Révision constitutionnelle : Comment la partition du Mali se prépare

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Il n’y a aucun doute pour ceux qui savent lire entre les lignes : le projet de révision constitutionnelle en cours prépare, s’il ne consacre tout court, la partition du Mali, en ce sens qu’il enterre les articles 97 et 98 de la Constitution du 25 février 1992 sur la libre administration des collectivités. En effet, pendant que ceux-ci disposent respectivement que « Les collectivités territoriales sont créées et administrées dans les conditions définies par la loi » et que les « Les collectivités s’administrent librement par des Conseils élus et dans les conditions fixées par la loi », l’article 92 du projet stipule : « Les collectivités territoriales de la République sont la Commune, le Cercle, la Région, le District. Toute autre collectivité territoriale, le cas échéant en lieu et place de celles-ci, ou à statut particulier, est créée par la loi ». Outre cette division programmée du pays, Dr Brahima Fomba, constitutionnaliste, démontre comment le projet de futur acte fondamental est bourré d’incohérences juridiques.

La Constitution du 25 février 1992 a tellement été détricotée que le projet de loi constitutionnelle qui en est issu est truffée d’incohérences juridiques énormes. Nombre de propositions de modifications sont soit anachroniques, soit simplement superflues et inutiles. Mais surtout, il s’agit avant tout d’un projet de loi constitutionnelle contenant des propositions de modifications qui organise véritablement la partition du pays. Il a beau tenté de les occulter à travers des formules alambiquées et insidieuses, il sent les germes de cette partition, particulièrement aux alentours des articles 92 à 98.

 L’article 92 donne clairement le ton : « Les collectivités territoriales de la République sont la Commune, le Cercle, la Région, le District. Toute autre collectivité territoriale, le cas échéant en lieu et place de celles-ci, ou à statut particulier, est créée par la loi ». C’est l’acte officiel d’enterrement des articles 97 et 98 de la Constitution de 1992 disposant respectivement que « Les collectivités territoriales sont créées et administrées dans les conditions définies par la loi » et que les « Les collectivités s’administrent librement par des Conseils élus et dans les conditions fixées par la loi ».

Deux articles qui matérialisent suffisamment la constitutionnalisation de la libre administration au Mali sans qu’il soit encore nécessaire d’affirmer comme c’est le cas à l’article1er, que le Mali est une République « décentralisée ». C’est superfétatoire !

Etait-ce vraiment nécessaire de manipuler ces deux articles si des intentions inavouées n’étaient pas terrées derrière ? C’est malheureusement le cas. Car si l’on s’est donné tant de peine pour citer les collectivités territoriales en miroitant l’illusion que le Cercle, la Région et le District sont ainsi constitutionnalisées, c’était bien pour faire avaler aux Maliens que ces trois catégories de collectivité territoriales pourraient être balayées par simple loi (donc par la majorité mécanique de l’Assemblée nationale) et remplacées par n’importe quels autres types de collectivités territoriales non déterminées ou à statut particulier. C’est-à-dire que la simple volonté du législateur ordinaire suffirait à balayer d’un revers de main des catégories constitutionnalisées de collectivités territoriales que sont le cercle, la région et le District. Ici, il n’est même plus question de révision banalisée. C’est tout simplement le sacre de la fin de la suprématie constitutionnelle au Mali, une simple loi ordinaire pouvant ainsi modifier des dispositions constitutionnelles.

 L’article 93 enfonce le clou : l’on fait ici de la diversion par le rajout du membre de phrase suivant à l’article 98 de la Constitution de 1992 cité plus haut, relativement aux collectivités territoriales qui « disposent d’un pouvoir règlementaire pour l’exercice de leurs compétences».

Comme si cela ne suffisait pas, le projet de loi constitutionnelle précise : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon et bénéficient dans les cadres législatifs ou règlementaires préétablis d’un large transfert de compétences et de ressources et jouissent de pouvoirs juridiques, administratifs et financiers appropriées ». Ici, on en perd son latin, tellement la formulation est alambiquée ! Que peut bien vouloir dire tout ce langage verbeux et incompréhensible qu’on insère dans un texte constitutionnel ? Le clin d’œil est évident aux séparatistes qui adorent bien ces expressions de « pouvoir règlementaire » « pouvoirs juridiques », « pouvoirs administratifs et financiers » qui ne sont autres que des terminologies d’affranchissement de leurs terroirs de l’autorité de l’Etat. Est-ce le rôle de la constitution que de se prêter à une telle mascarade ?

