Ce contrôle s’exerce tant par les critiques des dérives du pouvoir que par des propositions concrètes aux questions brûlantes et grands défis de la nation. La démocratie malienne s’en accommode depuis l’arrivée du président Ibrahim Boubacar Kéïta, même si elle reçoit tous les coups, si elle n’est sciemment muselée par les autorités.
Avec la nomination de Modibo Kéïta à un moment où l’heure est plus que grave, des leaders politiques se prononcent sur les priorités qui attendent le nouveau Premier ministre et son gouvernement. Ainsi, Souleymane Tiéfolo Koné, ancien Ambassadeur et 1er vice-président des Fare An ka wuli, Djiguiba Kéïta dit PPR, ancien ministre et secrétaire général du Parena, et Amadou Koïta, président du PS Yeelen Kura, répondent aux deux questions suivantes : Quelles doivent être priorités du nouveau Premier ministre ? Quelles sont les capacités de l’actuel gouvernement à l’aider dans sa mission ?
Souleymane Koné, Fare An ka Wuli
« Personne ne doit encore davantage abîmer le Mali »
« Notre constitution dispose que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Le Premier ministre est le Chef du Gouvernement. Constitutionnellement, le Premier ministre a les pouvoirs nécessaires pour fixer les priorités du moment pour le pays. Mais, dans la réalité, tel n’est pas le cas. Le président de la République reste le maître du jeu. C’est pourquoi, le président de la République doit signifier au Premier ministre dans une lettre de mission, les priorités. Je n’ai pas souvenance que les prédécesseurs de monsieur Modibo Keita aient bénéficié d’une mission précise publiquement définie.
Pour ma part, je pense qu’il doit se concentrer sur l’école malienne, la relance de l’économie et les pourparlers d’Alger.
Sur ce dernier point, il doit éviter toute précipitation dans la conclusion d’un futur accord en tirant les leçons du passé. Quelles que soient les pressions qu’on peut bien imaginer en ce moment, il ne faudra signer un accord que quand il pourrait être soutenu dans son application par le peuple malien dans sa grande majorité sociale. Nul ne pardonnera à un gouvernement qui aura, par précipitation, créé les germes de la déstabilisation de la nation entière pour uniquement satisfaire aux relents particularistes. J’insiste sur ce point, personne ne doit encore davantage abîmer le Mali. Et vouloir à tout prix se doter d’un accord bancal pourrait nous conduire au désastre. C’est pourquoi, nous ne devons pas précipiter la conclusion d’un accord qui va davantage nous diviser, nous tourner les uns contre les autres. L’urgence sur cette question est d’aller vers une concertation nationale qui permettra au Mali d’avoir un document consensuel que le gouvernement devra défendre en février prochain lors des négociations.
La crédibilité ou la compétence du Premier ministre ne sont pas mises en jeu. Elles sont suffisamment établies. Mais très franchement, sa nomination après Moussa Mara qui a fait piètre figure, sonne comme un échec pour le changement dans notre pays.
Je pense qu’au sein du RPM ou d’autres partis membres de la majorité présidentielle, il y a des cadres pour valablement assumer la fonction. La reconduction majoritairement des hommes et des tares de l’ancienne équipe ne militent pas en faveur du nouveau gouvernement.
Dans une démocratie où le dialogue politique et l’espace public sont confisqués, les initiatives et les énergies pour booster les forces économiques sont en berne. Il appartient au Premier ministre de restaurer au plus vite la crédibilité de l’Etat en tournant le dos aux scandales et autres affaires comme ceux qui ont caractérisé les conditions d’acquisition et d’exploitation de l’avion présidentiel et les surfacturations.
Justement, la suite à donner à ces dossiers sera un bon indicateur du sérieux du gouvernement actuel dans le processus du retour d’un Etat efficace ».
