Les responsables des organisations de défense des droits de l’Homme étaient face à la presse, le vendredi 09 novembre 2018, au Conseil national du Patronat du Mali (CNPM) pour exiger le retrait du projet de loi d’entente nationale en l’état par le gouvernement. Selon les conférenciers, le projet de loi d’entente nationale est une menace pour la paix, la réconciliation et les droits des victimes au Mali. A cet effet, les 47 organisations de défense des droits Humains demandent non seulement l’engagement d’un dialogue direct entre l’Assemblée nationale et les associations de victimes et organisations de défense de droits humains sur le projet de loi d’entente nationale, mais aussi, des engagements concrets des autorités maliennes en faveur de la lutte contre l’impunité. Par ailleurs, ces 47 organisations envisagent plusieurs autres démarches, telles qu’une marche pacifique de protestation, des sit-in devant l’Assemblée nationale, des manifestations dans les régions du Mali contre le projet de loi d’entente nationale.
Cette conférence de presse était animée par le Président de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), Me Moctar Mariko, Mme Bintou Founè SAMAKE, Présidente de WILDAF, Mme Aminè Maïga du Conseil National des Victimes (CNV) et Mme GUISSE Ramata, Directrice exécutive AMNESTY International. « Nos organisations de défense des droits humains constatent, avec la plus grande consternation, la soumission à l’Assemblée Nationale par le Gouvernement du Mali, d’un projet de loi dite «d’entente nationale » et les débats pour son adoption sont prévus le 13 décembre 2018. Nos organisations informent qu’elles ne sont pas contre une Loi d’entente mais précisent qu’elles s’opposent à ce projet de loi d’entente nationale en l’état », c’est ce qui ressort du communiqué de presse conjoint de 47 organisations de défense des droits Humains. Selon ce communiqué, le projet de loi prévoit l’exonération des poursuites pénales contre les personnes ayant commis de crimes et délits punis par le code pénal et les conventions internationales ratifiées par le Mali. A les en croire, le projet de loi contient des mécanismes inadéquats. « Nos organisations regrettent que le gouvernement ait élaboré et soumis le projet à l’Assemblée nationale le 10 Août 2018 sans consulter en amont les victimes, ce qui va à l’encontre de la pratique établie aujourd’hui en justice transitionnelle. Il est en effet largement reconnu que la pleine implication des victimes dans la création de normes et mécanismes censés apporter des réponses à leurs souffrances est incontournable pour en assoir la légitimité. Il est à craindre que, loin d’assurer que les faits en relation avec les crimes commis ne soient éclaircis, la Loi ne vienne dans les faits que pour fermer définitivement la porte à toute revendication de justice, aux dépens des droits des victimes à la vérité et à la justice », indiquent les défenseurs des droits de l’Homme. Le communiqué conjoint a souligné que le texte comporte des faiblesses. Et d’ajouter que la mise en œuvre d’une telle loi risquerait de conduire, dans les faits, à l’amnistie de nombreux auteurs de crimes considérés parmi les plus graves, y compris les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, et ne permet pas d’assurer pleinement le respect des droits des victimes. « Malgré nos demandes, nous n’avons à ce jour pas été reçus par le Président ou le Premier Ministre. Nos organisations exigent le retrait dudit projet et exhortent le gouvernement malien à engager des consultations avec les parties prenantes, en particulier les organisations de victimes et les organisations de défense des droits humains. Selon nos organisations, il est impératif que ce texte ne soit pas adopté, parce qu’il représente une grave menace à l’État de droit et aux droits des victimes, et risque de mettre à mal les efforts déployés afin d’atteindre une véritable réconciliation au Mali », révèle le communiqué conjoint. Les 47 organisations demandent le retrait du projet de loi dit « d’entente nationale » par le gouvernement tel que rédigé actuellement ; l’implication, la consultation et la prise en compte des préoccupations des associations de victimes et des organisations de défense de droits humains par le gouvernement, préalablement à l’élaboration d’un nouveau projet de loi d’entente nationale, respectueux des droits des victimes du conflit au Mali ; l’engagement d’un dialogue direct entre l’Assemblée nationale et les associations de victimes et organisations de défense de droits humains sur le projet de loi d’entente nationale issu de ces consultations afin qu’elles puissent exprimer leurs préoccupations et craintes au sujet du projet de loi tel que rédigé actuellement.
