Après une «retraite médicale» de quelques mois, le Premier ministre Dr Choguel Kokalla Maïga a été reçu en audience par le président de la Transition vendredi dernier (25 novembre 2022). Si la présidence n’a pas donné plus de précision sur le contenu des échanges entre les deux personnalités de l’exécutif de la Transition, pour Choguel il ne s’agit ni plus ni moins que d’une reprise de fonction. Ce retour était-il opportun à cette phase de la transition ?
Depuis son hospitalisation, le 10 août dernier à Bamako, un flou artistique avait entouré l’état de santé du Dr Choguel Kokala Maïga. «Après quatorze mois de travail sans répit, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a été mis en repos forcé par son médecin», avait annoncé à l’époque la Primature sur les réseaux sociaux. «Le Premier ministre reprendra ses activités la semaine prochaine…», avait précisé le communiqué. Mais, par la suite, plusieurs sources concordantes avaient rapporté que le chef du gouvernement de transition a été victime d’un Accident vasculaire cérébral (AVC) à 64 ans. Nous savons qu’il a passé quelques semaines à la clinique Pasteur avant de regagner son domicile.
Le 21 août dernier, le président Assimi Goïta a nommé le Colonel Abdoulaye Maïga Premier ministre par intérim. Mais, ce dernier a aussi gardé ses fonctions de ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, porte-parole du gouvernement. Ce qui faisait dire à des observateurs qu’il n’est pas exclu que Dr Choguel Kokala Maïga reprenne tôt ou tard ses fonctions de Premier ministre.
Les proches du chef de guerre du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) ne doutaient plus de ce retour avant même l’audience accordée par le président de la Transition vendredi dernier. L’intéressé même l’a confirmé à mots à peine voilés. «Mon message de remerciement au peuple malien après ma reprise de fonction ce jour 25 novembre 2022», a twitté l’intéressé avant même l’abrogation du décret de nomination d’un Premier ministre par intérim par le chef de l’Etat. Et de confier à la presse à sa sortie d’audience, «le simple fait de le rencontrer (le Colonel Goïta) montre que nous sommes déjà dans la reprise. Avec le président, dans quelques jours, nous allons décider».
«Nous sommes condamnés à réussir parce qu’il n’y a pas autre choix», a-t-il renchéri requinqué par sa rencontre avec le Colonel Assimi Goïta. Même s’il reprend son fauteuil à la Primature, ce bourreau du travail tiendra-t-il longtemps ? Ce n’est pas évident s’il a réellement été victime d’un AVC. Cela laisse toujours des traces indélébiles contraignant la victime à se ménager plus que d’habitude. Ce qui est presque de l’utopie quand on est Premier ministre. Une fonction qui use car exigeant plus d’investissement physique et mental pour veiller à ce que tout marche. Même si ses partisans pourront dire qu’Ali Bongo Ondimba dirige toujours le Gabon après une attaque similaire. A la différence que les attaques n’ont pas la même ampleur et qualité des soins peut faire une différence vitale. Sans compter que ce retour annoncé de Choguel va se faire à un moment où la transition a besoin d’atteindre sa vitesse de croisière pour respecter le délai donné aux Maliens et à la communauté internationale.
Réussir à rassembler les Maliens au tour de la Transition !
Des divergences profondes existent entre Choguel Kokalla Maïga et une partie non négligeable de la classe politique, y compris au sein du M5-RFP (qui n’est par que l’ombre de lui-même à cause de ses profondes divisions), qui réclamait sa tête juste avant son repos médical forcé). Et pour certains observateurs, si Choguel Maïga revient, cela démontre que les «Colonels» ont pris conscience qu’il est leur meilleur atout contre les politiciens. Considéré comme un grand soutien au pouvoir de Transition, il avait en tout cas jusque-là mené de mains de maître ses dossiers tout en dénonçant haut et fort la politique française au Mali.
Ses adversaires pointent du doigt ce qu’ils appellent son «manque de volonté par rapport au respect du délai de la transition». Le Cadre d’échange des partis et regroupements des partis politiques pour une transition réussie au Mali avait alors épinglé son incapacité à juguler l’insécurité recrudescente, les arrestations arbitraires et la vie chère qui fait de la vie des Maliens un véritable enfer. Cette coalition avait aussi dénoncé «la logique totalement contradictoire du gouvernement mettant en danger l’évolution de la transition et les relations avec les partenaires du Mali…».
«Nous ne sommes pas des gens qui n’aiment pas leur pays, mais le temps de la parole est arrivé. Nous étions dans cette même salle il y a quelques temps pour appeler au rassemblement et à soutenir la transition. Mais dès le lendemain, le gouvernement a commencé à catégoriser les Maliens. Ça ne peut pas marcher ! Nous soutenons la Transition, mais dans la vérité», avait martelé l’un de ses leaders lors d’un meeting. Choguel réussira-t-il à mettre de l’eau dans son jus de gingembre pour rassembler au tour de la Transition ? Ce n’est pas évident !