Djiguiba Kéïta dit PPR, Parena
« Le projet d’accord venu d’Alger est inapproprié …»
« Les priorités du Premier ministre devront être de:
– reprendre le processus d’Alger en main, de sorte que le Mali cesse d’être spectateur de son destin. Pour ce faire, il faut réunir les forces vives de la Nation autour du Gouvernement: Société Civile, Majorité, Opposition. Ces composantes de la Nation, en conclave, vont élaborer une Vraie feuille de route pour Alger, qui sera la boussole des négociateurs du Mali qui partiront à Alger porter la Voix du Mali. On tentera dans cette feuille de route de proposer une solution de sortie de crise qui préserve la Nation, la cohésion et la stabilité du pays. En effet, en l’état, le projet venu d’Alger est simplement inapproprié à l’acceptation pour les Maliens qui ont souci de leur pays, de son intégrité et de sa cohésion. Ainsi, on relèvera l’inacceptable PRÉAMBULE où est affirmée la CONTRE VÉRITÉ HISTORIQUE que la cause essentielle de la crise au nord est le manque de développement de cette zone et la marginalisation de ses ressortissants dans la Gouvernance. Et, à partir de ce postulat est bâti tout le projet d’Alger. N’est- ce pas un peu insultant pour la conscience du Malien que de parler de la marginalisation des ressortissants du Nord quand on sait que, sous l’ère démocratique, cette zone a donné à notre gouvernance des hommes et des femmes de qualité comme les Premiers ministres Younoussi Touré, Mohamed Ag Hamani, Ousmane Issoufi Maïga et Mme Cissé Mariam Kaïdama Sidibé? Je ne parlerai pas de Assarid Ag Imbarcaouane, Mohamed Ag Rhissa, Dr Akori Ag Iknane ou Mohamed Ag Erlaf. Je ne parlerai pas des combattants comme ASSADEK, ils sont des milliers. En ce qui concerne le développement, combien de centaines de milliards ont été investis dans le Nord du Mali? À se demander si le Sud ne se révoltera pas en apprenant tout l’investissement des différents gouvernements du Mali. Bref, le Préambule pose tellement problème à lui seul que s’il est amendé dans le bon sens, l’essentiel sera fait, car le postulat tombe ;
– prendre les dispositions idoines pour endiguer l’insécurité dans nos villes et campagnes, l’insécurité qui, aujourd’hui, est la principale préoccupation des Maliens ;
– faire poursuivre les indélicats impliqués un tant soit peu dans les affaires d’achat du 2ème avion présidentiel et de l’équipement militaire ;
– faire la lumière sur l’humiliation que Mara a provoquée à partir de son hasardeux voyage de périls à Kidal. Les responsabilités doivent être situées, les sanctions doivent frapper ceux qui ont entraîné l’humiliation de notre armée et de notre Nation et fait causer tant de morts et de blessés et fait perdre au pays tant de matériels militaires ;
– alléger la souffrance des Maliens et améliorer les conditions de vie de notre peuple presque martyrisé par ce début de régime, où l’argent ne circule pas, à moins d’être spécialiste en surfacturations.
La capacité du nouveau Gouvernement? On les jugera, ces hommes et ces femmes, en leur capacité à relever les grands défis du Mali qui ont pour noms insécurité, cherté de la vie et stabilité.
Amadou Koïta, PS Yeelen Kura
« On a beaucoup parlé… nous voulons maintenant des actes »
« Autant nous avions demandé le départ de l’ancien Premier ministre, autant nous avons salué la nomination de Modibo Keita. Nous estimons d’abord que c’est un choix de l’expérience, un choix de la compétence et surtout de la sagesse. Maintenant, le plus important pour nous, c’est de dire que cela fait 18 mois que Ibrahim Boubacar Keita est au pouvoir et que le peuple malien attend, que le peuple malien souffre, que le Malien est blessé dans son honneur et dans sa dignité.
Ce que nous attendons du nouveau Premier ministre, c’est d’abord d’assurer la confiance entre le peuple malien et les gouvernants. C’est de créer les conditions pour que la sécurité et la paix reviennent au Mali, qu’on ait un bon accord, un accord pour le Mali, un accord des Maliens. Un accord qui tient compte des intérêts du peuple malien, et non un accord au nom du Mali.
Ce que nous attendons du Premier ministre, c’est de poser des actes qui vont contribuer surtout au progrès social, à améliorer les conditions de vie et le pouvoir d’achat du Malien. Comme je l’ai dit, sur le plan économique, le pays est dans une situation intenable. Donc, aujourd’hui, que le Premier ministre et son gouvernement puissent booster l’économie malienne, surtout que le président de la République a placé l’année 2015 comme l’année de la relance économique.
Puisse le Premier ministre nous apporter également une justice, que la justice soit saine, que la justice sociale soit là pour tout le monde. Qu’on n’ait pas l’impression d’une justice à géométrie variable, qu’on n’ait pas l’impression qu’il y a une justice pour les forts et une justice pour les faibles, qu’on sente que la justice, la vraie, n’est pas celle qui a ses effets sur tout le monde mais celle qui est faite pour tout le monde. Qu’on ne continue pas à libérer ceux qui ont mis le pays à genou et à garder en prison certains qui ont volé peut être une bicyclette ; cela est extrêmement important.