Non à l’impunité !
Les défenseurs des droits humains veulent des engagements concrets des autorités maliennes en faveur de la lutte contre l’impunité en particulier, en garantissant l’effectivité des poursuites et enquêtes relatives aux crimes les plus graves. Les organisations informent l’opinion nationale et internationale qu’elles entendent rester mobilisées jusqu’au retrait dudit projet de loi par le Gouvernement. Répondants aux questions des journalistes, Me Moctar Mariko de l’AMDH a précisé que les organisations de défense de droits humains, sans exclusion aucune, ont décidé de former un bloc contre ce projet de loi. « Nous n’allons pas fléchir. Nous ne voulons pas nous limiter à cette conférence de presse, bien au contraire, nos organisations envisagent plusieurs autres démarches, telles qu’une marche pacifique de protestation, des sit-in devant l’Assemblée nationale, des manifestations dans les régions du Mali, des débats radios, tout cela dans le cadre d’une campagne citoyenne. Enfin, nous réitérons notre disponibilité à poursuivre notre contribution sans faille aux efforts de paix et de réconciliation nationale », a-t-il conclu. Pour sa part, Mme Bintou Founè SAMAKE, Présidente de WILDAF, ce texte a été élaboré sans implication ni consultation des organisations de défense des droits de l’homme et des victimes au Mali. « Il se fonde par ailleurs sur « La Charte pour la Paix, l’Unité et la Réconciliation nationale », elle-même adoptée en catimini par le gouvernement, et qui n’a pas été diffusée au sein de la population malienne. Enfin, en dépit des plaintes pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité déposées par nos organisations entre 2014 et 2015 et excepté les auditions faites par les juges d’instruction grâce à notre soutien, les enquêtes piétinent; des auteurs présumés sont même libérés. Les victimes et nos associations restent dans l’attente des actions fortes et concrètes de la justice malienne. Ces actions doivent se traduire par des véritables politiques de poursuites et de réparations. Mais qu’est ce qu’on veut nous imposer en lieu et place de ces mesures ? Ce projet de loi dite « d’entente nationale », a-t-elle conclu. Selon Mme Aminè Maïga du Conseil National des Victimes (CNV), il ne peut y avoir de réelle réconciliation nationale ni de paix sans justice. « Il semblerait ainsi que les victimes ayant subi des dommages psychologiques soient exclues des réparations. D’autre part, en n’envisageant que des compensations financières, le projet de loi exclut plusieurs types de mesures des victimes jugés essentielles pour assurer la réparation intégrale de ces victimes. Par ailleurs, on note que le projet est muet quant au sort qui sera réservé aux victimes des crimes considérés trop graves pour que leurs auteurs puissent bénéficier de mesures d’amnistie. On se demande alors si ces victimes auront également droit à une indemnisation ou à d’autres formes de réparation ? De telles exclusions seraient injustes et incomprises par les victimes. Ces mesures risquent ainsi d’être perçues par les victimes comme injustes et leur demandant un trop lourd prix ; elles pourront être source de frustration, augmenter le sentiment de méfiance vis-à-vis de l’État, et donc ne pas favoriser la réconciliation ou la paix », a-t-elle dit. A cet effet, elle a demandé à toutes les victimes de la crise malienne sans exception et aux populations maliennes en général de se mobiliser contre ce projet de loi dite d’entente nationale qui pourrait créer plus de mésentente. Quant à Mme GUISSE Ramata, Directrice exécutive AMNESTY International Mal, les organisations de défense des droits humains et les organisations de victimes ne se reconnaissent pas dans le texte « qui méprise les droits des victimes de la crise et qui anéantit les efforts de justice et de vérité en cours au Mali ».
Aguibou Sogodogo