtés du régime lors de cette première tentative ne sont pas impliqués dans ce processus, il faudrait s’attendre à nouveau à des mouvements d’humeurs. On se rappelle bien que cette première tentative a été une opportunité pour maints citoyens ,voire hommes politiques de se faire une part dans le partage du gâteau en créant des mouvements pour soutenir l’initiative notamment le mouvement « Oui au référendum ». Un mouvement se trouvant à l’antipode de l’autre au sein duquel se trouvait la majorité des partis d’opposition ainsi que d’une franche de la société civile et qui avait pour slogan « Non au référendum ». Le mouvement An tè A bana doit sa naissance à cette première tentative. Il revient alors dans cette nouvelle tentative de tenir compte de ces anciennes fractures.
L’inclusion dont font état le chef de l’État ainsi que le comité d’experts, si elle ne se limite pas au stade de la simple théorie sera un meilleur moyen pour la réussite de cette mission et pour l’honneur du locataire de Koulouba. Outre cela, la démarche entamée depuis belle lurette par le parti majoritaire auprès du parti du chef de file l’opposition, SoumailaCissé, constitue également un geste salutaire dans ce cadre et prouve cette volonté d’inclusion de toutes les forces vives de la nation à ce processus révisionnel.
« Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés », nous expliquait Gaston Bachelard, intellectuel français. Cela traduit assez tous ces problèmes survenus en 2017 suite à cette tentative de révision constitutionnelle. Dominés par les préjugés, les Maliens sans chercher à comprendre parce que n’ayant pas aussi reçu d’explications préalables sur le contenu de la nouvelle constitution se sont laissé emporter par le discours de certains prophètes de malheur. C’est pourquoi, il convient pour cette nouvelle tentative de tenir compte de ces anciennes erreurs pour conduire au mieux cette énième révision comme l’a recommandé le chef d’État à l’occasion du discours de Nouvel An : « Je renouvelle mon insistance sur un processus inclusif où toutes les forces vives de la nation : majorité, opposition, société civile, seront impliquées, se sentiront concerner, pourront contribuer. C’est le prix à payer pour l’appropriation de nos réformes de manière à éviter toutes les possibilités de contre-polémiques ou de controverse. »
Pour ce faire, il conviendrait d’apprendre au peuple malien qu’ « Accéder à la science, c’est, spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé. » Cette volonté du changement que nous enseigne Gaston Bachelard est un aspect essentiel auquel il conviendrait de tenir compte dans une nouvelle tentative de révision.
L’une des caractéristiques fondamentales de l’homme, c’est l’horreur au changement. Chacun aime le nouveau, mais nul ne veut réellement l’acquis pour le possible. La peur du changement est l’une des caractéristiques fondamentales des sociétés modernes. Le comité d’experts doit s’enquérir de cette réalité en allant au préalable à la rencontre du peuple afin de lui expliquer dans un langage limpide la nécessité de cette révision ainsi que les réformes à apporter au niveau des institutions voire leur nécessité. Il y va de la sauvegarde du régime d’IBK dans la mesure où contrairement à ce que pensent beaucoup cette révision constitue une exigence de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger qui prévoie une large décentralisation du Mali afin de permettre l’intégration des populations du Nord dans les institutions de la République. La création de la deuxième chambre parlementaire ne constitue-t-elle pas une des recommandations de ce document notamment en son article 6 où il est demandé de « réactiver et diligenter le processus de mise en place de la deuxième chambre du Parlement sous la dénomination de Sénat, de Conseil de la Nation ou de toute autre appellation valorisante de sa nature et de son rôle, et en faire une institution dont les missions et la composition favorisent la promotion des objectifs du présent Accord ». Sur ce point, ce qu’il conviendrait de faire au préalable, c’est de procéder à une vaste campagne de sensibilisation et d’information sur le contenu de ce document qui, malgré qu’il soit écrit dans plusieurs langues, reste ignoré par la majorité des Maliens.
La négligence de ces quelques mesures dans cette nouvelle entreprise pourrait réveiller les vieux démons, ensanglanter les plaies non encore totalement cicatrisés de la présidentielle et conduire à nouveau à l’échec de cette entreprise et partant au déshonneur de Ibrahim Boubacar Keita, président de la République.
Tout compte fait, il convient de noter que l’avenir du régime d’IBK dépend de cette nouvelle tentative. Si elle est bien conduite, le locataire de Koulouba se créera une place à la cour des grands de l’histoire du Mali pour avoir promis et réalisé. Mais s’il échoue cette fois-ci encore, c’est tout son règne qui risque d’aller en péril vu la fragilité du front social sous son deuxième mandat. Il convient du côté du peuple malien de comprendre que l’évolution est une exigence de tout ce qui existe dans ce monde. La constitution doit évoluer afin de prendre en compte les nouveaux aspects en son sein. Il convient de comprendre cet état de fait pour le salut de toute la nation malienne.
Fousseni TOGOLA