Quand le Premier ministre a décidé de rencontrer l’opposition, tout en le félicitant et en lui rassurant que nous serons disposés à l’accompagner sur les questions d’intérêt national sans rentrer dans le gouvernement, nous lui avons dit que nous pensons que quand il s’agit du Mali, quand il s’agit de certains domaines qui sont de l’intérêt supérieur de notre pays, nous devons et nous pouvons être ensemble pour défendre le Mali. Voilà pourquoi, l’opposition a demandé au Premier ministre l’organisation d’un forum sur le nord avant toute signature de protocole d’accord pour que l’ensemble des forces vives de la nation (opposition, parti au pouvoir, société civile) puissent se retrouver. Pour qu’ensemble nous examinions le document qui nous a été soumis ; pour qu’ensemble nous proposions une position commune, puis qu’aucune paix ne peut être obtenue tant que les Maliens ne sont associés, tant que les Maliens ne se sentent concernés. Cela ne sert à rien d’aller signer un document qui devrait nous ramener à la case de départ.
Le Premier ministre nous a rassurés qu’il fera de son mieux pour que tout le monde soit impliqué. Il ne peut y avoir de développement sans sécurité, sans paix.
Comme vous le savez, l’insécurité n’est pas qu’au nord, même si au nord, il y a des obus qu’on tire et des véhicules qui sautent sur des mines. L’insécurité n’as jamais été aussi grandissante au sud. Posséder une moto Djakarta à Bamako est un danger de mort. Malheureusement, c’est l’avenir de notre pays qu’on tue chaque jour que Dieu fait. Ce sont des jeunes gens qui sont tués en longueur de journée à cause d’une moto, et nous n’avons pas senti une volonté du pouvoir public à pouvoir venir à bout de cette préoccupation qui intéresse tout le monde.
Donc, je pense que le travail sera un peu facile pour le Premier ministre, Modibo Keïta, qui a une expérience avéré puisqu’il n’est pas à sa première expérience gouvernementale, ni à la Primature, et qui n’est pas très politique. Et par rapport au nord, il a aussi le mérite et l’avantage de pouvoir parler avec les groupes armés puisqu’il était le Haut représentant du chef de l’Etat dans les pourparlers. Il connaît parfaitement le dossier. Nous estimons qu’il a certains avantages. Mais nous préférons le juger aux actes. Mais nulle n’est infaillible, on peut juger un homme pour ce qu’il a été mais nul ne peut juger son prochain pour ce qu’il sera. Notre souhait est que d’ici quelques mois, la gouvernance d’IBK, à travers Modibo Keïta, puisse apporter des solutions aux préoccupations du peuple malien. On a beaucoup parlé. Il y a eu trop de slogans, nous voulons maintenant des actes. Le peuple malien souhaiterait voir des actes ; que IBK aussi soit ce chef d’Etat qui pose les premières pierres, ce chef d’Etat qui inaugure des réalisations comme le faisait son prédécesseur.
Par rapport au gouvernement, environ 25 membres de l’ancienne équipe ont été reconduits. Il y a eu 6 arrivées, mais je crois que ce sont des Maliens en qui le président et le Premier ministre ont porté leur confiance. C’est une équipe qui gagne et l’équipe gouvernementale a besoin de solidarité et de cohérence et elle est à l’image de son chef. Le chef d’équipe doit être là pour bien manager, sinon nous pensons que les hommes et femmes qui animent cette équipe ont prouvé en d’autres circonstances qu’ils ont envie d’apporter quelque chose pour ce pays. Chaque Malien souhaite apporter sa petite pierre à la construction de notre pays. Maintenant, ce sont les principes et le modèle de gouvernance qui peuvent souvent remettre en cause certaines choses. Au-delà des hommes, il s’agit aujourd’hui de changer de manière de gouverner. Au-delà des hommes, il s’agit d’avoir des principes. Que la vertu soit le support et le principe de la République et l’éthique et la moralité tant souhaitées par le peuple malien et tant hurlée par le président Ibrahim Boubacar Keïta puissent être également la règle de fonctionnement, sinon de gestion. Je pense que si cela est fait, ensemble on pourra faire bouger les lignes ».
Propos recueillis par Sékou Tamboura