Projet de loi constitutionnelle : La révision banalisée !

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Certes, la Constitution n’est pas un texte sacré ou intangible. Mais, comme il s’agit, malgré tout, d’un texte de nature particulière, sa révision mérite un minimum de protection contre les appétits gloutons de responsables politiques qui, pour mieux l’adapter à leur désidérata, n’hésitent pas à la défigurer et à la démolir. Tel est aujourd’hui le sort qui guette la Constitution du 25 février 1992, menacée jusque dans ses fondements. Car, argumente le constitutionnaliste Brahima Fomba, la nouvelle modalité de révision proposée par le projet de loi constitutionnelle renvoie à la problématique fondamentale de la suprématie de la Constitution dont la garantie semble sérieusement compromise par le mouvement de banalisation qu’elle entraîne. Or, poursuit-il, c’est à travers sa procédure de révision qu’une Constitution organise la garantie de sa propre rigidité et de sa propre suprématie. Dans l’analyse qui suit, Dr Fomba donne plus de détails sur les ambitions inavouées du président Ibrahim Boubacar Kéïta de banaliser la révision constitutionnelle en cours.

Entre les révisions destinées à simplement corriger des lacunes et imperfections techniques de la Constitution et celles qui impriment un bouleversement total des équilibres institutionnels d’un régime politique, l’on peine généralement à faire la part des choses.

Ce n’est pas un hasard si au Mali où toute révision constitutionnelle débouche forcément sur la tenue d’un référendum, il a été consacré de manière absolue le principe de rigidité constitutionnelle avec comme corollaire, l’impossibilité de modifier la Constitution sans passer par la ratification référendaire. Ce principe est affirmé par l’article 118 de la Constitution : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux Députés. Le projet ou la proposition de révision doit être voté par l’Assemblée Nationale à la majorité des deux tiers de ses membres. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum… ». On perçoit clairement que le constituant de 1992 a délibérément opté pour la ratification référendaire en tant que procédé de droit commun d’adoption d’une révision constitutionnelle. La ratification référendaire renvoie à un souci de canalisation du pouvoir de modification de la Constitution en exigeant le consentement du peuple aux transformations introduites dans sa loi fondamentale. La révision constitutionnelle en cours a décidé de sevrer le peuple malien de cette expression souveraine.

Le projet de loi constitutionnelle opère de nombreux tripatouillages au niveau de l’article 118. Parallèlement à la voie référendaire dont le domaine d’application a été sévèrement rétréci, il institue une procédure de révision constitutionnelle au domaine quasi illimité à travers le parlement réuni en congrès à l’initiative du Président de la République. Une nouvelle procédure potentiellement dangereuse pour la stabilité de nos institutions. A travers la souplesse qu’elle prétend injecter, la modification banalise en fait la procédure de révision et constitutionnalise ainsi les tripatouillages que les parlementaires, rien que pour leurs intérêts politiciens, partisans, voire mercantiles, n’auront aucun scrupule à opérer dans la loi fondamentale à l’insu du peuple souverain.

 La nouvelle rédaction de l’article 118 de la Constitution

Le projet de loi constitutionnelle reprend pour son compte, une modification controversée de la loi constitutionnelle du temps du Président ATT : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux membres du Parlement.

Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.

La procédure prévue à l’alinéa 2 du présent article est obligatoirement mise en œuvre lorsque le projet ou la proposition de révision concerne la durée ou la limitation du nombre de mandats du Président de la République ou la modification de l’alinéa 2 du présent article.

Hormis ces cas, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès. Le projet de révision est alors définitivement approuvé s’il réunit la majorité des deux tiers des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale.

Lorsque le projet ou la proposition n’a pas été voté en termes identiques après deux lectures par chacune des assemblées, le Président de la République peut soumettre au référendum le texte adopté à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés par l’une ou l’autre assemblée.

Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.

La forme républicaine et la laïcité de l’État ainsi que le multipartisme ne peuvent faire l’objet d’une révision. »

Schématiquement, le projet de loi constitutionnelle ajoute à la procédure référendaire exigée par la Constitution de 1992 pour toute révision constitutionnelle, une nouvelle procédure qui fait l’économie de « l’obstacle » référendaire tout en donnant carte blanche au parlement réuni en congrès à l’initiative du Président de la République aux fins de modification de la Constitution.