 L’article 94 participe de cette même logique séparatiste : au niveau de son dernier alinéa : « Toutefois, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». De quoi la loi se mêlerait-elle de la détermination de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales devant organiser les modalités d’une action commune les concernant ? Est-ce de cette manière que le principe constitutionnel de libre administration sera respecté ?

 L’article 95 confère la compétence législative aux collectivités territoriales : Le projet de loi propose pour le Mali, le statut d’un Etat régional qui a comme caractéristique fondamentale la reconnaissance d’une compétence législative aux collectivités territoriales Régions en particulier. Pour être plus précis, il faut même dire qu’il offre en réalité un statut multiple d’Etat à la fois communal, de conseils de cercles et régional et même au-delà, puisque l’article 92 stipule que ces trois catégories de collectivité territoriales pourraient être balayées par simple loi et remplacées par n’importe quels autres types non déterminés ou à statut particulier de collectivités territoriales. C’est en quelque sorte la République éclatée qu’on avait pourtant déclarée indivisible à l’article 1er du projet de loi constitutionnelle. L’article 95 dispose : « Les lois et règlements sont applicables de plein droit dans toutes les collectivités territoriales mais peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de chaque collectivité territoriale dans les conditions déterminées par la loi ou le règlement ». C’est sans commentaires ! L’article 98, quoique totalement anachronique et contraire à la fixation constitutionnelle du domaine de la loi et du règlement (voir à l’article 57 du projet de loi constitutionnelle), est encore plus explicite en disposant que c’est une loi organique qui va déterminer « les matières relevant du domaine de la loi et du règlement pouvant faire l’objet d’adaptation ou de dérogation selon les particularités ou spécificités de chaque collectivité » ! Demain, à Kidal par exemple, une loi votée par l’Assemblée nationale ou un Décret ou arrêté pris par l’exécutif pourrait ne pas être applicable, ou le cas échéant ne pas s’appliquer de la même manière qu’à Sikasso ou Koulikoro. Ainsi, il sera loisible à chaque collectivité territoriale d’exiger-le législateur cèdera forcément- d’avoir dans sa poche et sur son bout de territoire décentralisé, sa petite version particulière d’une loi ou d’un acte réglementaire de l’exécutif applicable à ses « citoyens » communaux, de conseils de cercles, de conseils régionaux ou autres.

 L’article 96 confère dans le flou le droit pour les collectivités territoriales de créer des impôts : il est ainsi libellé : «…Elles peuvent recevoir tout ou partie des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine ». C’est comme si la levée d’impôts faisait l’objet d’une compétence concurrente ente le parlement et les collectivités territoriales. Le projet de loi constitutionnelle précise que le parlement qui exerce constitutionnellement cette compétence peut la déléguer aux collectivités territoriales.

 

L’article 97 se contente de rabâcher les vieilles rengaines des principes de concomitance des transferts de compétences et de ressources ainsi que de péréquation.

Au-delà même des questionnements quant à la tendance des articles évoqués à préparer la partition du pays, on peut bien se demander si le projet de loi est fondé à donner tous ces gages par la voie constitutionnelle. Car si la Constitution doit descendre si bas, que va-t-il rester à la loi quant à la « détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources… » (voir article 49 du projet de loi constitutionnelle) ? Que va-t-il rester au législateur organique (voir article 98 projet de loi constitutionnelle) pour « déterminer les conditions d’exercice des compétences des collectivités territoriales, les règles d’organisation et de fonctionnement de leurs organes délibérants et exécutifs et leur mode d’élection, les matières relevant du domaine de la loi  ou du règlement pouvant faire l’objet d’adaptation ou de dérogation selon les particularité ou spécificités de chaque collectivités ».

Dr Brahima FOMBA

Chargé de Cours à Université des Sciences  Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)

(L’Aube 877 du lundi 20 mars 2017)

 

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