Il a pourtant intérêt (s’il est confirmé) à faire profil bas parce que l’antipathie de la classe politique à son égard n’a visiblement guère évolué. Et cela d’autant plus que, selon des observateurs, la relative accalmie sur le front politique (contrairement au front social qui commence à s’embraser malgré la tenue en octobre dernier d’une conférence sociale dans le domaine du travail) s’apparente plutôt à un calme avant la tempête.
La réunion tenue samedi dernier (26 novembre 2022) par le Mouvement d’ensemble pour le redressement (MER) ne présage pas de lendemains calmes pour le gouvernement. Et selon des informations concordantes, un «grand mouvement» serait aussi en gestation avec au moins 51 partis et associations politiques. Ceux-ci se sont rencontrés samedi dernier (26 novembre 2022) pour porter officiellement sur les fonts baptismaux «le cadre des partis politiques pour le retour à l’ordre constitutionnel» qui est appelé à se muer par la suite en une grande plateforme. Sans doute de nouveaux fronts de contestation aux côtés du Cadre d’échange des partis et regroupements des partis politiques pour une transition réussie au Mali.
Sous cet angle, le retour de Choguel à la Primature peut paraître comme un couteau à double tranchant pour le président Assimi Goïta qui a plus que jamais besoin de rassembler les Maliens de tous les bords, surtout en cette période où la situation du pays est de plus en plus inquiétante.
Eviter d’ouvrir une brèche dans le mur de la transition
Elle est très préoccupante parce que la vie devient difficile tous les jours, alors que les actes posés pendant cette transition pour y faire face ne semblent pas produire l’effet escompté. Le gouvernement a montré ses limites à maintenir les prix à un niveau raisonnable. Ainsi, la moindre étincelle peut attiser le feu qui couve sous forme de soutien à la transition ou de résignation de ceux qui voient les choses autrement. Les différentes grèves en instance annoncent une grogne sociopolitique pouvant être lourd de conséquences. Et cela d’autant plus qu’il suffit aujourd’hui qu’une corporation ait le courage de s’attaquer courageusement au pouvoir pour que tout le monde s’engouffre par cette brèche.
Il ne faut pas se voiler la face, même si c’était une bonne initiative découlant d’une volonté politique louable, la conférence sociale dans le domaine du travail (tenue en octobre dernier) n’a pas été une grande réussite. Elle a sans doute permis «d’identifier les moyens et les mécanismes permettant d’aboutir à une stabilité sociale durable à travers un renforcement de dialogue entre le gouvernement et les partenaires sociaux». Toutefois, même si les participants ont formulé 139 recommandations sensées apaiser le climat social dans le pays, les solutions préconisées ne satisfont pas tous.
Elle n’a donc pas conduit tous les syndicats à enterrer la hache de guerre. A l’image de la Synergie des syndicats enseignants signataires du 15 octobre 2016 qui a clairement souligné qu’elle ne renoncera pas à «l’application stricte et immédiate» de l’article 39 (l’article 39 de la Loi n°2018-007 du 16 janvier 2018, portant sur le statut du personnel enseignant de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale). La synergie a d’ailleurs déposé un préavis de grève de 72h allant du mercredi 14 au vendredi 16 décembre 2022.
Déjà, le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) et du Syndicat libre de la magistrature (SYLIMA) sont en grève depuis hier mardi (29 novembre 2022). Ils exigent «l’abandon de tout processus d’adoption du projet de loi portant modification de la loi 2016-046 du 23 septembre 2016 portant loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour Suprême et la procédure suivie devant elle» ; «la relecture de la loi N°02-054 portant statut de la magistrature» et «l’adoption des projets de décret portant plan de carrière des magistrats et celui fixant classement des juridictions». Et du coup, la rentrée judiciaire prévue demain jeudi (1er décembre 2022) est compromise. Et ce n’est sans doute que la moindre des conséquences de cette grève que le SAM et le SYLIMA promettent de reconduire si besoin.
Pour de nombreux observateurs, il faut un gouvernement capable d’insuffler une nouvelle dynamique à l’exécutif transitoire. Tout comme il faut des mesures drastiques pour ramener les prix des produits les plus consommés à un niveau raisonnable. Il est aussi nécessaire de créer un cadre d’échange périodique avec les forces vives de la nation afin de leur offrir l’opportunité de s’exprimer sur la vie de la nation, prendre en compte leurs remarques et leurs critiques. Le gouvernement doit arrêter de se disperser et comprendre qu’on ne peut pas tout faire pendant une transition.
Moussa Bolly