Le rétrécissement drastique des domaines référendum Constitutionnel

Le projet de loi constitutionnelle est une véritable croisade juridique anti-référendaire qui met à la touche le peuple souverain dans le processus de révision de sa loi fondamentale. Comme pour lui miroiter une illusion de participation, il ne lui laisse que la portion congrue en ce qui concerne les hypothèses dans lesquelles il aura à ratifier une révision constitutionnelle.

Les nouvelles modalités du recours à la voie de révision référendaire ainsi réduit comme peau de chagrin se ramènent pour l’essentiel à deux procédures :

Une procédure qu’on pourrait qualifier de normal ou de droit commun ;

  • Une procédure qu’on pourrait qualifier d’exceptionnelle ou incidente.

La procédure référendaire de droit commun de révision constitutionnelle : C’est le 3ème alinéa du nouvel article 118 qui limite matériellement la procédure référendaire de droit commun de révision constitutionnelle applicable uniquement dans deux hypothèses : d’une part lorsque la révision tend à modifier l’article 30 de la Constitution relatif à la durée et à la limitation du nombre de mandat du Président de la République, et d’autre part lorsqu’elle tend à remettre en cause le vote en termes identiques par les deux assemblées du projet ou de la proposition de révision et sa ratification référendaire (alinéa 2 du nouvel article 118).

En d’autres termes, seuls les articles 30 et 118(Nouveau) alinéa 2 de la Constitution font obligatoirement l’objet d’une procédure référendaire en cas de révision. Ce référendum constitutionnel ne pourra toutefois intervenir qu’à l’issu du vote identique par les deux assemblées du projet ou de la proposition de révision. Faute de quoi, se présentera la seconde procédure qui suit. On l’aura bien compris, plutôt que de chercher à verrouiller notamment la limitation du nombre de mandat présidentiel, le projet de loi constitutionnelle incite au contraire, de manière plus ou moins implicite, à sa révision référendaire !

La procédure référendaire exceptionnelle ou incidente : c’est l’hypothèse assez hypothétique de référendum constitutionnel qui joue cette fois-ci comme une sorte de palliatif au cas où le vote identique par les deux assemblées n’est pas obtenu. L’alinéa 5 du nouvel article 118 dispose à cet effet que « lorsque le projet ou la proposition n’a pas été voté en termes identiques après deux lectures par chacune des assemblées, le Président de la République peut soumettre au référendum le texte adopté à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés par l’une ou l’autre assemblée ». Le projet de loi constitutionnel précise bien que le « le Président de la République peut soumettre au référendum » comme pour dire qu’il ne s’agit guère d’une obligation et que cela dépendra de son humeur royale du jour.

 

L’extension démesurée de la voie parlementaire de révision de la Constitution

Hormis la portion congrue du référendum constitutionnel qu’elle ne semble avoir concédé que du bout des lèvres, la loi constitutionnelle ouvre la voie royale au parlement pour s’adonner à l’insu du peuple souverain, à tous les tripatouillages possibles de la Constitution du 25 février 1992. Ainsi, précise le projet de loi constitutionnelle : « le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès. Le projet de révision est alors définitivement approuvé s’il réunit la majorité des deux tiers des suffrages exprimés… ». La révision constitutionnelle se fera à l’abri de toute contrainte référendaire et se réglera, en catimini, par la voie parlementaire par la seule volonté du Président de la République. La loi constitutionnelle réalise ainsi une belle prouesse anti démocratique faisant de la voie parlementaire, la procédure de droit commun en matière de révision constitutionnelle au Mali ! La voie parlementaire s’impose en effet comme la procédure de droit commun, car mis à part l’article 30 relatif à la durée et à la limitation du nombre de mandat du Président de la République et l’alinéa 2 de l’article 118(Nouveau), elle peut porter sur tous les autres articles ou dispositions révisables de la Constitution.

Il est évident que les dangers d’un tel libéralisme procédural sont bien réels dans le contexte politique de parlementarisme docile que nous connaissons au Mali qui contribue négativement à substituer à la clarté du débat politique contradictoire, les confusions et les compromissions de l’unanimisme politique et de la politique alimentaire. La banalisation de la révision constitutionnelle à travers le circuit du labyrinthe parlementaire n’a pas d’issue démocratique et ne peut que conduire le pays dans l’impasse des inflations révisionnistes et des tripatouillages du texte de la Constitution. Le folklore qui règne aujourd’hui dans cette chambre d’enregistrement mécanique qu’est l’Assemblée nationale avec des députés pour la plupart mal élus qu’on achète à grands frais à coups de corruption politique en dit long sur cette déchéance de la représentation politique au Mali. Des députés qui, pour la plupart, ont acheté contre espèces sonnantes et trébuchantes leur mandat en vue de noyer dans les immunités parlementaires, les bruits des casseroles qu’ils traînent. Quant au futur Sénat réclamé par la petite élite de « politiciens » comme les appelait avec ironie le Premier ministre Modibo KEITA, il ne servira dans le meilleur des cas qu’à recycler de la vielle clientèle politique qui ne représente que ses propres intérêts. Ceux qui parrainent la création d’un sénat inutile savent très bien que cette institution n’est adulée que pour les avantages matériels, les privilèges, les honneurs et le prestige factice et éphémère qu’elle procure à ses animateurs. Comment ose-t-on ainsi prendre le risque de confier le destin entier de notre Constitution à un parlement de godillots, un parlement animé par un personnel politique prédateur n’ayant souci que pour ses propres intérêts et très peu de sens de la République et de l’éthique démocratique ? Autant dire que cette voie parlementaire de révision de la Constitution revient tout simplement à donner Président de la République, un pouvoir quasi-absolu de tripatouillage de la constitution de notre pays. Les députés et sénateurs du parlement n’auront aucun scrupule à se mettre servilement aux ordres du Président de la République comme des marionnettes au bout des ficelles.

 Des questions essentielles éludées !

Alors qu’il marque un net recul démocratique sur le registre de la révision constitutionnelle, le projet de loi constitutionnelle occulte en revanche les vraies questions de l’article 118 de la Constitution qu’il pousse sous le tapis. C’est le cas notamment de la problématique de l’élargissement du spectre des limitations circonstancielles à l’engagement et la poursuite de la procédure de révision constitutionnelle. A cet égard, l’article 118 de la Constitution, dispose à son alinéa 2 qu’ « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Ainsi formulé, rien n’empêche théoriquement aux termes de cette disposition, d’engager ou de poursuivre une procédure de révision constitutionnelle en période de crise prévue à l’article 50 de la Constitution où des pouvoirs exceptionnels sont accordés au Président de la République, où même en période d’Etat de siège ou d’Etat d’urgence. Or un Président doit-il pouvoir réviser la Constitution pendant ces périodes de crise ? La Constitution burkinabè se prononce sur cette problématique à son article 165 qui dispose qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée ni poursuivie en cas de vacance du pouvoir, pendant la durée de l’Etat de siège ou de l’Etat d’urgence …….». De la même manière, il existe une incertitude quant au pouvoir de révision constitutionnelle d’un intérimaire à la Présidence de la République alors même que l’article 36 de la Constitution ne lui permet pas de recourir à un simple référendum législatif.  Par ailleurs, il faut se demander s’il faut maintenir le droit de veto de fait dont dispose le Président de la République qui, dans le cadre d’une procédure de révision constitutionnelle, peut décider de ne pas soumettre au référendum le projet ou la proposition de révision votée par les députés.

Enfin, qu’en est-il du verrouillage de la limitation du nombre de mandat présidentiel en l’insérant par exemple dans la liste des articles de la Constitution ne pouvant faire l’objet de révision constitutionnelle, au même titre que la laïcité, la forme républicaine de l’Etat et le multipartisme ? Un tel verrouillage existe tout près au Burkina Faso dont la Constitution dispose à l’article 165 qu’ « aucun projet ou proposition de révision de la Constitution n’est recevable lorsqu’il remet en cause (…) la clause limitative du nombre de mandat présidentiel » et « la durée du mandat présidentiel ».

Au Sénégal voisin, le constituant va encore plus loin et plus fort (voir article 103). Il a notablement élargi le périmètre de la zone d’interdiction de révision de la Constitution du pays qui couvre la forme républicaine de l’Etat, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République qui ne peuvent faire l’objet de révision. Il a de surcroit soumis ces dispositions constitutionnelles à un verrouillage à double tours, car l’interdiction de révision frappe également l’alinéa qui la pose et qui ne peut donc lui-même faire l’objet de révision. Ces questions pertinentes que soulève l’article 118 de la Constitution du 25 février 1992 n’auront finalement guère eu d’écho dans le projet de loi constitutionnelle. Il est vrai que sa préoccupation majeure était avant tout de déverrouiller l’article 118 afin de permettre au parlement de tripatouiller à sa guise la Constitution du Mali.

Dr Brahima Fomba

Chargé de Cours à Université des Sciences

Juridiques et Politiques de Bamako (Usjp)

(L’Aube 880 du jeudi 30 mars 2017)

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